Une recension du livre de Pauline Jacob
Appelées aux ministères ordonnés
Ottawa, Novalis, 2007, 275 p.
par Marie Gratton, Myriam
«Rome a parlé, la cause est entendue », ainsi le voudrait l’adage antique et solennel. Mais les femmes, elles, n’ont que faire de ce silence définitif qu’on a voulu leur imposer à la fin du siècle dernier, espérant ainsi clore le débat sur l’ordination des femmes aux ministères ordonnés. Les militantes de la cause, faisant fi des interdictions, ont montré, avec une courageuse constance et un aplomb toujours plus vigoureusement affirmé, qu’elles n’auraient de cesse aussi longtemps que le Vatican camperait sur ses positions, sous le prétexte qu’elles seraient l’expression de la volonté divine, et non pas le fait d’un patriarcat impénitent.
La thèse doctorale que Pauline Jacob a consacrée à ce sujet et le livre qu’elle en a tiré, et dont il sera ici question, illustrent admirablement une incontournable réalité : les femmes qui s’estiment « appelées » aux ministères ordonnés du diaconat ou du sacerdoce cherchent à se faire entendre, mais surtout, et c’est le plus difficile, elles veulent être écoutées. Les victimes d’injustice et d’exclusion intéressent notre auteure, elle qui a d’abord travaillé comme psychoéducatrice dans des centres pour jeunes en difficulté, puis comme agente de pastorale au diocèse de Montréal.
Lise Baroni Dansereau, qui en a signé la préface, présente l’ouvrage de Pauline Jacob comme « l’une des meilleures études publiées en théologie pratique », et son expertise en ce domaine est bien connue depuis longtemps.
Le livre comporte quatre chapitres et une conclusion. Dans le premier, l’auteure se met « À l’écoute des femmes et de leurs communautés ». Dans le deuxième, elle élabore « Une problématique dans un contexte en ébullition ». Dans le troisième, elle analyse « Les fondements théologiques du discernement ministériel». Dans le quatrième, elle nous expose ce que peut devenir « La tradition réinterprétée par les femmes ». Pour ce qui est de la conclusion, elle ouvre sur une vision renouvelée d’une « ekklèsia libre et sans exclusion ».
Au premier chapitre, nous entendons la voix des femmes qui se disent « appelées » aux ministères ordonnés. Elles sont quinze, ont entre trente deux et soixante-neuf ans, détiennent toutes des grades universitaires. Treize d’entre elles sont impliquées dans des activités de pastorale dans différents milieux, une enseigne au secondaire et une autre rédige une thèse de doctorat. Elles sont toutes francophones et oeuvrent dans six diocèses catholiques du Québec. Quelques-unes sont les épouses de diacres permanents, et perçoivent d’une manière bien particulière la discrimination qui les frappe. Soixante-treize « témoins » de leur « vocation », des collègues de travail engagés en pastorale, des amies et amis, des soeurs, un conjoint viennent exprimer leur conviction que les femmes qui disent avoir entendu l’appel de l’Esprit ont les qualités requises pour devenir de bonnes pasteures.
Il est beaucoup question, dans ces récits de vie, d’enfance pieuse, d’attrait précoce pour le travail pastoral et d’engagement dévoué au service de l’Église. Ces femmes trouvent injuste le fait que, parce qu’elles sont femmes, on refuse de reconnaître l’authenticité de l’appel qu’elles disent avoir entendu. Elles n’en continuent pas moins à consacrer leur temps, leur intelligence, leur savoir-être, leurs compétences professionnelles et leur savoir-faire au service du Christ qui les fait vivre et de l’Église qu’elles aiment envers et contre tout. Il n’est jamais question de la rémunération de ces personnes. Sont-elles toutes bénévoles ? Certaines touchent-elles un salaire convenable ou plutôt symbolique? Il aurait été intéressant de trouver des réponses à ces légitimes questions. Pour analyser le sérieux de l’appel que toutes disent avoir entendu, Pauline Jacob a scruté le discours de ces femmes à partir de trois points de vue : « l’appel intérieur, l’appel manifesté dans leur engagement social et ecclésial et l’appel des communautés ». Dans tout ce qu’elles disent d’elles-mêmes et dans tout ce qu’on dit d’elles, on voit s’inscrire en lettres majuscules l’esprit de service. C’est ce que l’Église attend de toutes les femmes, c’est ce qu’elle juge digne de sacraliser et de sacramentaliser chez certains hommes, en l’assortissant du pouvoir de l’Ordre. Aussi longtemps que les femmes besogneront, aussi longtemps qu’elles permettront de pallier la pénurie de prêtres, n’est-il pas illusoire d’espérer des changements structuraux, s’il m’est permis de poser une question dont il me semble, à tort ou à raison, connaître la réponse? J’exprime ici, vous l’avez compris, mon évaluation personnelle de la situation. Les femmes qui rendent compte de leurs expériences voient, dans leur infinie patience et leur zèle ardent, les choses d’une autre façon. Le temps leur donnera-t-il un jour raison ?
J’ai pris un immense plaisir à la lecture du deuxième chapitre. Il y est question de la révolution féministe, et de l’impact de ce mouvement social et politique sur la prise de conscience des femmes face aux inégalités et aux injustices dont elles souffrent dans l’Église catholique. L’auteure salue au passage le travail du groupe Femmes et Ministères comme celui de L’autre Parole. La révolution enclenchée dans l’Église anglicane a encore ajouté de la pression sur les autorités vaticanes, mais sans les faire changer d’idée, nous le savons. Elles se sont juste un peu plus agitées pour dire et redire : « Non !».
Pauline Jacob a eu la brillante idée de comparer les arguments utilisés par la hiérarchie catholique pour refuser aux Québécoises le droit de vote – un gain qui ne date que de 1940 -, et ceux qui continuent, prétendument, de justifier l’exclusion des femmes des ministères ordonnés. Je résume en quelques mots la démonstration fort convaincante de l’auteure. D’abord, une certaine conception anthropologique de la femme, héritée d’Aristote, revue par Thomas d’Aquin, qui juge le sexe féminin imparfait, et de ce fait devant être, par nature, soumis et subordonné au sexe masculin. Hier, comme aujourd’hui, on continue à expliquer aux femmes qui elles sont, ce qui est bon pour elles et ce qui ne l’est pas, à cause de leur nature particulière. Ce qu’elles ont à dire d’elles-mêmes n’intéresse pas, non plus que leurs expériences. Dans le discours actuel, on parle volontiers de leur égale dignité, mais leur maternité est censée marquer leur existence d’un sceau qui détermine leur destin. La sphère privée est leur zone désignée; le reste du monde est le domaine des hommes, et le sacré leur chasse gardée. Hier comme aujourd’hui, on persiste à croire que les femmes ne veulent que gagner du pouvoir et accroître leur prestige social quand elles s’estiment « appelées ». Leurs engagements politiques et religieux, même les plus dévoués, deviennent aisément suspects.
Hier, les femmes n’avaient pas besoin de voter, disait-on, pour exercer une influence bénéfique dans la société, via la famille. Aujourd’hui, elles n’ont nul besoin d’accéder aux ministères pour se mettre corps et âme au service du Christ et de l’Église.
Pauline Jacob énumère et explique brièvement « les clés de compréhension apportées par le féminisme » : « le genre » qui est une construction sociale ; « l’occultation » de leur place et de leur rôle dans l’histoire, de leur travail et de son impact économique ; « le corps », celui des femmes spécifiquement, et les contrôles que la société et l’Église ont cherché à lui imposer ; et finalement « le quotidien », tissé de joies, de souffrances, d’aspirations, d’espérances, et qui accorde une juste place à l’expérience des femmes. Cette grille d’analyse du mouvement féministe a guidé et éclairé les revendications que celles-ci ont faites dans l’Église.
Le troisième chapitre traite des « fondements théologiques du discernement ministériel ». Les femmes rencontrées par l’auteure se disent appelées aux ministères ordonnés du diaconat ou du presbytérat. La constance de leur engagement zélé au service de l’Église, malgré tous les obstacles rencontrés, témoigne, hors de tout doute raisonnable, du fait qu’elles semblent bien avoir entendu un « appel intérieur ». Pour ce qui est de « l’appel extérieur », on pourrait croire à tort qu’il ne peut venir que des autorités hiérarchiques, mais elles refusent de le lancer, puisqu’elles ont décidé que Dieu n’appelait pas les femmes. Point à la ligne. Elles ont compté sans l’Esprit présent au sein des communautés chrétiennes. Or celles-ci reconnaissent dans certaines femmes les qualités de cœur et d’esprit qui font les bonnes pasteures.
Puisqu’elles croient en Dieu, manifestent de la liberté intérieure, de la maturité et un bon équilibre, et que de plus elles sont présentes à la vie de leurs communautés et en perçoivent les besoins, elles devraient être considérées ipso facto comme des candidates de choix aux ministères ordonnés. Elles savent rassembler, animer et faciliter la compréhension du message évangélique. Qui dit mieux ? Que leur manque-t-il donc ? Il leur manque d’appartenir au sexe masculin. Pauline Jacob nous rappelle pourtant, dans des pages qu’il est bon de relire, que dans les premiers siècles chrétiens, la reconnaissance de l’appel aux ministères ne tenait pas aussi mesquinement à un seul critère aussi tristement étriqué.
Dans le quatrième chapitre, nous voyons comment la Tradition peut être réinterprétée par les femmes. Leur arrivée en pastorale a déjà eu un impact qu’on ne peut nier. Plusieurs ont abordé leur travail sur le terrain et l’ont nourri par des études théologiques et exégétiques. Cela laisse des traces. Leur accession aux ministères ne pourrait qu’accroître leur influence. Un bon pasteur nourrit les êtres qui lui sont confiés, spirituellement, psychologiquement, intellectuellement et physiquement. Il veut les renforcer, leur donner du pouvoir, il se met en quête de leurs besoins, cherche à les combler en utilisant toutes les ressources de la communauté. Il fait preuve de compassion et développe l’autonomie. En Jésus de Nazareth des femmes ont vu un modèle du pasteur selon le cœur de Dieue, et elles s’y sont attachées.
Quand les femmes ont eu accès aux études théologiques et exégétiques, elles ont mis la tête dans la porte… D’autres, en travaillant sur le terrain, y ont mis et la tête et le pied et le cœur, et se sont rendues indispensables ! Rien n’est plus tout à fait comme avant. Une nouvelle grille de lecture et d’interprétation de l’Écriture et de la Tradition s’est dessinée. Mieux, elle est aujourd’hui partie intégrante de la Tradition vivante du christianisme.
Pauline Jacob conclut son ouvrage sur une note d’espérance. Elle croit qu’« un jour des chrétiennes et des chrétiens se lèveront pour dire: « C’est assez! », et montreront la route à prendre aux décideurs » de l’Église. Mais ce cri, est-ce qu’il ne retentit pas déjà ? La hiérarchie catholique ne lui fait-elle pas obstinément la sourde oreille ? L’ekklèsia « libre et sans exclusion » dont elle rêve avec les autres féministes chrétiennes existe déjà et grandit dans l’esprit et le cœur d’un nombre toujours croissant de femmes et d’hommes de bonne volonté.
Il me semble que c’est là, et nulle part ailleurs, qu’il faut placer son espérance.
Les femmes que nous présente Pauline Jacob sont déchirées : elles souffrent des obstacles qu’on dresse sur leur route, et trouvent leur joie à marcher…
Allez donc les rencontrer.
Publié dans la revue L’autre Parole, no 118, été 2008 et reproduit avec les permissions requises
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