Une recension du livre d’Anne Soupa, Dieu aime-t-il les femmes?, Médiapaul, Paris, 2012, ISBN : 978-2-7122-1248-3.
par Michel Couillard
Selon le site Internet Wikipédia, Anne Soupa, née le 1er avril 1947, est une bibliste spécialisée dans la vulgarisation biblique. Elle est cofondatrice du Comité de la jupe et de la Conférence catholique des baptisé-e-s francophones.
Le site Femmes et Ministères ajoute qu’elle est diplômée de l’Institut d’études politiques de Paris, titulaire d’une maîtrise en droit et d’une maîtrise en théologie. Elle est, entre autres, auteure de Dieu aime-t-il les femmes? (Médiaspaul, 2012), Douze femmes dans la vie de Jésus (Salvator, 2014) et François, la divine surprise (Médiaspaul, 2014).
Voici donc un résumé du livre en titre ainsi que ce qui me semble en être les forces et les faiblesses.
Je conclurai par des pistes de réflexion.
Résumé
Les premiers éléments de réponse à la question du titre sont étonnants. Ce que fait d’abord l’auteure, c’est de corriger la méconnaissance des fondements bibliques. Ce qu’on nous a toujours appris était faux. La Genèse affirme plutôt que l’homme et la femme sont foncièrement égaux entre eux et libres de créer ce qui fait leur masculinité ou leur féminité.
Puis, elle vérifie ce qu’en dit le reste de la Bible.
La Bible est si vaste qu’on y trouve ce qu’on y cherche. L’importance de la présence des femmes dans la Bible n’a jamais été aussi visible qu’aujourd’hui parce que, justement, plus de femmes la lisent et la découvre. L’homme et la femme y sont présentés foncièrement égaux et libres. Trop longtemps, l’interprétation machiste des textes a prévalu.
Dans le Nouveau Testament, l’auteure compare Jésus au buisson ardent qui ne se consume pas. Les femmes ont été transportées d’amour pour Lui et Il leur a attribué des rôles de premier plan.
L’auteure présente ensuite la façon dont l’Église s’est comportée et se comporte encore envers elles. De la réforme grégorienne jusqu’à la femme made in Vatican on découvre comment et pourquoi les femmes sont rejetées, méprisées et exploitées.
Perles de la Bible
L’auteure appuie ses affirmations sur un savoir exégétique étonnant.
Première découverte : dans les traductions de la Bible à notre disposition, le mot hébreu « ha’adam » est habituellement traduit par le mot « homme » dans le premier autant que dans le deuxième récit de la création de la Genèse (Gn 1, 26-27). Depuis des siècles, tout le monde accepte que la Bible parle dès le début de l’« homme » mâle. Ce mot devrait plutôt se traduire de fait par « la personne humaine ». C’est à la fin du récit seulement qu’on retrouve les mots désignant les humains sexués : « mâle et femelle il les créa. »
Mais quelle est donc la différence entre eux s’ils sont égaux? La Bible est silencieuse sur ce point. C’est la deuxième découverte exégétique. Le mot hébreu « çela », invariablement traduit par le mot « côte » dans nos traductions signifie en fait « côté », il désigne, par exemple, l’un des deux battants d’une porte ou un des côtés de l’arche d’alliance.
Troisième découverte exégétique, la différenciation des sexes n’est accompagnée dans la Bible d’aucune illustration de ce en quoi consiste cette fameuse différence. C’est le silence de la Bible qui est éloquent ici.
Quatrième découverte, cette liberté d’être, reconnue implicitement dans la Bible, est aussitôt brimée par la première prise de parole humaine. C’est l’homme qui s’exclame en voyant la femme. Il se parle à lui-même au verset Gn 2, 23 : « Pour le coup, c’est l’os de mes os et la chair de ma chair… ». Par-delà la joie exprimée, cette exclamation « porte en elle la convoitise de l’homme, si ancienne qu’elle jaillit de ses premiers mots. » (p. 23). Il prend possession de la femme en la définissant et elle, elle garde silence.
Coquilles de l’Église.
Les réformes des papes Grégoire VII et Innocent III ont définitivement évacué les femmes de l’Église (tous les laïcs en fait) afin de laisser le champ libre aux seuls clercs mâles célibataires. Pour justifier cela, les femmes ont été associées à l’emprise irrésistible de la sexualité et elles ont été rejetées.
Maintenant qu’un nombre grandissant d’États se sont engagés sur le chemin de l’égalité et de la parité entre les sexes, l’écart et l’incompréhension ne cesse de grandir entre l’Église et les peuples.
Dieu aimera-t-il moins Sophie parce qu’elle ne s’est pas conformée aux codes sociaux ou ecclésiaux de son époque?
« Ne soyons pas dupes, pourfendre les velléités égalitaires des femmes… n’est pas autre chose qu’une lutte corporatiste. » (p. 111)
Devant les problèmes posés par la place des femmes, l’Église, dépassée, a vraisemblablement décidé de ne rien faire sauf user de critiques et de flatteries afin d’imposer sa vision. Le Magistère utilise les symboles et les langages à sa convenance.
« Les arguments qui ont présidé à la réforme grégorienne sont depuis longtemps caducs… » (p. 129). Cette réforme a remis entre les mains des seuls clercs les trois « munera » (charges) de l’Église : l’enseignement, le gouvernement et la sanctification. Que les femmes ne puissent ni proclamer l’Évangile (enseigner) ni participer à la conduite de l’Église (gouverner) est un signe de tutelle incompatible avec la promesse du Salut. Pour le presbytérat, l’auteure estimant qu’il est en crise, le moment lui semble mal choisi pour que les femmes soient ordonnées.
« Jusqu’à quand l’Église ne sera-t-elle qu’une affaire d’hommes à la fois juges et parties. » (p. 129).
Elle conclut par une proposition pour qui serait intéressé : « Un synode des femmes ». Voici l’adresse. synodedesfemmes@gmail.com
L’auteure ajoute : « Même mesure pour soi et pour autrui disait Jésus » (p. 139) et pour la femme autant que pour l’homme, chacun ayant des talents à développer librement.
FAIBLESSES :
Il aurait été intéressant que l’auteure explique davantage en quoi consiste pour elle la crise du sacerdoce. Elle nomme l’expérience de l’Église anglicane où l’ordination des femmes fait encore beaucoup de vagues. On peut comprendre à partir de ce qu’elle dit de la réforme grégorienne. Les raisons qui ont justifié cette réforme disciplinaire n’existent plus aujourd’hui contrairement à ses effets dévastateurs. La réforme grégorienne infantilise tous les laïcs en plus de caricaturer les femmes. De l’autre côté de la clôture, ce n’est pas plus drôle. Les prêtres sont soumis à un joug strict de la part de leurs évêques. Ils ne sont à peu près pas consultés1 et doivent obéir en tout. Ceux qui ne le font pas le payent très cher. On n’a qu’à penser aux abbés Raymond Gravel et Robert Jolicoeur ou encore à Mgr Gaillot. Comment alors les femmes pourraient-elles vivre le sacerdoce de façon équilibrée? Elles devraient, en toute logique, comme les autres prêtres, adopter les positions rétrogrades de l’Église?
FORCES :
En plus d’excellentes connaissances exégétiques, Mme Soupa a un grand talent de vulgarisatrice et un bon sens de l’humour. Du coup, le texte est percutant et abordable. La fenêtre qu’elle ouvre sur la condition des femmes dans l’Église permet de comprendre beaucoup plus la condition de tous les laïcs comme la condition des prêtres. Ce que l’Église fait aux femmes percute sa mission même. C’est le moyeu du cercle vicieux.
PISTES DE RÉFLEXION :
Les quatre découvertes exégétiques du début du livre m’ont d’abord étonné. J’ai senti le besoin de vérifier la fiabilité des affirmations. Puis, une fois rassuré, elles m’ont réjoui. Quelle richesse dans les relations que Dieu a créée entre Lui et les humains, entre l’homme et la femme!
Le pape François veut manifestement faire davantage vivre l’Évangile. Malgré ses prodigieux efforts dans plusieurs domaines, il n’a pas fait de mouvement important concernant les femmes. On comprend mieux pourquoi après avoir lu Mme Soupa. Elle nous fait prendre conscience de l’énormité de la corvée à abattre.
Je pense que la condition des femmes n’est pas un élément parmi d’autres. Elle est imbriquée dans les causes de la corruption de l’Église et de sa paralysie.
L’auteure constate que devant la condition féminine l’Église a malheureusement décidé de ne rien faire. S’il fallait que l’Église bouge un seul élément, comme l’ordination des femmes au diaconat par exemple, tout l’édifice risquerait de s’écrouler. Comment en effet justifier que les femmes soient dignes d’un ministère et non des autres?
Mgr Eychenne, évêque de Pamiers, à l’occasion de la réunion annuelle des évêques français à Lourdes en novembre 2016 a déclaré : « N’est-ce pas Dieu qui a choisi de nous envoyer moins de prêtres ? »2 N’est-ce pas plutôt l’Église qui a choisi de ne pas accueillir les prêtres que Dieu lui envoie? À sa défense, il ajoute : « Ne faisons-nous pas un mauvais usage du prêtre qui est le tout de l’Église? … que d’autres missions soient portées par des laïcs. » Assisterions-nous à un début de changement? Le livre de Mme Soupa me donne plutôt à penser que ces déclarations d’ouverture ne seraient qu’une autre façon de calmer le jeu.
Une prise de conscience approfondie de la place centrale de la condition féminine dans l’Église devrait être une motivation supplémentaire pour les hommes déjà sensibilisés à la relance de l’annonce de l’Évangile.
Par conséquent il serait nécessaire d’appuyer les efforts de Mme Soupa et de ses collègues afin de créer une véritable solidarité entre les femmes et les hommes laïcs catholiques. Est-ce que le synode proposé par l’auteure serait le meilleur véhicule pour réaliser cette tâche? Cette action aurait au moins le mérite d’une prise de parole, qui, appuyée sur la Parole, pourra dénoncer plus efficacement tantôt les critiques, tantôt les flatteries du Magistère qui, en bon politicien, esquive les questions de fond. En tout cas, il vaudrait au moins la peine d’essayer, quitte à changer après évaluation. Mais où trouver les ressources pour un tel projet? Un obstacle important parmi d’autres : comment relier efficacement entre eux les baptisés de tous les continents afin d’assurer une portée planétaire à ces travaux? Peut-être que les moyens de communication électroniques pourraient être utiles. Un tel mouvement provoquera certainement des réactions. Comment assurer l’aspect positif du mouvement?
Michel Couillard
Asbestos, le 7 novembre 2016
NOTES
1 Belgicatho, « Le mal-être des prêtres », 11 octobre 2016.
- Dieu aime-t-il les femmes? – recension - 7 novembre 2016
Me semble-t-il que tout a été dit et redit.. Je suis d’accord pour dire que la situation des laïcs ressemble à la condition des femmes dans le magistère de l’Église. Cependant l’accès des hommes même mariés (cf anglicans réfugiés en notre Église) aux diverses fonctions du magistère est ouvert depuis toujours. Loin d’être reconnu pour les femmes maintenues dans des rôles de services parce femmes…
Enfin!