À quelques jours de la journée internationale des femmes, nous entrons en Carême. Quarante jours. Quarante jours d’attente et de conversion. Quarante jours de retour en soi pour vivre une transformation. En principe, nous sommes en route vers la lumière. Je dis en principe car cette année, j’ai l’impression que la lumière vacille. Je prends conscience qu’il m’est impossible de parler de mon travail en Église et du travail en Église de mes amies sans aborder les conséquences, pour nous, des différents scandales qui bousculent l’Église catholique romaine.
Pour la première fois, lors de discussions entre amies, j’entends des remises en question profondes de leur engagement au sein de l’Institution. J’observe une distanciation de ce « nous » ecclésial. En fait, je sens une cassure, réelle, avec le modèle d’Église actuel qui favorise, qui privilégie dois-je dire, un groupe particulier et qui entretient le désir de toute-puissance de plusieurs. Un modèle qui, s’il était appliqué dans nos propres familles, conduirait probablement beaucoup de nos garçons à des troubles de comportements. Oui, pour la première fois, je sens un vrai manque de crédibilité. Je dirais même que c’est sérieux. Ça ne passe plus.
Le regard de certaines agentes s’est durci, il est même lointain, voire indifférent. Même si je voulais parler d’espérance, de nos bons coups, de ce qui nous anime profondément et qui nous fait marcher à la suite de Jésus Christ, j’en serais incapable pour l’instant. Je serais même incapable de parler de pardon ou de miséricorde envers les responsables des scandales sexuels et d’abus de pouvoir. Il y a une colère de fond chez certaines de mes amies agentes, chez moi aussi, à sentir que les discours sur la coresponsabilité ou la place de la femme en Église semblent servir à recouvrir les écarts de conduites de certains de nos collègues. L’image qui m’habite est l’image d’une mère ou d’une fille qui ramassent les jouets que le fils ou le frère ont cassés et qui diraient que tous les membres de la famille sont coresponsables de cette situation. Ce discours ne passe plus. Pour ma part, collectiviser les conséquences néfastes d’une Église patriarcale constitue même un manque de respect envers les personnes qui n’ont rien à voir avec la situation actuelle de l’Église.
Pour beaucoup de femmes en Église, agentes de pastorale ou religieuses, l’une des causes majeures des scandales actuels est liée au pouvoir. Et ces scandales sexuels ravivent les blessures non guéries, la parole non entendue de femmes et d’hommes qui ont voulu une Église différente dans laquelle les rapports ne sont pas fondés sur la fonction, mais en humanité. Sans vouloir choquer, je dirais que cela nous ramène surtout à nos propres relations de travail en paroisse qui sont souvent teintées de cette idéologie de pouvoir lié au presbytérat. Comment faire semblant? Faire semblant que les projets pastoraux en paroisse sont portés par l’équipe alors que, très souvent, le prêtre est très peu présent ou engagé? La diminution du nombre de prêtres n’est pas une raison valable, à nos yeux, pour excuser leur manque d’intérêt. La qualité de présence ne dépend pas du nombre d’heures travaillées. Comment faire semblant de travailler en coresponsabilité alors que très souvent la coordonnatrice doit elle-même s’assurer que les tâches relatives aux dossiers portés par le prêtre ont été faites? Comment faire semblant que nous travaillons en équipe alors que le prêtre peut décider, sans qu’il y ait consensus, de l’instauration ou non d’un projet pastoral seulement à partir de sa fonction presbytérale? Il n’est plus possible de faire semblant.
Bien sûr des personnes me diront que le pouvoir est aussi exercé par des femmes et que ce n’est pas seulement une question liée au presbytérat. Il se peut qu’elles aient intériorisé le discours dominant et reproduisent le même mode de fonctionnement. Mais je crois que c’est plutôt une excuse évoquée pour ne pas remettre en question la structure actuelle qui ne favorise pas une culture partenariale.
Pour ma part, je vois plutôt des femmes engagées, qui pallient le manque de ressources, travaillant beaucoup plus qu’elles ne le devraient. De plus, les agentes et les coordonnatrices exercent très souvent des tâches qui ne sont pas liées à leurs propres dossiers. Toujours portées au front, elles sont les premières à recueillir les doléances et les critiques, à ramasser les pots cassés, à excuser, à justifier. Elles reçoivent rarement de cadeaux, de privilèges ou de bons mots pour leur travail dans l’ombre. Elles n’ont jamais droit à l’erreur. Je ne suis pas surprise de constater que plusieurs agentes ne souhaitent pas occuper la fonction de coordonnatrice. Elles ne veulent pas avoir à tout faire seule ou presque. Elles ne veulent pas jouer à la mère.
Travailler en paroisse, dans un contexte d’implosion graduelle, nous demande beaucoup de polyvalence, de flexibilité et d’adaptation. Cela nous demande surtout d’être à l’écoute, de savoir mettre nos limites, d’apprendre à dire non et ne plus prendre la responsabilité des autres sur nos épaules. Travailler dans un contexte où nous devons mettre les bouchées doubles, faute de ressources, met en évidence certaines contradictions que nous voyons chaque jour, notamment la différence entre servir et se servir.
Au début de mon texte je disais être incapable de parler d’espérance. Ce n’est pas tout à fait vrai. Là où je sens la lumière c’est dans la solidarité entre agentes qui découvrent des façons de travailler ensemble, travail qui n’est plus nécessairement vécu en équipe pastorale, mais qui est lié à des affinités personnelles ou interparoissiales. Elles se regroupent autour de projets, d’enjeux ou de dossiers communs. Elles sortent de leurs équipes pastorales pour se soutenir mutuellement dans ce qu’elles vivent et elles exercent une vraie culture partenariale. La diminution des ressources humaines, matérielles et financières amène de nouvelles solidarités entre les agentes; des stratégies de travail et de fonctionnement axées sur la complémentarité, la reconnaissance de nos compétences et de nos talents qui sont mis au service de notre Église.
Nous entrons en carême. Quarante jours d’attente et de conversion pour laisser entrer la lumière du Ressuscité dans nos vies. Pour moi et pour plusieurs de mes amies agentes, re-susciter la vie passe d’abord par nos relations authentiques, fondées sur la vérité et la nécessité de porter un regard lucide sur les réalités vécues en Église. Combien de temps durera cette période de tourments et de tourmentes? Combien de temps brûlera ce grand feu? Nulle ne peut prévoir. Y-aura-t-il un nouveau printemps? Quel sera-t-il? Pour l’instant, notre travail en Église se vit au jour le jour, dans un climat d’incertitudes de toutes sortes. Mais je sais que les femmes qui travaillent en Église souhaitent ardemment que le feu de l’Esprit Saint continue à souffler pour que naisse une Église en laquelle nous croyons.
Saint-Jean sur Richelieu (Québec),
le 6 mars 2019
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« Tourments et tourmentes » avez-vous dit? Cette écriture en JE m’aide beaucoup à apprivoiser le vécu personnel et professionnel d’une agente de pastorale, sa quête de relations saines et vraies. J’apprécie que l’article nous fasse voir le passage d’une expérience douloureuse à l’invention de nouvelles pratiques de recherche et de partage qui re-donnent l’espérance en ouvrant d’autres chemins.
Merci Christiane d’avoir écrit de ce que plusieurs femmes pensent et vivent en Église… Vive les solidarités féminines et féministes !
Eileen Perry, répondante pour la condition des femmes au diocèse de Gaspé
Christiane, Merci de ce bon et beau texte, simplement écrit, sans aucune malice et rempli de vérité. Il me vient le titre d’un livre de Mgr Bernard Hubert : « Il faut que l’Église parle ». Votre texte dit tout haut ce que beaucoup de monde pense tout bas. Personnellement j’adère à vos propos. Merci d’être « parole d’Église ». Continuons à semer nos solidarités et nos coresponsabilités paroissiales. Merci de faire parti de cette église. Merci d’être là femme que vous êtes. Bon 8 mars ! ! !