Texte de Gilles Lagacé, présenté aux messes des 7 et 8 mars 2020, à la demande d’un groupe de femmes et d’hommes de la communauté paroissiale St-Matthieu du diocèse de Gatineau. C’est à un homme qu’on a demandé d’être porte-parole parce qu’en faisant intervenir un homme, ce dimanche-ci, on réaffirme que l’équité envers les femmes n’est pas « une affaire de femmes », mais bien un objectif pour toute la communauté.
Ici, à Saint-Matthieu, les femmes autant que les hommes partagent toutes les responsabilités depuis longtemps. Malheureusement ce n’est pas le cas partout dans l’Église. Pas à cause de la mauvaise volonté de nos prêtres ou de nos évêques, mais à cause de vieilles lois de l’Église, de traditions administratives qui discriminent les femmes. Je vais vous présenter 12 points bien précis, ou, pour vivre vraiment l’Évangile, on peut rêver à des changements qui ont déjà eu lieu dans notre société civile, mais qui restent à faire dans l’Église…
- Si les femmes pouvaient être diacres. Moi je pourrais être diacre. Pas mon épouse, Françoise. Uniquement parce qu’elle est une femme. Or il y a déjà eu des femmes diacres dans les premiers siècles de l’Église. Et il n’y a aucun argument contre l’ordination de femmes diacres. Imaginez si on réservait le diaconat aux hommes blancs, ce serait un scandale. Mais dans le cas des femmes, les lois de l’Église l’interdisent encore.
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Si les femmes pouvaient faire des homélies. Bien sûr, ici, à Saint-Matthieu les femmes comme les hommes prennent la parole de diverses façons à la messe. Mais les règlements de l’Église sont précis et ont été réaffirmés par Benoit XVI : seuls le prêtre et le diacre peuvent faire une homélie, ce qui exclut donc toutes les femmes. Alors, dans beaucoup d’églises, on n’entend encore que le point de vue des hommes sur l’Évangile.
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Si les femmes devenues aumônière pouvaient administrer les sacrements. Dans beaucoup d’hôpitaux, de prisons, dans l’armée, faute de prêtres, des femmes sont devenues aumônières. Elles sont compétentes. Elles y recueillent les confidences des mourants ou des soldats. Sans doute qu’elles trouvent les mots et les gestes pour traduire l’amour de Dieu, mais elles ne peuvent pas encore accorder le pardon sacramentel ni donner l’onction des malades.
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Si des femmes pouvaient être responsables de communautés paroissiales. La loi de l’Église dit que seul un prêtre peut être responsable d’une paroisse même quand il n’y a pas de prêtre permanent. Alors on nomme un prêtre responsable de 2, 5 ou même 10 paroisses. Pour les finances, on peut nommer un laïc président des marguillers, mais pour la pastorale, c’est impossible. Bien sûr, cette restriction vise autant les hommes que les femmes. Mais, en pratique, quand l’évêque convoque ses responsables de communauté, il se retrouve entouré exclusivement d’hommes et n’entend donc que le point de vue masculin.
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Si les femmes participaient à la nomination du pape, des évêques, ou des prêtres. Dans l’Église, tous les mécanismes de nomination à tous les niveaux sont réservés aux hommes. Pour les prêtres en paroisse comme pour les évêques. Pour devenir cardinal et pouvoir élire le pape, on pense qu’il faut être évêque. La théologie et l’histoire disent le contraire : on pourrait par exemple, nommer cardinales des supérieures de communautés féminines qui ont souvent une meilleure connaissance de la « vie de terrain » que plusieurs évêques.
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Si des femmes étaient nommées ambassadrices (nonces). Les règlements exigent que les nonces soient des évêques. Mais c’est habituellement dans des diocèses fictifs où ils ne peuvent administrer les sacrements. Les nonces sont formés dans un collège réservé aux hommes et vivent entourés d’hommes. Il y en a près de 200 nonces dans le monde. Ce sont des postes-clés. Ils président à la sélection des évêques et harmonisent les relations avec les autorités civiles des pays, pour traiter de questions délicates comme la légalisation du divorce ou de la décriminalisation de l’avortement qui touchent particulièrement les femmes. Imaginez qu’on pourrait nommer des femmes comme saint Paul l’a fait en nommant Phœbée, comme ambassadrice personnelle auprès des chrétiens de Rome!
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Si les femmes avaient droit de vote aux synodes/conciles. Le droit de vote est un droit fondamental. Dans l’Église, même quand un Synode porte sur la place de la femme ou sur la famille, le Vatican n’accorde le droit de vote qu’à des hommes. Par exemple, au récent synode sur la famille, sur 253 participants, il n’y avait que 24 femmes, mais aucune n’avait droit de vote. Même la seule religieuse qui y participait n’avait pas le droit de vote alors que le représentant des communautés masculines, lui, pouvait voter! Au concile Vatican II, Il y a eu 2540 participants ayant droit de vote. Aucune femme. Zéro.
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Si les femmes participaient à la rédaction des lois qui les concernent. Ce ne sont que des hommes sans expérience conjugale qui ont rédigé Humanae Vitae sur la contraception. C’est aussi le cas du texte sur la dignité de la femme, sur les unions de fait, ou la communion aux divorcés. Bien sûr, la contraception, le divorce, le mariage concernent les hommes autant que les femmes. Mais, dans la réalité, seules les femmes deviennent enceintes et les femmes subissent davantage que les hommes les effets négatifs des divorces et de la violence conjugale.
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Enfin, imaginez que des femmes pouvaient devenir prêtres. On répète que Jésus n’a choisi que 12 hommes comme apôtres. Mais les historiens font remarquer que les apôtres ne sont qu’un des groupes à qui Jésus, puis les apôtres à leur tour, ont confié des missions. Il y avait aussi les disciples, les presbytes, les épiscopes, les envoyés, les responsables de communautés qui comprenaient plusieurs femmes. Et puis il y a le contexte historique : si Jésus n’a nommé aucune femme dans le groupe des 12 (tous des blancs, d’ailleurs) voulait-il qu’il en soit ainsi pour toujours? Les spécialistes en débattent encore. Mais Jean-Paul II a pris position contre l’ordination de femmes en affirmant que c’est à cause de la nature spéciale de la femme qui est appelée à des vocations différentes des hommes. Bien plus, il a décrété que la question est réglée à jamais et qu’on n’a plus le droit d’en discuter. En fait, la question n’a jamais été aussi discutée que depuis que Jean-Paul II a interdit qu’on en discute. Sauf à Rome.
Enfin, il reste trois formes de discrimination plus subtiles et plus étonnantes:
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Si on présentait comme modèles, comme saintes, des femmes laïques. J’ai recensé tous les individus qui ont vécu au 20e siècle, et qui ont été déclarés saints ou bienheureux. Il y en a eu 2149 dont seulement 22 femmes laïques (soit 1%). Et quel modèle de femme laïque nous propose-t-on? 6 sur 22 ont été assassinées dans une tentative de viol, 11 sur 22 sont mortes après de longues maladies en pratiquant une spiritualité basée sur la souffrance, 10 avaient moins de 20 ans, dont une fillette de 6 ans morte du cancer, deux ont refusé un avortement thérapeutique recommandé par leurs médecins. En fait, une seule sur 2149 ressemble à vous que je vois devant moi: Rafaela Ybarra, mère de 7 enfants, qui s’occupait, avec son mari, des enfants de la rue à Bilbao. Quand va-t-on déclarer saintes des femmes qui vous ressemblent et qui peuvent nous inspirer?
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Les hommes se confessent à des hommes et les femmes à… des hommes. Imaginez ce qui se serait passé si nos mères avaient pu se confesser à des femmes? Si les hommes qui battaient leurs femmes ou abusaient de leurs petites filles avaient dû se confesser à des femmes? Si les prédicateurs de retraite avaient été des femmes autant que des hommes.
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Si on parlait de Dieu au féminin comme on le fait au masculin. Ça, c’est la discrimination la plus subtile. On sait que Dieu n’est pas plus un homme qu’une femme. On comprend que Jésus ait toujours parlé de Dieu comme de son père, son papa. En fin pédagogue, il a évité de parler de Dieu comme de son père et de sa mère; ce qui aurait rendu son message confus. Mais il pouvait citer de nombreux passages de la Bible qui montrent le côté féminin, maternel de Dieu. Le problème c’est quand le Vatican insiste pour que dans tout texte liturgique, dans toutes les langues, les trois personnes en Dieu, soient traduites pas un mot masculin et le mot Église par un mot féminin. Le Vatican explique que c’est pour refléter l’image du Christ époux de l’Église. Mais à quelle image du mariage ce vocabulaire refère-t-il?
En conclusion : Je constate que dans l’administration de l’Église il y a encore des traces de tous les éléments de discrimination qu’on a maintenant interdits dans la société civile. Ils concernent le droit de parole, le droit de vote, l’accès aux postes de direction, la participation à la rédaction des lois, etc. Pourquoi acceptons-nous encore ça en Église? Moi, j’ai mal à mon Église et, en lisant l’Évangile, je rêve de mieux.
Je le répète en terminant : L’Église est pleine de gens de bonne volonté qui souhaitent que tous, femmes et hommes, puissent mettre leurs talents au service de l’Église. C’est le système, l’administration de l’Église, qui discrimine. Et c’est parce que nous aimons notre Église que nous avons choisi d’en parler aujourd’hui, la journée internationale des femmes.
Alors, partagez vos réactions, vos idées. Le premier geste de changement est toujours de prendre la parole.
Gatineau, le 8 mars 2020
Excellent, ce geste est digne de mention d’audace ecclésiale, c’est une joie de le supporter et faire connaître.
bonjour,
comment oeuvrer ?
Peut-être qu’il est temps d’impliquer les départements de Justice civile pour changer cet état de fait institutionalisé, comme on vient de le faire pour les abuseurs sexuels dans l’Église. Quand les droits des individus sont lésés et que les dénonciations ne suffisent pas à l’intérieur d’une structure rigide, fermée et aveugle, nous avons la responsabilité d’en appeler à un autre système de Justice neutre et supérieur à celui-là.
Je suis présentement épouse et maman de deux fillettes, après avoir passé 19 ans en monastère cloîtré. Sortie en 2012 pour dépression prolongée, j’ai toujours senti un appel très fort pour la prédication, pour l’accompagnement spirituel et pour l’enseignement. J’ai 45 ans, et j’avais fait le deuil de ces appels depuis que je suis à l’université en travail social. Mais la lecture du livre « Des femmes diacres » me fait me questionner à nouveau….
Bien que je trouve les arguments théologiques et historiques très forts et prometteurs, la seule raison qui me permettrait d’entrer dans le débat serait que mon évêque reconnaisse mes dons ou talents et les sollicite (mais je suis peut-être marquée à jamais comme une soeur manquée…). Sinon, je vais regarder aller les choses avec intérêt.
Dernièrement, le 10 mai, lors du 5e dimanche de Pâques, dans la 1re lettre de saint Pierre apôtre, celui-ci fait la remarque suivante : « La pierre qu’ont rejetée les bâtisseurs est devenue la pierre d’angle, une pierre d’achoppement, un rocher sur lequel on trébuche.» Pour moi, c’est l’exemple parfait qui illustre le statut de la femme dans l’Église. Les principaux bâtisseurs de notre Église d’aujourd’hui ce sont d’abord le pape et nos évêques. Comme tous les chrétiens et chrétiennes qui vivent selon l’évangile, ces femmes sont la pierre d’angle, les pierres vivantes que rejettent ces bâtisseurs que sont nos responsables à la tête de l’Église et sur lesquelles ils achoppent, ils trébuchent comme sur un rocher. Nos décideurs dans l’Église, comme le disait le psaume : «Ils ont des yeux et ne voient pas, des oreilles et n’entendent pas.» Tous, nous avons à témoigner de l’évangile, à l’actualiser dans nos vies.