Publié pour la première fois dans The Japan Mission Journal, printemps 2022, volume 76, no 1
Traduction autorisée par l’autrice
Lorsqu’on m’a demandé il y a plusieurs mois d’écrire un article sur la synodalité, j’ai été surprise, mais j’ai accepté, bien qu’à contrecœur. Je me suis dit qu’après Noël, lorsque je serais en train de l’écrire, cette réticence intérieure aurait fait place à un certain enthousiasme. Mais le temps qui passe n’a rien fait de tel, bien au contraire. Je pensais aussi qu’à ce moment-là, je serais en mesure d’écrire concernant ma participation à une expérience synodale officielle, mais l’archidiocèse de Dublin est toujours en phase préparatoire, donc rien à faire…
Je pourrais bien sûr tenter d’écrire quelque chose de théorique, d’impersonnel sur la synodalité; après tout, j’ai étudié l’ecclésiologie, lu suffisamment d’articles spécialisés et écouté des discussions à ce sujet. En m’asseyant et en réfléchissant à cette réticence profonde, à ce manque d’enthousiasme qui m’empêchait même de commencer à écrire, j’ai découvert un puits de douleur. Pour moi, écrire sur la synodalité d’une manière honnête et authentique signifiait nécessairement m’engager avec cette douleur, écouter ce qu’elle me disait et la partager, dans toute sa vulnérabilité. Il n’y avait aucun moyen de l’ignorer.
Vous qui lisez ces lignes, vous aurez compris que je vous invite à une sorte de voyage, une exploration intérieure qui est provisoire, partielle, non systématisée et qui ne vous offre pas un traité élaboré. Elle mènera où elle voudra.
La première chose que j’ai constatée en moi-même, c’est que je ne partage pas l’enthousiasme que le mot synodalité et tout ce qui l’accompagne suscite chez tant de personnes, à commencer par le pape François. Il y a quelques mois, un évêque irlandais a été interviewé à la radio à ce sujet et il en parlait de façon très enthousiaste. J’aimerais bien sûr partager cet enthousiasme, car c’est une émotion positive et édifiante, mais la réalité est que je ne le peux pas.
Les lignes directrices officielles du processus synodal indiquent clairement qu’il doit atteindre, inclure, les personnes à la périphérie de l’Église. Je me suis demandé : suis-je l’une de ces personnes considérées comme étant à la périphérie? Oui, à la marge; et comment en suis-je arrivée là? Et où se trouve exactement le centre de l’Église? Le centre est-il là où se trouvent le pape, la curie, l’évêque, le curé? Qui définit le centre et donc la périphérie? J’aime à penser que le cœur du Christ est le centre et, dans ce cas, je sais qu’il y a de la place et un accueil pour moi là-bas.
Mais en termes d’Église officielle, institutionnelle, je suis en marge parce que le centre du pouvoir m’a poussée à l’extérieur. Ou, comme le diraient les autorités, je m’y suis mise toute seule, par ma propre obstination malavisée. Pendant toute ma vie d’adulte, l’Église officielle a été une maison froide, une maison très froide en fait. Chaque fois que j’ai vu des affiches sur la violence domestique mettant en garde contre des situations où « la maison est le lieu de l’abus », j’ai pensé à l’Église, ma maison spirituelle « où l’abus a lieu ». En 1995 déjà, lors d’un séminaire sur l’ordination des femmes à Dublin, j’ai dit que j’avais été abusée spirituellement. Je ne l’ai pas dit à la légère à l’époque; cela m’a coûté beaucoup de le reconnaître d’abord pour moi-même, puis publiquement. Aujourd’hui, près de trente ans plus tard, je ne peux que le réaffirmer : l’abus spirituel est largement répandu dans l’Église. Je ne parle pas seulement du type d’abus spirituels commis par un confesseur, un directeur spirituel ou un supérieur religieux individuel. Je parle des règles, des enseignements et des pratiques de l’Église qui portent atteinte à l’esprit et à la conscience, qui sont destructeurs et tout sauf vivifiants. Ils font tellement partie intégrante de la culture de l’Église; ils ont été sacralisés et décrétés comme divinement approuvés de sorte qu’ils ne sont généralement même pas reconnus consciemment comme étant abusifs.
Dans une entrevue très récente, soeur Jeannine Gramick de New Ways Ministries décrit ce qu’elle a ressenti lorsqu’elle a fait l’objet d’une enquête de la Congrégation pour la Doctrine de la Foi qui tentait de faire pression sur elle pour qu’elle abandonne son ministère auprès des personnes LGBTI+. Elle dit s’être sentie comme « une femme battue ». En effet, il y a d’innombrables personnes comme elle, comme nous.
Depuis le moment où j’ai ressenti un appel pour le ministère presbytéral, à la fin de mon adolescence, j’ai été victime de violence spirituelle dans l’Église et de pressions de la part des autorités pour que je « renonce », me « rétracte ». Pour le dire un peu crûment, je devais reconnaître que j’étais soit « folle, soit méchante, soit malheureuse ». Étant jeune et d’une confiance quelque peu naïve, il m’a fallu un certain temps pour réaliser que l’Église est une institution profondément patriarcale. Ma vocation à un ministère ordonné, l’apanage exclusif des hommes, a été perçue comme une menace pour ce pouvoir patriarcal et réprimée par tous les moyens, y compris la violence spirituelle, toutes les formes d’exclusion, de silence et la menace d’excommunication.
J’ai maintenant la soixantaine, je n’ai jamais perdu ce sens de la vocation malgré les efforts déterminés des autorités ecclésiastiques pour la tuer ou me persuader de l’abandonner. Le pape François, qui est tout à fait favorables aux portes ouvertes, n’est que le dernier pape à ce jour à réaffirmer que la porte aux femmes prêtres est fermée. Et bien qu’il soit également favorable à l’écoute et au discernement, il n’a jamais invité des femmes comme moi pour au moins écouter le sens profond de notre appel et notre cheminement dans cette vocation. Il est évident qu’il croit que nous n’avons rien de valable à communiquer, aucune vérité à partager, aucune parole de l’Esprit. Jusqu’à aujourd’hui, la politique et la pratique officielles de l’Église ont été de nous traiter comme des non-personnes, de nous fuir, de nous exclure. Dans une Église patriarcale, nous n’existons tout simplement pas.
Qu’en est-il de la synodalité pour les femmes comme moi ? L’évêque irlandais qui débordait d’enthousiasme à propos du lancement du processus synodal a également pris soin d’expliquer qu’il y aurait des « paramètres » à respecter. Je sais très bien que ce que je suis et ce que je représente se situe en dehors de ces « paramètres » soigneusement définis. C’est ce qu’on m’a inculqué à chaque occasion pendant près d’un demi-siècle : « Vous n’avez pas votre place » ou « Vous pouvez avoir votre place, mais seulement à nos conditions et cela signifie que si vous acceptez, vous n’avez pas cette vocation ». Confronté à cet ultimatum, j’ai choisi de sacrifier ce type d’appartenance pour conserver mon intégrité et être fidèle, comme je le perçois, à Celui qui m’est fidèle.
Que signifie ce processus synodal pour des femmes comme moi après une vie d’exclusion, de menaces, de rejets, de dénigrement ? Qu’est-ce que cela signifie quand le pape François appelle à l’ouverture à l’Esprit et à de nouveaux chemins mais répète encore et encore que la porte nous est fermement fermée au nez?
Sr Nathalie Becquart, du Secrétariat du Vatican pour le Synode, a récemment déclaré que deux choses étaient nécessaires pour le processus synodal : la confiance et l’humilité.
J’ai toujours foi et confiance en Dieu. Je fais confiance à l’Esprit de tout cœur. Mais je n’ai plus aucune foi dans le système ecclésiastique actuel et dans ses dirigeants. Il n’en a pas toujours été ainsi. Au début, j’étais pleine de confiance. Puis, en cours de route, j’ai réalisé que je n’avais plus aucune confiance, qu’elle avait été progressivement érodée par les abus, les tromperies, les manipulations et les mensonges répétés. Une fois que la confiance est partie, elle est vraiment partie. Quelque chose de précieux était mort. Une fois que la confiance a été dilapidée, détruite, il faut beaucoup d’efforts pour la reconstruire. Les personnes qui veulent qu’on leur fasse à nouveau confiance doivent se montrer dignes de cette confiance. Les appels tels que « faites-nous confiance, faites-nous confiance » ne fonctionnent plus lorsqu’ils ne sont pas soutenus par des actions très concrètes. En ce qui me concerne, et je ne peux parler qu’à titre personnel, je n’ai rien expérimenté, absolument rien, pour restaurer ma propre confiance.
Et l’humilité ? Après tout, celle-ci, ainsi que l’obéissance et la patience, sont considérées comme les vertus cardinales des femmes dans l’Église. Et oui, je sais, si j’avais la moindre humilité (telle que défini par l’Église), je ne penserais pas une seconde que Dieu m’appelle, moi, une (simple) femme, à être prêtre. Si je manque encore de ce genre d’humilité, ce n’est pas faute d’avoir été admonestée à plusieurs reprises. Mais est-ce vraiment cela l’humilité, l’humilité de Marie de Nazareth et de son Fils Jésus? Il y a plusieurs dizaines d’années, je suis tombé sur une définition de l’humilité donnée par un prêtre français, qui m’a tout de suite paru logique : « L’humilité, c’est connaître sa place et la prendre ». Et avec elle, la douloureuse prise de conscience qu’il n’y a pas de place pour moi dans l’Église institutionnelle telle qu’elle est.
Le processus synodal qui culminera à Rome en 2023 avec le synode des évêques signifie que le discernement ultime sera entre les mains de certains hommes (mâles). De nombreuses femmes craignent, à juste titre, que leur voix ne soit pas entendue.
Il y a près de trente ans, j’ai lancé, avec deux autres personnes, une pétition demandant que tous les ministères de l’Église soient également ouverts aux femmes et aux hommes. Cette pétition a manifestement touché une corde sensible car, bien qu’il s’agisse d’une époque préinternet rendant le processus très laborieux, nous avons rapidement recueilli 10 000 signatures. Après que le primat de toute l’Irlande, le cardinal Daly, ait refusé de les recevoir, nous en avons réuni 10 000 autres. Nous les avons divisées et envoyées à tous les évêques d’Irlande.
Le pape François a déclaré, en citant Yves Congar, que « nous n’avons pas besoin d’une autre Église, mais d’une Église différente ». Je suis profondément convaincue qu’une Église où les hommes continuent à prétendre avoir le dernier mot dans les décisions et à s’arroger le droit d’imposer des restrictions aux femmes n’est qu’une autre Église patriarcale où les abus spirituels de pouvoir sont endémiques.
Cher pape François, vous me dites que cette porte qui m’a été brutalement fermée au nez par votre prédécesseur le pape saint Jean Paul II restera fermée pour toujours. Pourquoi voulez-vous que je prenne part à ce processus synodal alors que vous avez déjà indiqué que tout ce que je pourrais partager de ma vie spirituelle serait « inadmissible » pour vous et vos collègues évêques, et ne ferait absolument aucune différence pour que cette porte reste fermée »?
La confiance et l’espoir que j’ai ne viennent pas d’un pape, mais de Celui qui parle au plus profond de mon être : « Vois, je t’ai ouvert une porte que personne ne pourra fermer » (Apocalypse 3, 8).
Le processus synodal tel qu’il est conçu et organisé actuellement peut-il donner naissance à une Église de Communion à laquelle nous aspirons, tout en insistant sur les portes fermées pour les femmes? Je reste dans la douleur et dans l’espoir.
Soline Humbert,
Dublin, le 19 mars 2022
Traduction réalisée par Pauline Jacob à l’aide du traducteur DeepL. (version gratuite)
Texte publié en anglais sur le site de We are Church Ireland
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Il y a distorsion entre l’EGLISE que nous sommes et l’église institution. Nous y trouvons un Dieu RÉDUCTEUR alors qu’il est transcendant et surtout immanent dans le peuple de Dieu en action
Ce texte confirme qu’il faudrait simplement demander d’être écoutées comme membres à part entière habitées par l’Esprit de vérité…
Dear Mrs Soline
Thank you for this letter who touched deeply my heart and my story. Your word and your commitment is strong and fully inspired. Your vision is so clear and fully inspiring. I keep in me the word : I opened for you a door that nobody can close! This is! Thank you very much!
Merci bien pour vos réponses et commentaires que j’apprécie.
Petit détail:
Cet article a été remis au cardinal Grech ,responsable du Synode,par l’intermédiaire d’un prêtre-théologien ce 25 Mars : À Dieu, rien n’est impossible!