Alors que la mort et la tristesse auraient pu l’engloutir, c’est la Vie et la Lumière qui ont envahi la vie de Lucie, jusqu’à devenir son nom: Lumière.
Enfant, Lucie Tremblay était très solitaire et triste. Elle allait se cacher dans le fond du garde-robe pour pleurer son profond sentiment d’abandon. Elle ne parlait pas, jusqu’à son entrée à l’école. Mais elle chantait, dessinait et communiait à la vie par la nature. Vers trois ou quatre ans, attirée par l’eau d’un ruisseau près de sa maison, elle y est tombée et filait tout droit vers la lumière lorsque son frère l’a retirée juste à temps. C’est un souvenir marquant de sa vie. « J’étais tellement bien de m’en aller vers cette lumière que je voulais m’y rendre », dit-elle. Jusqu’au secondaire, le sentiment de vide, de ne pas exister, la mènera à des idées noires et à une tentative de suicide. « J’étais toujours en combat pour la vie, entre lumière et ténèbres », confie-t-elle. Mais la solitude de la campagne va développer chez elle une grande capacité d’introspection, d’écriture et de contemplation. La fréquentation de l’eucharistie du samedi soir lui apporte joie et paix intérieures et contribue à la garder en vie.
La présence de religieux dans sa famille l’a ouverte au monde des communautés religieuses. Lors d’un séjour de solitude chez les moines de Mistassini, elle tombe sur le livre La joie du don de mère Teresa, et c’est le coup de foudre. Cela la conduira à s’inscrire en théologie à l’université. Elle fréquente aussi les grands séminaristes de Chicoutimi et prie avec eux la liturgie des heures. Pendant ses études pour le bac, elle fera un apprentissage fondateur, soit le sens de la « coresponsabilité des baptisés dans la mission de l’Église ». C’est alors que l’amour se pointe dans sa vie sous le nom d’Éric qui l’aime pour elle-même, en toute liberté. Ils se marient et ont trois enfants. Toutefois, « à la suite de la maladie de mon conjoint, je réalise que je dois compter sur moi-même et sur l’Amour de Dieu pour mon bonheur et développer la confiance en moi ».
À Chibougamau, où les pères oblats ont développé une pastorale audacieuse de coresponsabilité, elle monte une équipe avec quatre femmes et des jeunes pour animer la « messe des jeunes dans un souci de leur « traduire » ce qui s’y vit. Elle sera catéchète et ministre du baptême pendant 8 ans, et s’impliquera dans la nouvelle approche pastorale des communautés locales de Poitiers comme une leader et chef d’orchestre. Elle assumera en parallèle un temps partiel en pastorale scolaire au primaire; des années pleines de vie où elle prend le temps de marcher avec les enfants aux récréations pour les apprivoiser. Mère de famille à temps plein en plus du travail pastoral, elle s’épuise à courir, tombe dans le vide et la dépression. Réalisant qu’il y a encore « des nœuds à défaire » dans son histoire, elle aura recours à de l’accompagnement psychospirituel, fera les exercices de saint Ignace dans la vie courante (sur cassettes) deux fois, des retraites et fréquentera saint Jean de la Croix afin de guérir ses blessures, de faire la paix avec son passé et d’atteindre la liberté intérieure tant désirée: « Je désire juste être, être Lucie, une lumière qui repousse les ténèbres de la mort. »
À 45 ans, une rencontre avec une patiente en soins palliatifs à la maison Michel-Sarrazin de Québec lui fait quitter le travail en paroisse, sa famille et ses épinettes, et l’inspire à entreprendre des études à l’Université Laval dans le programme d’intervention spirituelle en milieu de la santé. Elle relit ce tournant ainsi: « Ma vie trouve son sens : je choisis de dire oui à la vie, d’être moi. » La formation et les stages terminés, il faut trouver un lieu d’incarnation, mais pas aussi éloigné que Chibougamau… où les possibilités sont tellement limitées. Depuis le départ des Oblats (2010), pionniers de la coresponsabilité depuis longtemps, la paroisse vit une transition incertaine.
Après plusieurs applications et bien des déceptions, une porte s’ouvre au salon funéraire local. Lucie devient alors une lumière sur les chemins de mort que vivent les familles endeuillées, chez les Amérindiens et les Blancs. Elle anime des moments de prière, habille les corps avec un infini respect, panse des blessures familiales, retisse des liens communautaires, accueille, écoute, console, relance. Avec compassion et délicatesse, l’enfant solitaire et silencieuse, la jeune femme qui a failli mourir, est devenue pasteure, semeuse de vie en abondance et de résurrection. Et elle se garde toujours des moments de solitude.
Texte publié dans la revue Sentiers de foi d’avril 2012 et reproduit avec les permissions requises.
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