​Un trésor caché : les textes bibliques exclus de la liturgie

Connaissez-vous bien la Bible? Si la messe est le seul endroit où vous prenez contact avec les Écritures, vous risquez de passer à côté de textes forts intéressants. Des femmes, des questionnements existentiels et des émotions humaines pourtant présents dans la Bible ne font pas partie de nos liturgies. Voici quelques éléments bibliques à la fois importants et mis à l’écart de la liturgie.

Imaginez une messe sans lecture de l’Ancien Testament. Imaginez lire un seul Évangile, celui de Matthieu, lors des messes du dimanche. C’était la situation entre le concile de Trente (16e siècle) et le milieu du 20e siècle. Le concile Vatican II a pris acte de l’extrême pauvreté biblique des liturgies. Il reconnaît « l’importance extrême » des Écritures et invite à promouvoir le « goût savoureux et vivant » de la Bible (Sacrosanctum Concilium, 21). Un changement de cap majeur était donc donné : « Pour présenter aux fidèles avec plus de richesse la table de la Parole de Dieu, on ouvrira plus largement les trésors de la Bible pour que, en l’espace d’un nombre d’années déterminé, on lise au peuple la partie la plus importante des Saintes Écritures » (51).

L’organisation d’un lectionnaire dominical sur trois ans et la proclamation de trois lectures et d’un psaume lors des messes du dimanche ont certainement réussi à permettre une lecture plus abondante, plus variée et mieux adaptée de la Bible. Pourtant… il reste encore des textes exclus qui portent de belles richesses.

La sagesse

La tradition de la sagesse biblique est très peu lue lors des liturgies. Parmi les raisons de cette exclusion, on retrouve l’absence de référence à l’histoire du salut, au messianisme, à l’alliance, aux révélations et aux commandements. Pourtant, les livres comme Job et Qohélet traitent de questions pertinentes pour aujourd’hui. Comment comprendre la souffrance et l’injustice? La vie a- t-elle un sens? Que pouvons-nous transmettre aux générations qui nous suivent? Peut-être les liturgistes ont-ils jugé ces livres trop pessimistes. Or, ils permettent d’ouvrir un dialogue authentique à partir de questions que se posent les gens d’hier comme d’aujourd’hui sur la condition humaine.

L’amour et la sexualité

Quel dommage que le Cantique des cantiques soit presque lu uniquement lors de mariages! Ce texte a beaucoup à dire sur le rapport à l’amour et la sexualité. Pour contrer des siècles de discours moralisant sur la question, quoi de mieux que ces poèmes décrivant de façon positive la découverte du plaisir d’une relation amoureuse?

Pour plusieurs, le Cantique porte une métaphore qui parle de l’amour de Dieu. À juste titre, le rabbi Akiba (1er siècle) disait que si les livres de la Bible sont tous saints, le Cantique des cantiques est le Saint des saints. Censurer ce texte, c’est se couper d’une façon de parler de notre relation avec Dieu, se priver d’un rapport positif à l’amour et à la sexualité et se priver d’une prise de parole féminine importante puisque plus de la moitié des versets sont énoncés par une femme.

La violence

Plusieurs textes bibliques ne sont pas utilisés dans la liturgie à cause de la violence qu’ils portent. Par exemple, les psaumes sont littéralement découpés en morceaux pour garder ce qui ne choque pas trop. Il faut reconnaître que la vengeance violente des derniers versets du psaume 136 n’est pas particulièrement facile à porter en prière. Cependant, ce découpage soustrait à notre prière des émotions fortes portées par les psaumes. Je vous invite à lire les psaumes directement dans la Bible pour accéder à leur version intégrale. Vous y verrez une façon authentique de prier à partir de nos vraies émotions : peur, tristesse, joie, colère… Il n’y a rien de mieux pour donner de la vie à notre prière.

Les femmes

Une analyse méticuleuse de Ruth Fox révèle les multiples façons par lesquelles le lectionnaire minimise les textes bibliques concernant des femmes!, Certains livres offrant une perspective féminine, comme Ruth ou le Cantique des cantiques, ont peu de place dans la liturgie. Deborah, prophétesse et juge, est également ignorée dans le lectionnaire. Dans le Nouveau Testament, le Magnificat, un cantique important de Marie, n’est jamais lu le dimanche! Plusieurs découpages de textes font un choix explicite d’exclure des personnages féminins. Vous connaissez Shiphra et Puah? Ces deux femmes montrent un courage exceptionnel pour sauver les enfants hébreux du pharaon, mais la lecture de ce récit saute les versets qui les mentionnent. Connaissez-vous Phœbe? La lettre aux Romains mentionne qu’elle est diacre. C’est probablement elle qui a porté et lu la lettre aux chrétiens de Rome puisque Paul leur demande de l’accueillir. Lorsque cette lettre est lue, les deux versets qui la concernent sont omis. La liste des femmes omises est trop longue pour cet article, mais ces exemples montrent qu’il y a d’importantes lacunes.

Des femmes, des questionnements existentiels et des émotions humaines pourtant présents dans la Bible ne font pas partie de nos liturgies. Que faire? Certaines Églises protestantes qui ont adopté le lectionnaire catholique ont proposé des lectionnaires alternatifs pour puiser au trésor caché. Peut-être que nos liturgistes et nos évêques pourraient travailler en ce sens. Au niveau local, les équipes pastorales peuvent user de créativité pour ouvrir les Écritures. Personnellement, nous pouvons aussi décider de prendre contact avec la Bible en dehors des liturgies pour goûter aux saveurs complexes qu’on y retrouve.

Sébastien Doane
sebastien.doane@ftsr.ulaval.ca

Ce texte a été publié dans la revue Notre-Dame-du-Cap de mars 2019
et est reproduit avec les permissions requises.

Pour avoir accès à l’article qui inspire cette réflexion :
https://www.futurechurch.org/les-femmes-de-la-bible-et-le-lectionnaire

 

 

Sébastien Doane

A propos Sébastien Doane

Sébastien Doane, Ph. D. en études bibliques, est professeur à la faculté de théologie et de sciences religieuses de l‘Université Laval (Québec). Il y est titulaire de la Chaire de leadership en enseignement Marcelle-Mallet en exégèse biblique. Sa passion est de transmettre le goût de lire et de mieux comprendre la Bible. Il participe régulièrement à des émissions de radio et a à son actif plusieurs plusieurs publications.
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