Lire : Marc 6, 3 ; Luc 1, 26-56.78-79 ; 2, 1-7
Il existe à Wellington, en Nouvelle-Zélande, une vieille cathédrale anglicane dont la structure et les décors intérieurs sont entièrement en bois. J’aurais aimé observer les charpentiers à l’ouvrage, tandis qu’ils en assemblaient patiemment les poutres et les chevrons. Ils participaient à une œuvre qui les dépassait en élevant ce grand vaisseau de bois destiné à faire naviguer les cœurs vers le ciel.
Jésus, nous apprend l’évangile de Matthieu, était « le fils du charpentier » (Mt 13,55). L’évangile de Marc, plus ancien, oublie Joseph et présente Jésus lui-même comme un charpentier, en précisant qu’il est fils de Marie. Par un raisonnement d’une justesse implacable, je peux donc affirmer que Marie était la mère d’un charpentier. Mais que peut-on tirer de ce constat somme toute banal?
Le grand œuvre de Jésus
On appelle « grand œuvre » la réalisation la plus remarquable d’un artiste ou d’un penseur, celle qui couronne les efforts de toute sa vie. Jésus le charpentier aura laissé comme grand œuvre une simple croix de bois par laquelle, en même temps que son souffle exhalé dans un grand cri (Mc 15,37), il aura chassé la mort de tout tombeau et édifié une cathédrale d’espérance.
Telle mère, tel fils
Tel père, tel fils, dit le dicton. Osons le corriger en « telle mère, tel fils ». Autrement dit, Jésus le charpentier est le fils de la charpentière. Mais de quelle charpente Marie aurait-elle été l’artisane? Une petite visite des deux chapitres qui ouvrent l’évangile de Luc s’avère ici incontournable.
Tout projet, nous explique Jésus quelque part (Lc 14,28-33), demande réflexion pour bien prendre la mesure de ses exigences. Pourtant, Marie semble entrer très vite dans celui que lui dévoile Gabriel. « Comment cela sera-t-il » dit celle qui, d’emblée, semble déjà convaincue que « cela sera » (Lc 1,34). Une fois précisée la manière, elle se déclare aussitôt « esclave du Seigneur ». Quelles sont les conditions qui rendent possible une adhésion aussi spontanée?
L’Annonciation selon Fran Angelico (détails)
La femme au livre
Dans la scène de l’Annonciation peinte par le grand Fra Angelico pour le couvent San Domenico de Fiesole, un livre ouvert tient posé sur les genoux de Marie. Imagination d’artiste? Non pas, mais intuition confirmée par la lecture du Magnificat (Lc 1,46-55). Dans sa seconde partie, Marie relève les multiples expressions de la miséricorde de Dieu au fil de l’histoire du salut. Elle se montre ainsi une lectrice assidue des Écritures dont le murmure continu a affiné son oreille. Placée en permanence sous la Parole, elle lui est tout naturellement « obéissante » – il faut savoir que verbe grec hupakouô (obéir) signifie littéralement « entendre sous ».
Le « grand œuvre » de Marie
C’est donc sans résistance aucune qu’elle accepte de participer au grand œuvre de Dieu : ses entrailles de femme prendront le relai des entrailles divines pour que « l’Astre levant d’en haut » puisse visiter et illuminer tous ceux et celles que « ténèbres et ombre de mort » retiennent captifs (voir la fin du Benedictus de Zacharie, Lc 1,78-79).
Rempli du Souffle, Zacharie, le père de Jean le Baptiste, désigne dans son cantique le lieu originaire où se tissent ensemble, indissociablement, vie et salut : les « entrailles de miséricorde de Dieu » (traduction littérale de 1,78a). C’est par les entrailles divines que nous arrive l’aurore qui dissipe toute obscurité mortifère.
Quelques versets plus loin (Lc 2,7), les entrailles de Marie s’ouvrent pour donner au monde un enfant. Petit. Vulnérable. Mais déjà, de sa mangeoire dans la Maison du pain (sens de « Bethléem »), il est vraie nourriture offerte à toutes les faims humaines.
Le grand œuvre de Marie? Un ajustement total à celui de Dieu, la touche humaine qu’il fallait pour que la Lumière traverse de chez Dieu jusqu’à nous. Ce mystère ineffable la dépassait et nous dépasse aussi.
Anne-Marie Chapleau
Le 4 mars 2019
Texte publié sur le site interBible.org et reproduit avec les permissions requises.
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