Ce texte est une des présentations faites lors d’un atelier organisé par le groupe Maria’M dans le cadre du Forum mondial théologie et libération tenu au sein du Forum social mondial de 2016 à Montréal, en août 2016. Il reprend les idées fortes d’une démarche originale et unique de dialogue interreligieux, celui de féministes qui enracinent leur engagement pour l’égalité et la justice sociale dans leurs traditions religieuses respectives tout en réfléchissant à la transformation de celles-ci par leur lutte féministe.
Il a été publié sur le site du Centre Justice et Foi et est reproduit avec les permissions requises.
Du point de vue de mon engagement professionnel, la possibilité de participer au groupe Maria’M m’a tout de suite séduite. Je travaille en effet pour le Conseil canadien pour les réfugiés (CCR) qui est profondément influencé par des groupes religieux, tout en étant un organisme laïc. Les Églises et des organismes juifs ont joué un rôle clé dans sa fondation, et les organismes religieux y sont toujours des acteurs importants. Depuis quelques années, une conversation se poursuit au CCR concernant la motivation inspirée par la foi qui guide plusieurs participants, chacun selon sa religion.
Qui plus est, l’accueil des réfugiés est souvent une occasion de contact interreligieux, notamment lorsqu’une congrégation ou une communauté religieuse parraine des réfugiés d’une autre confession. Dans le contexte actuel, l’islamophobie constitue malheureusement un obstacle important auquel doivent faire face de nombreux nouveaux arrivants, ce qui donne toute sa valeur et son importance au dialogue entre personnes musulmanes et chrétiennes.
Le groupe Maria’M, un dialogue féministe entre chrétiennes et musulmanes, est en lui-même un projet de justice sociale. Le simple fait que des femmes s’organisent pour parler de féminisme et de religion va à l’encontre des structures et des stéréotypes qui nous oppriment. Le féminisme et la foi sont en effet perçus dans les représentations dominantes comme des univers antithétiques et irréconciliables.
Par notre dialogue, nous défions de plus l’attente trop répandue, dans la société en général et encore plus dans nos religions, qu’il revient aux hommes de prendre la parole. C’est malheureusement souvent le cas en ce qui concerne les porte-paroles de nos traditions religieuses.
La société n’encourage pas non plus les liens entre les représentants de différentes religions. Chacune de notre côté, nous fréquentons des lieux de culte et nous circulons dans des réseaux distincts : rares sont les occasions de nous fréquenter. Les préjugés contre les personnes musulmanes dans notre société s’expliquent, entre autres, par cette séparation et contribuent à la renforcer.
La justice sociale au cœur du dialogue
La préoccupation en faveur de la justice sociale est au cœur de la démarche du groupe Maria’M. Elle l’est d’abord dans la méthodologie qu’il emprunte. Conscientes de l’importance du principe d’égalité, les membres de groupe s’efforcent d’équilibrer la diversité interne et la prise de parole. Dans une société où les personnes musulmanes sont non seulement minoritaires, mais également défavorisées dans l’accès au pouvoir, cette recherche d’égalité est une lutte constante. Le groupe Maria’M est donc un projet qui rame à contre-courant, une caractéristique commune à ceux et celles qui œuvrent pour la justice sociale.
Le souci de représentation équitable implique par ailleurs de représenter la diversité qui existe au sein même de chaque tradition. Je suis pour ma part anglicane et, de ce fait, je représente une minorité tant religieuse que linguistique dans le contexte du Québec contemporain. J’ai aussi le devoir d’être consciente du contexte colonial et du rôle historique de l’Église anglicane au Québec et dans le monde.
Il n’y a pas si longtemps, les anglophones, dont beaucoup étaient anglicans, se trouvaient dans une position dominante à Montréal. Ceci est illustré encore aujourd’hui par l’emplacement privilégié de la cathédrale anglicane au centre-ville, rue Sainte-Catherine. Sous l’Empire britannique, l’Église anglicane a joué un rôle de partenaire dans le projet colonial. Les structures actuelles de l’Église au plan international continuent de suivre le modèle impérial : le leader spirituel de la communion anglicane est l’évêque en chef de l’Église d’Angleterre. Ces réalités font partie du contexte dans lequel nous essayons de créer des relations égalitaires.
L’invariant colonial
La dimension coloniale, qui n’est pas réductible au passé, s’invite ainsi dans les réflexions du groupe Maria’M, notamment à propos des peuples autochtones. Nous nous réunissons sur des territoires autochtones non-cédés, sans avoir de membres autochtones – nous sommes toutes, de ce point de vue, des nouvelles arrivantes. Mais, à la différence des musulmanes, la majorité des chrétiennes du groupe sont membres d’Églises qui ont joué un rôle dans l’oppression des Premières Nations. C’est le cas de l’Église anglicane.
De nos jours, nous sommes particulièrement conscientes du rôle central des Églises dans les pensionnats autochtones. Ceux-ci ont été, pendant plus d’un siècle, des lieux de violences physiques, psychologiques, émotionnelles et culturelles pour des milliers d’enfants autochtones. Après les excuses offertes par les Églises impliquées, la Commission de vérité et réconciliation a proposé aux chrétiens et chrétiennes du Canada une autre étape dans le processus de prise de conscience de cette injustice historique. Un élément essentiel de celle-ci est l’éducation et la sensibilisation par rapport aux réalités vécues par les Autochtones dans les pensionnats. Au sein du groupe Maria’M, nous avons pris le temps de réfléchir à cet enjeu primordial de justice sociale, tout en notant que la responsabilité des Églises dans l’affaire imposait aux chrétiennes un rôle différent de celui des musulmanes.
La réflexion sur les suites de la Commission de vérité et réconciliation nous a menées à la notion de relations basées sur des traités. Pour de nombreux peuples autochtones, les traités qu’ils ont signés avec les pouvoirs coloniaux demeurent le cadre essentiel au sein duquel des relations saines peuvent être établies. Il peut paraître étrange que le respect des traités n’ait pas eu plus d’importance pour les Européens et leurs descendants, qui pratiquaient une religion dans laquelle la notion de relation d’alliance joue un rôle primordial. Le concept de traité peut nous aider à envisager des relations plus justes, tant entre Autochtones et non-Autochtones, qu’entre musulmanes et chrétiennes.
L’auteure est directrice du Conseil canadien pour les réfugiés (CCR).