D’entrée de jeu, je voudrais poser une question : sommes-nous rassemblés, en ce 11 mars 2006, en ce 20e anniversaire de la fondation de Femmes en Église, autour du thème : les femmes dans la mission de l’Église d’aujourd’hui, sommes-nous rassemblés par naïveté ou par lucidité ?
Je réponds à ma question en disant : les deux à la fois. Nous sommes un peu comme Bernadette Soubirous. À son curé qui l’accusait de naïveté à l’occasion du phénomène des apparitions à Lourdes, elle répondait : et si ma naïveté était un signe de lucidité ? J’ajouterais que nous sommes là par audace, conscientes et conscients qu’un rendez-vous avec notre Église et avec l’histoire exige cette réflexion sur le rôle de la femme dans l’Église, car — comme l’affirmait sur les ondes de Radio Canada un prêtre de Sherbrooke — il est fini le temps où les femmes faisaient cuire des muffins pour monsieur le Curé.
Naïveté, lucidité et audace, puisque nous vivons toujours dans une Église cléricale qui tend à éviter les choses qui dérangent ce qui semble solide. Mais se taire, dans les virages que nous avons à vivre comme baptisés, comme partie prenante dans notre Église, peut être un signe de lâcheté, et blesser l’Église tout autant.
Au risque de déplaire et même d’étonner à l’intérieur de mon Église, j’ai osé penser par moi-même et faire mentir Voltaire, qui écrivait : « Quand les chrétiens vont oser penser par eux-mêmes, ça sera la fin de la religion catholique. » J’ai osé penser par moi-même à partir de l’Évangile, de la Tradition — que je veux vivante et non sclérosée — et de mon expérience du monde et de la vie. Comme homme d’Église et heureux de l’être, dans ce livre qui a pour titre 553 rue Stella Maris, comme ministre ordonné, j’ai voulu être le promoteur d’une réflexion chrétienne, et non le gardien d’un ordre immuable, loin de la nouveauté. Je n’ai jamais voulu dominer les autres, mais les accompagner en marchant avec eux dans leurs projets personnels, dans leurs questionnements. J’ai voulu vivre une expérience de liberté à la suite de Jésus, l’insoumis de son temps, même au risque de me tromper. J’ai voulu vivre une acceptation libre devant tout enseignement proposé, afin de ne pas être un perroquet, un répétiteur d’une vérité imposée. Plus que jamais, étant donné les mutations profondes de notre époque, il est nécessaire de penser, non pas pour démolir, mais pour avancer.
À qui « la faute », si j’ose tenir ce discours aujourd’hui devant vous, évêque, prêtres et laïcs ? Je cherche un responsable non pour me défiler, mais pour remonter à la source de ce souffle de l’Esprit qui a secoué notre Église : c’est le bon Jean XXIII qui, avec le vent du concile Vatican II, nous a mis en marche vers une Église qui serait une Église de questionnement tout en étant une Église de communion respectueuse des dogmes et de sa tradition.
Dans cette Église, avec vous, je pose une question en lien avec la pleine mission de la femme dans notre Église : est-ce que les choses ne pourraient pas être autrement ? Est-ce que la mission de la femme dans l’Église peut se vivre aujourd’hui autrement, dans une coresponsabilité reconnue, partagée et assumée ? Je ne parle pas d’une mission tolérée ni d’un accueil auquel on consent à demi, parce qu’on ne peut faire autrement. Il s’agit d’une mission réelle, vraie, totale, fondée sur ce qu’est la femme dans son charisme baptismal : prêtre, prophète et roi. Cette consécration ouvre à tous les ministères institués et ordonnés dans notre Église. Dans la réalité ainsi proclamée de son baptême, qu’est-ce qui empêche que la femme réalise pleinement, comme l’homme, les ministères et les fonctions de l’Église auxquels elle est appelée elle aussi ? Est-ce possible ?
Avant de répondre, je cite un texte de saint Augustin, écrit vers les années 400, qui pourrait être comme un leitmotiv pour l’assemblée que nous formons : « Nous sommes des voyageurs. Qu’est-ce que voyager ? Je le dis en un mot : avancer. Que toujours te déplaise ce que tu es pour parvenir à ce que tu n’es pas encore. Avance toujours, marche toujours, ajoute toujours. »
Ressentez-vous cette respiration de Dieu, ce mouvement de renouveau, ce désir d’« ajouter » dans notre Église, à l’invitation d’Augustin ? Pour continuer d’avancer et d’ajouter, il faut peut-être constater que ce qui fait sens aujourd’hui, ce n’est plus le dogme avant tout, mais la quête commune de tous les baptisés, avec ce qu’elle a de dérangeant pour le conservatisme. Ce qui peut nous rassembler en Église, ce n’est plus vraiment ce que nous savons ou croyons savoir, mais ce que nous cherchons ensemble et ce que nous faisons aujourd’hui, non avec des accents de révolte mais avec beaucoup d’amour pour notre Église, à l’occasion de cette table ronde sur la mission de la femme en Église.
Dans une Église dogmatique, est-il possible de se mettre en mouvement ? L’aspect dogmatique de notre Église fait sa richesse mais aussi sa pauvreté. Je n’aime pas les comparaisons, mais il peut être éclairant de regarder ailleurs. Témoin des dérives actuelles de certains courants de l’islam, je suis heureux qu’une Église dogmatique m’évite des dérapages et ne laisse pas tout à l’interprétation et au libre arbitre de chacune et chacun de nous. Mais rien n’est plus stérile que de toujours se cacher derrière un dogme pour empêcher une discussion ouverte. Je sais que l’aspect dogmatique de l’Église peut contrer le relativisme dans lequel notre monde s’enracine de plus en plus. Mais peut-on refuser toute discussion sur la mission de la femme en citant ce passage de l’Évangile : « Le soir venu, il était à table avec les Douze » ?
Je crois que c’est vrai, mais j’ose croire en respectant ce qui a été et ce qui sera. Il est louable de s’interroger, et de distinguer entre le contenu normatif des dogmes et leurs formes d’expression, qui varient dans l’histoire. C’est à cela que Jean XXIII invitait les Pères du concile, signifiant par le fait même que le langage dogmatique relève d’une culture déterminée, dont les possibilités d’expression sont toujours limitées.
Je sais que la vérité révélée est toujours plus grande que la conscience que nous en avons à un moment de notre existence. Dans cette optique, il serait peut-être urgent de concilier l’aspect dogmatique de l’Église avec l’histoire, et surtout avec notre histoire. L’interprétation des dogmes se fait dans et par la vie ecclésiale dans sa totalité : femmes et hommes compris. J’accepte difficilement que l’Église se serve du dogme pour éliminer la dimension réelle des situations sur lesquelles porte notre questionnement. Le dogme ne devrait pas être un lieu de procès mais le lieu d’une rencontre fructueuse. Trop souvent dans l’Église, une attitude dogmatique peut être le déguisement d’un appétit du pouvoir ou d’un désir de l’autorité de légiférer sur un réel qui lui échappe. Le dogmatisme peut être exclusif quand il affirme que rien ne peut exister autrement. Il y a là un retranchement qui enlève à notre Église son humanité, son enracinement dans l’aujourd’hui de notre histoire. Comme le fait remarquer Timothy Radcliffe, ancien maître des dominicains, dans son récent livre intitulé Pourquoi donc être chrétien, « Quand l’Église semble dispenser son enseignement de là-haut, loin des luttes des gens ordinaires, alors elle n’enseigne rien du tout ».
Notre Église a besoin de s’ouvrir au dialogue et d’en finir avec le bâillon. Elle peut s’ouvrir à l’échange sans renoncer à son identité. Il faut prendre conscience qu’il est fini le temps des énoncés doctrinaux qui viennent d’en haut et sont à prendre ou à laisser. De plus en plus de gens se sentent à l’étroit dans l’Église parce qu’elle n’est pas encore passée d’une attitude d’exclusion à une attitude dialogale. Je suis de ceux-là. Dans son livre Hors de l’Église plein de salut, le théologien canadien Richard Bergeron écrit : « je me découvre étranger au sein de ma propre maison où les gardiens referment les fenêtres aussitôt qu’elles s’entrouvrent ». À partir de ce constat social, il est évident qu’on ne peut plus bâtir sans dialoguer avec l’incertitude du monde dans lequel nous baignons. Le cardinal Ratzinger, aujourd’hui Benoît XVI, a parlé de « cet océan d’incertitude, lieu d’exercice de notre foi ». Les décisions de l’Église n’échappent pas à ce contexte.
Dans un esprit de dialogue, au sein de la révélation (j’en conviens), un nouveau travail est possible, car les baptisés que nous sommes ne sont pas seulement des cruches à remplir, mais des sujets intelligents à qui la révélation a aussi été confiée, comme l’écrit Maurice Zundel, une révélation soumise « à l’initiative créatrice de la femme et de l’homme ». Nous avons à vivre la parole de l’apôtre Pierre : « Soyez prêts à rendre raison de l’espérance qui est en vous », et cela à l’intérieur de la tradition chrétienne. Michel de Certeau écrit : « La tradition ne peut être que morte, si une invention ne la compromet en lui rendant la vie, si elle n’est pas changée par un acte qui recrée la vie. » Il s’agit de « rendre raison de notre espérance » à partir de la vérité révélée, dans une tradition chrétienne changeante comme la vie. Dans cette optique, la tradition se veut créatrice, inventive, et non pas strictement la gardienne du dépôt révélé, comme l’a pensé notre Église à certains moments.
À partir de la tradition, l’Église institution est tentée de dogmatiser, de figer, d’imposer des conceptions contestées en ce qui concerne la mission de la femme dans l’Église. Les conflits de générations touchent la société, mais dans l’Église aussi se croisent différentes mentalités, et il existe des interprétations conflictuelles de la parole qui nous a été donnée, parole qui ne finit pas de se révéler à la hiérarchie ainsi qu’aux membres de l’Église, hommes et femmes, dans l’actuel « océan d’incertitude ».
L’Église est certainement en retard sur la civilisation contemporaine en maintenant, par rapport à la mission de la femme, cette image que la virilité est associée à l’activité et la féminité à la passivité. Cette manière de voir repose sur la division immémoriale des sexes, et ce code est désaffecté puisque l’idée de la supériorité masculine est rejetée de toutes parts.
Est-ce que l’Église comme institution peut ignorer cette mutation sociale profonde, cette nouvelle façon de vivre qui a des conséquences pour l’orientation et l’organisation de ce qu’elle veut être comme institution ? Plus que jamais, il me semble, l’Église institution doit accueillir les motivations nouvelles des femmes et des hommes et les désirs de ses membres qui manifestent une tendance à la diversification des charismes selon les mentalités dans différents pays. Pour être vraiment catholique, donc universelle, l’Église institution doit accueillir cette diversité des mentalités et éviter aujourd’hui dans son rendez-vous avec l’histoire le dressage autoritaire avec des règles uniformes.
Nous créons l’histoire de notre Église puisque nous en sommes membres à part entière. Nous avons la liberté de poser au moins la question qui nous préoccupe, pour que dans l’Église les rôles et les fonctions se vivent dans l’homogénéité, selon la valeur fondamentale du respect de la singularité subjective des femmes et des hommes. J’ose affirmer que jusqu’ici la question de la femme dans l’Église a suscité le refus de la part d’une Église disciplinaire qui n’ose risquer l’exploration totale de ce qu’est la femme dans sa singularité culturelle comme individu, comme baptisée.
Dans une société qui se veut égalitaire, l’Église doit accueillir la femme au sein de sa structure hiérarchique, lieu de décision pour le peuple de Dieu. Pour mettre en place une société égalitaire, il faut résoudre les questions d’équité — équité salariale, équité dans les fonctions et les tâches — et respecter les droits de la personne. Il me semble que rien n’est plus proche des valeurs évangéliques qui inspirent notre tradition ecclésiale, et que ces valeurs évangéliques devraient aussi inspirer les décisions qui concernent la mission de la femme dans l’Église d’aujourd’hui, même si un jour Pie IX a affirmé que « l’Église est une société inégale dans laquelle Dieu a destiné les uns à commander, les autres à obéir ». Je vous avoue mon malaise d’être dans une Église qui a tout ce chemin à faire pour arriver à l’égalité et à l’équité du point de vue de la mission des femmes.
Nous trouvons un commencement de réponse dans la dissidence qui s’exprime à l’intérieur même de notre Église. Une dissidence qui est prête à attirer l’opinion publique sur ce qui se passe à l’intérieur de nos murs, une dissidence qui se vit au cœur d’une institution encore cléricale et qui est à mille lieues des décrets du concile Vatican II. Une réflexion d’un théologien canadien fait ressortir la connotation positive d’une dissidence qui n’attise pas les divisions au sein de l’Église mais se vit dans la communion et le respect. Je le cite : « Si la pensée de l’Église a pu évoluer au long des siècles, c’est parce que des théologiens et des fidèles — au nom d’une exigence de vérité — ont osé remettre en cause certaines affirmations de l’enseignement officiel. Il n’est pas interdit de reconnaître dans leur dissidence l’œuvre de l’Esprit. »
J’affirme que le concile Vatican II a fait ressortir ce rôle positif de la dissidence dans l’évolution de l’Église catholique romaine. Les développements doctrinaux de Vatican II auraient été impossibles sans les prises de position de penseurs catholiques comme Congar, de Lubac, Teilhard de Chardin, John Courtney Murray, pour n’en nommer que quelques-uns. Ces hommes d’Église étaient mus par la vérité et prêts à vivre leur dissidence jusqu’à l’exil, dans un silence forcé qui leur a fait mal.
Naïvement peut-être, mais lucidement et sans trop de témérité j’espère, j’ose croire à un dégel de la mission de la femme dans notre Église, bien que cette Église ne soit pas une démocratie, bien qu’elle apparaisse comme une institution hiérarchique où le pouvoir est romain, mâle et célibataire, et qu’elle soit souvent soumise à l’influence castratrice de la Curie romaine. Jusqu’où peut aller une Église hiérarchique dans la voie de l’égalité entre hommes et femmes ? Comment peut-elle être plus délibérante qu’autoritaire quant à cet aspect de la mission de la femme dans l’Église aujourd’hui ? Comment peut-elle être transparente dans ses questionnements, qui sont aussi les nôtres, afin de ne pas dissimuler sa fragilité ?
En ce temps de Carême qui nous conduit vers la fête de Pâques, on peut poser ainsi la question : quels passages, quelle pâque aurons-nous à vivre comme Église pour que la mission de la femme soit équitable aujourd’hui au sein de notre Église ?
Moncton (Nouveau-Brunswick), le 11 mars 2006
Dans le cadre de la journée internationale de la femme, le Comité diocésain pour les femmes en Église de l’archidiocèse de Moncton tenait son atelier de ressourcement annuel le samedi 11 mars 2006. L’archevêque de Moncton était présent, de même qu’une dizaine de membres du clergé et quelques centaines de laïques, hommes et femmes. L’atelier comprenait une table ronde formée de quatre invités, deux hommes et deux femmes.
Ce texte a été publié dans la revue Culture et Foi
- Les femmes dans la mission de l’Église aujourd’hui - 11 mars 2006