En octobre 1971 s’ouvrait à Rome un synode des évêques sous le thème « Le sacerdoce ministériel et la justice dans le monde » Le cardinal Georges B. Flahiff, président de la CECC et représentant des évêques du Canada, fera porter son intervention sur « Les ministère féminins dans l’Église ».
Mon intention était de parler de la diversification des ministères dans l’Église actuelle, mais je constate que le sujet a été bien traité en particulier par les interventions de Mgr l’archevêque Etchegaray, ainsi que des évêques Tepe et Degenhardt. Si bien que je n’ajouterai rien sur ce sujet, surtout en voyant le nombre d’orateurs inscrits.
Je me limiterai à une question à laquelle déjà Mgr Plourde a fait allusion, mais qui n’a pas encore été développée. Plusieurs ont parlé du ministère de toute l’Église. Plusieurs ont commenté la diversification croissante des ministères en liaison avec les ministères propres aux laïcs. Mais personne n’a soulevé la question des ministères de la femme. C’est la question que je pose : est-ce que tous les nouveaux ministères seront réservés aux hommes?
1. Un bref rappel historique
Ce n’est pas mon intention de m’étendre sur cet aspect du problème. La réponse classique lorsqu’on posait cette question il y a vingt ans, était : a) Le Christ était un homme, non une femme; b) Il a choisi 12 hommes pour être ses premiers pasteurs, aucune femme, : c) saint Paul a clairement dit que les femmes doivent se taire dans l’Église, donc elles ne peuvent être ministres de la parole (1 Co 14, 34-35); d) Paul a également dit que la femme ayant péché la première dans l’Éden, ne pouvait pas avoir d’autorité sur l’homme (1 Tm 2, 12-15); e) l’Église primitive a eu des ministres féminins en particulier en Orient et surtout jusqu’au sixième siècle, mais ces ministres n’étaient pas ordonnés.
Et la conclusion était donc : le ministère est un métier d’homme. Que les femmes se contentent du sort de la Sainte Vierge et des autres femmes de l’entourage de Jésus : qu’elles soient des servantes fidèles et dévouées.
Comme vous le savez, cette démonstration historique ne peut plus être considérée comme valide aujourd’hui. Nous savons que le sacerdoce de l’Ancien Testament était uniquement masculin, en réaction contre les cultes cananéens de la fertilité, dont les sacerdoces étaient surtout féminins. Nous savons que Jésus ne pouvait pas changer si radicalement ni si rapidement l’image sociale de la femme dans la société où il vivait, même si déjà saint Paul pourra dire qu’il n’y a plus ni homme ni femme devant Dieu (Ga 3, 28). Nous savons également que plusieurs des déclarations disciplinaires de Paul ont seulement une portée sociologique, et non doctrinale, comme lorsqu’il impose aux femmes de se voiler la tête dans l’assemblée chrétienne (1 Co 11, 3-16). Par conséquent, je crois qu’il n’y a aucun obstacle dogmatique qui s’oppose à ce que nous ré-examinions toute la question.
2. Les femmes après Vatican II
Des textes de Vatican II (en particulier dans Gaudium et Spes et dans Apostolicam Actuositatem) sont catégoriquement contre toute discrimination contre la femme dans l’Église. Mais nous devons admettre que d’excellentes chrétiennes, ainsi que d’autres personnes, trouvent qu’on a fait bien peu d’effort pour réaliser ces affirmations. Elles attendent avec patience du Code de droit canonique, pour qu’on y enlève les passages qui manifestent une infériorité de la femmes. C’est le geste d’authenticité qu’elles souhaitent. Et l’évolution de la situation de la femme dans la société moderne, un changement qui provient en partie de l’influence chrétienne, fait que nous devons agir sincèrement et sérieusement sur ce point.
Mais cela n’est pas directement mon propos; la question précédente pourra peut-être être abordée lorsque nous étudierons la justice sociale. La question que je pose aujourd’hui eset celle de la possibilité d’une place pour la femme dans le ministère, ou mieux dans les ministères de l’Église.
3. La femme et les ministères
Si on considère ce qui a été dit sur la diversification croissante de ces ministères, je ne vois pas comment on éviterait d’étudier le rôle de la femme dans ceux-ci. Nous manquerions à notre devoir envers un peu plus de la moitié de l’Église, si nous ne parlions même pas du sujet. Je reconnais par ailleurs que la situation de la femme n’a pas évolué au même rythme dans toutes les cultures, si bien qu’il sera difficile d’avoir une même perception universelle sur ce point. Mais cette situation a tellement changé en plusieurs contrées pour que nous soyons obligés, comme représentants de toute l’Église, de poser deux questions concernant les ministères possibles des femmes.
4. Première question
Étant donné la reconnaissance progressive des droits égaux de la femme, tant en droit qu’en fait, étant donné l’injustice de toute discrimination à son égard, devons-nous ou non soulever la question de leur rôle possible dans les nouveaux ministères?
5. Deuxième question
En même temps qu’apparaissent de nouveaux ministères, pour répondre à de nouveaux besoins de la société en évolution, sous l’action de l’Esprit Saint, pouvons-nous déjà prévoir quels seraient les nouveaux ministères qui seraient plus adaptés à la femme, à sa nature, à ses dons et à sa préparation, dans le monde de ce temps dontGaudium et Spes parle si éloquemment,
6. Une réponse pratique à ces questions
À mon avis, la question est trop sérieuse actuellement pour que le Synode la passe entièrement sous silence. Par ailleurs, un traitement rapide ou superficiel serait décevant; il pourrait même être interprété comme une manifestation de plus de la domination des hommes.
Après une consultation inofficielle de plusieurs mois, les évêques du Canada en avril dernier ont rencontré un groupe de représentantes hautement qualifiées de groupements de femmes catholiques provenant de tous les parties de notre pays. Ces femmes ont exprimé clairement, fermement et modestement leurs souhaits. À l’assemblée générale subséquente, qui a eu lieu il y a trois semaines, les évêques ont presque unanimement adopté la proposition suivante, que je vous soumets de leur part.
Que les représentants de la Conférence catholique canadienne prient leurs délégués de recommander au Saint-Père la formation immédiate d’une commission mixte (c’est-à-dire formée d’évêques, de prêtres, de laïcs des deux sexes, de religieuses et de religieux) afin d’étudier en profondeur la question des ministères féminins dans l’Église.
Nous ne voulons pas préjuger de la question. Nous ne savons pas si des décisions devront suivre une telle étude. Nous ne savons surtout pas quel rythme et quels modes cette action devrait prendre. Mais malgré une tradition vieille de plusieurs siècles contre les ministères féminins, nous croyons que les signes des temps (dont le moindre n’est pas le fait que déjà des femmes exercent avec succès des tâches apostoliques et pastorales), que ces signes donc nous pressent d’entreprendre l’étude de la situation présente et des possibilités pour l’avenir. Si nous ne commençons pas dès maintenant cette étude, nous risquons d’être dépassés par les événements. Ceci, et seulement ceci, est la recommandation que les évêques canadiens présentent à ce Synode.
Source : Conférence des évêques catholiques du Canada (2000). Rappel historique des interventions de la CECC concenant les femmes – Historique des initiatives de la CECC en faveur des femmes dans l’Église et dans la société 1971-2000, Ottawa : Éditions de la CECC, p. 38-41
- Les ministères féminins dans l’Église - 30 octobre 1971