Inspirées par les femmes d’Amazonie,
nous prenons nos responsabilités
Rome, le 13 février 2020
Hier, l’exhortation postsynodale Querida Amazonia a été publiée. Elle aborde avec beaucoup de sensibilité les problèmes de pauvreté, d’exploitation, de colonisation culturelle, de migration et de dégradation de l’environnement auxquelles la région d’Amazonie est actuellement confrontée. Elle encourage le dialogue et l’appréciation de la contribution unique des peuples autochtones à la structure de l’Église universelle.
Le plus frappant dans cette exhortation, c’est qu’elle ne résout pas les grands dilemmes posés au Vatican par le document préparatoire au Synode. Au contraire, il semble que ce document ait servi à un autre retrait de toute proposition concrète ou audacieuse de réforme et à l’apport de solutions aux problèmes urgents auxquels la région amazonienne est confrontée. Le Pape a recommandé de lire le document final du Synode, mais n’a pas réglé les problèmes et n’a pas ouvert la voie aux suggestions pastorales qu’il contenait.
L’une des questions clés soumises au Vatican par l’Église d’Amazonie était la reconnaissance officielle du ministère des femmes et le soutien sacramentel possible pour leur service consacré à l’Église. Cependant, au lieu de nouvelles propositions et de solutions concrètes, il n’y avait que cinq paragraphes intitulés « La force et le don des femmes ».
Dans cette section, le Pape parle du grand travail, souvent indispensable, que les femmes réalisent dans l’Église amazonienne, bien que ce travail ne soit pas officiellement reconnu. Malheureusement, cette appréciation du rôle des femmes non seulement perpétue, mais renforce la tradition figée de l’Église qui attribue une place « spéciale » aux femmes. Cette tradition décrit les femmes d’une manière romancée et idéalisée, suggérant que leur rôle est en quelque sorte exceptionnel et qu’il se distingue ou se situe au-delà des normes humaines. Dans cette logique, la « forme de base » de la nature humaine, objet de l’anthropologie et de la théologie morale chrétiennes, est l’homme; et la femme continue de se voir confier une tâche « spéciale », unique, qui n’inclut pas la diversité des rôles, la liberté d’action et la diversité des charismes réservées à la version « de base ».
L’expression consternante de ce mode de pensée est décrite au point 101 de l’exhortation. Le Pape écrit que Dieu a montré sa puissance et son amour à travers deux visages humains : le Christ et Marie. En les mettant côte à côte, il suggère que les hommes sont semblables au premier (le Christ) et les femmes à la seconde (Marie). Cela met de côté l’enseignement que la femme et l’homme sont créés à l’image de Dieu et qu’ainsi tous les deux sont, peuvent et doivent être un Alter Christus.
La théologie qui sous-tend cette déclaration est dangereuse car elle sert à exclure les femmes de l’accès à la totalité des moyens de salut. Car il existe une différence ontologique importante entre Jésus et Marie, même s’ils sont tous deux humains; Jésus est aussi Dieu. La base de la foi chrétienne est la conviction que le Christ a adopté la nature humaine de manière inclusive, et non pas exclusivement la nature masculine, et que grâce à cela tout être humain peut être sauvé et est en effet divinisé dans le Christ.
Bref, si les femmes ne peuvent être que l’icône de Marie, alors pourquoi les femmes sont-elles baptisées au nom du Christ? Pourquoi au baptême sont-elles appelées à être prêtres, prophètes et reines, ce qui constitue une participation au ministère sacerdotal, prophétique et royal du Christ? Comment devraient-elles comprendre l’expression Imitatio Christi, si fondamentale pour toute la spiritualité chrétienne? Surtout, sur quelle base doivent-elles être sauvées si elles ne partagent pas la ressemblance avec le Christ?
En même temps, il reste, bien sûr, la question pratique de savoir quel est ce « pouvoir caractéristique » que les femmes ont dans l’Église. Le document semble suggérer qu’il consiste à imiter la maternité de Marie. Comment cela devrait-il être compris? Comment cela devrait-il se manifester concrètement pour la communauté des croyants et des croyantes? Si nous devons les prendre au sérieux, l’évaluation et donc la validité des vocations et des charismes des femmes ne doivent-elles être confirmées que par leur ressemblance avec la maternité?
De plus, le document offre une vision convaincante d’une prêtrise inculturée imprégnée des valeurs de la pastorale. Mais, si le cléricalisme est un aspect dysfonctionnel de la prêtrise contemporaine et que l’inculturation offre une compréhension nouvelle et plus diversifiée de ce que signifie être prêtre, alors l’ordination des femmes avec toutes les qualités que le pape François leur attribue serait sûrement le meilleur antidote possible à la mentalité cléricale?
La majeure partie du document parle avec beaucoup de respect et de maturité des peuples autochtones de l’Amazonie, de leurs besoins et de leurs préoccupations. Il encourage l’Église universelle à écouter leurs opinions et leurs histoires avec sensibilité et attention. Ce qui est frappant, c’est le contraste avec le traitement réservé aux femmes dans ce même document – leurs voix n’ont manifestement pas été entendues, elles ne sont pas des partenaires égales pour façonner l’avenir de l’Église.
En dépit de ce message qui nous exclut clairement, nous, femmes du Catholic Women’s Council, ne renoncerons pas à nos espoirs et à nos vocations. Inspirées par l’exemple de nos sœurs amazoniennes dans la foi et à l’exemple de la femme syrophénicienne qui a persisté malgré la réprobation initiale de Jésus (Mc 7 25-30), nous prenons la responsabilité de notre Église entre nos mains. Unies, nous travaillerons pour l’Église qui incarne l’égalité et la dignité que nous trouvons dans l’Évangile et qui nous enseigne à suivre le Christ, qui que nous soyons.
Pour connaître les groupes et les individus signataires, voir la version originale de la lettre : https://voicesoffaith.org/conversations-1/2020/2/13/u6cwldwpcc44lf5n8j0pockjqpa326
Traduction de la lettre par Pauline Jacob