Du 7 au 9 février 2008 se tenait à Rome une rencontre internationale du Conseil pontifical pour les laïcs à l’occasion du vingtième anniversaire de la Lettre apostolique de Jean Paul II « Mulieris dignitatem »
Nous vous présentons le rapport qu’a signé Mgr Bertrand Blanchet, archevêque de Rimouski, délégué par la Conférence des évêques catholiques du Canada.
Introduction
À l’occasion du vingtième anniversaire de la Lettre apostolique Mulieris dignitatem, le Conseil pontifical pour les laïcs a tenu, à Rome, une rencontre internationale sur le thème « L’homme et la femme : l’humain dans son entièreté ». Elle a regroupé environ 250 participants, dont 80 pour cent environ étaient des femmes. J’ai été particulièrement impressionné par la qualité de leurs interventions, leur compétence, leur riche expérience. Plusieurs enseignent à l’université, dirigent des associations, se consacrent à la coopération internationale. L’une d’entre elles a fait partie de la délégation du Vatican lors de grandes rencontres internationales. Visiblement, ces femmes étaient heureuses d’échanger entre elles, en dehors du temps réservé aux conférences.
1. Considérations théologiques et anthropologiques
1.1. Le cardinal Stanislaw Rylko, président du Conseil pour les laïcs, a d’abord rappelé la transformation rapide des modèles féminins, au cours des dernières décennies. Deux d’entre eux sont particulièrement menaçants :
• Le féminisme radical qui fait de la femme la rivale de l’homme et conduit à une lutte de pouvoir.
• L’idéologie du «genre» (gender) qui vise à éliminer le plus possible les différences entre l’homme
et la femme, pour accentuer ce qui leur est commun.
Il en résulte une transformation de l’image des époux, du père, de la mère, de la famille en même temps qu’un relativisme croissant.
Par la suite, le cardinal Antonio Cafnizarès de Toledo et primat d’Espagne a rappelé l’essentiel du riche enseignement de Jean-Paul ll dans Mulieris dignitatem. La plupart des autres présentations ayant à leur tour cherché à expliciter et à approfondir cette pensée, ce bref rapport se limitera à en dégager les principaux éléments.
1.2. Trois niveaux de considérations
• La nature humaine
Elle n’existe pas dans l’abstrait et elle s’exprime toujours dans une culture. Or la tendance actuelle est de survaloriser la culture par rapport aux données de la nature. On se « construit » soi-même plus qu’on ne se reçoit[1] .
Il est d’ailleurs périlleux d’essayer de départager ce qui relève de la nature de ce qui est produit par la culture. Une conférencière a lancé : « En fait, nous sommes 100 pour cent le fruit de la nature et 100 pour cent le produit de la culture ».
• La sexualité humaine
Quant aux caractéristiques génétiques, morphologiques, physiologiques et psychologiques entre les deux sexes, la tendance est à les réduire, voire les minimaliser. Certains souligneront que même si le bagage génétique est différent, au cours des premiers mois de notre existence, nous aurions une relative indétermination sexuelle. Dans l’idéologie du « genre », seules demeurent les différences génétiques, morphologiques et, pour une large part, physiologiques. Psychiquement, la personne comportement sexuel. On met alors sur le même pied l’hétérosexualité, l’homosexualité, le transsexualisme.
Par ailleurs, un couple[2] a tenté de préciser comment, dans un couple hétérosexuel, se manifeste l’originalité de l’homme ou de la femme, en termes d’attitudes et de comportements. Entreprise également périlleuse dont les conférenciers se sont, me semble-t-il, bien acquittés en faisant appel à beaucoup de nuances[3] .
• La personne humaine
Ce sont les individus qui existent concrètement, hommes ou femmes. Or ces individus sont des personnes : corps, esprit et cœur.
Parmi les tendances actuelles : l’individualité est tout, à la mesure de la place du « sujet » dans la culture contemporaine, Il y a également une survalorisation du corps, grâce en particulier aux médias : hypersexualisation de la mode, en particulier de l’habillement des jeunes filles, quête d’une jeunesse qui se prolonge, accès facile de la pornographie sur Internet, etc. La femme est présentée souvent comme un objet de consommation. L’acte conjugal est banalisé dans la mesure où il est une forme de plaisir corporel comme un autre.
Comment ne pas s’inquiéter de la formation affective et de la quête d’identité sexuelle des adolescents? Et, compte tenu de ce qui a été dit précédemment, quelle image se font-ils de la vie conjugale et familiale?
L’être humain est aussi esprit. On sait comment plusieurs caractéristiques de la vie moderne menacent la dimension spirituelle de l’homme et de la femme : omniprésence de l’économie, de l’argent, des nouvelles technologies, des préoccupations matérialistes, etc. Difficulté pour la femme de concilier la vie familiale et le travail. Autant de réalités qui, parmi bien d’autres, atténuent la question du sens de la vie, de l’amour, du mariage, de la famille. Il existe présentement une désinstitutionalisation du mariage et une redéfinition de la famille (par exemple : une famille est un ensemble de personnes reliées par un lien affectif).
1.3. Une anthropologie chrétienne
Le congrès a réaffirmé la beauté et l’actualité de l’enseignement de Jean-Paul Il dans Mulieris dignitatem. Cet enseignement, comme on sait, reprend les principales intuitions de la théologie du corps qu’il a développées dans une longue série d’audiences. Les deux premiers chapitres de la Genèse fondent cette anthropologie.
• Au livre de la Genèse, nous voyons que Dieu a créé l’être humain à son image, capable de connaissance, d’amour, de liberté et de responsabilité. L’être humain, dit Gaudium et Spes est « le seul être de la création que Dieu a voulu pour lui-même ».
• Mais il ne peut être laissé à sa solitude. Il lui faut quelqu’un d’autre semblable à lui (ish-isha), comme aide et vis-à-vis. Ce sera la femme avec qui il entrera en dialogue et en communion dans une soumission réciproque (saint Paul). Jean-Paul Il dit que le couple forme une « unité duelle » (deux d’abord, appelés à devenir un, sans fusion). C’est comme homme et femme que l’être humain est créé « à l’image et à la ressemblance de Dieu ».
• « L’unité duelle » s’épanouit dans l’accueil et le don mutuel, qui trouvera sa meilleure expression dans l’enfant. Comme dit encore le Concile : « Personne ne peut se révéler à lui-même sans le don de soi ». Grâce à cette communion dans le don, l’être humain est image du Dieu trinitaire où chacune des trois personnes est accueil et don aux deux autres. Le mystère de Dieu est suggéré par l’image de la famille.
Cette base anthropologique est de nature à remettre en question les mentalités actuelles qui sont contraires à la dignité du corps, du mariage et de la famille. Elle s’enracine dans ce que l’être humain possède de plus charnel et de plus existentiel pour en dégager toute la signification. Elle reconnaît et valorise le corps sans déterminisme. À l’encontre des tendances susceptibles de tout relativiser, elle révèle leur consistance et leur valeur et les charge de sens.
C’est en parlant des significations symboliques que s’est présentée la question de l’ordination sacerdotale réservée aux hommes. La conférencière a invité à ne pas durcir ces symboles, par exemple celui du prêtre qui représente le Christ époux face à l’Église-épouse (le prêtre est aussi du côté de l’épouse)[4] .Cette question, dit-elle, mérite encore des approfondissements.
1.4. L’allocution de Benoît XVI
Lors de la dernière journée du congrès, le pape Benoît XVI a accordé une audience à la salle clémentine. Il a d’abord rappelé les éléments majeurs de Mulieris dignitatem, puis il a dit :
« Devant des courants culturels et politiques qui cherchent à éliminer ou tout au moins à remettre en question et confondre les différences sexuelles inscrites dans la nature humaine, en les considérant comme une construction culturelle, il est nécessaire de réaffirmer le dessein de Dieu qui a créé l’être humain mâle et femelle, avec une unité et, en même temps, une différence originelle et complémentaire. La nature humaine et la dimension culturelle s’intègrent dans un processus ample et complexe qui constitue la formation de l’identité propre où les deux dimensions féminines et masculines se correspondent et se complètent. »
Benoît XVI a aussi fait référence à la rencontre du CELAM de mai dernier où il avait « rappelé la persistance de la mentalité machiste qui ignore la nouveauté du christianisme… ». Il a de fait insisté sur la nécessité d’une :
« recherche anthropologique renouvelée qui, sur la base de la grande tradition chrétienne, incorpore les nouvelles avancées scientifiques et les sensibilités culturelles actuelles pour contribuer à approfondir non seulement l’identité féminine mais aussi l’identité masculine dont il n’est pas rare qu’elle soit l’objet elle aussi de réflexions partiales et idéologiques[5] ».
2. Quelques témoignages sur la situation actuelle de la femme en divers pays
Certains ont pu regretter que le congrès, malgré ses trois jours pleins, n’ait pas permis d’entendre davantage de témoignages de femmes. Un certain nombre nous ont toutefois rappelé leurs conditions de vie souvent très difficiles. Par exemple :
• Quelques africaines nous ont dit avec beaucoup de dignité ce que vivent de nombreuses femmes : guerres, déplacements, transmission du sida aux enfants, précarité des moyens éducatifs, pauvreté, etc.
Au cœur de tout cela, les femmes représentent, ont-elles dit, une certaine stabilité, la garde de valeurs essentielles, le moteur de toute évolution, l’honnêteté dans les affaires (microcrédit). Elles sont porteuses de vie, protectrices et éducatrices.
Un certain nombre se regroupent en association et les Conférences épiscopales font appel à elles.
Admirables femmes africaines !
• Une irakienne n’a pas eu de peine à nous convaincre du caractère tragique de leur vie quotidienne marquée par une continuelle insécurité : aller au marché peut signifier aller vers la mort.
Les femmes représentent 70 pour cent de la population, et il y a 3 millions de veuves en Irak.
Mgr Twal, coadjuteur du patriarche de Jérusalem Mgr Sabbah, nous a aussi entretenu de ce que vivent ses diocésains répartis sur 3 pays : la Jordanie, la Palestine, Israël.
• Un évêque de Roumanie a rappelé qu’autrefois l’avortement était défendu; les lois le permettent présentement. Or, de 1990 à 2004, iI y a eu 14 millions d’avortements, alors que la population actuelle est de 20 millions. Une participante a dit : « L’endroit le plus dangereux au monde est le sein maternel ».
• Les femmes musulmanes n’étaient évidemment pas représentées au congrès. Mais on sait au moins un peu ce que vivent nombre de femmes en pays musulman.
3. Orientations et pistes d’action
Parmi beaucoup d’autres, celles-ci
• Revoir Mulieris dignitatem qui n’a pas vraiment vieilli et qui développe avec bonheur le thème de la dignité de la femme. En réalité, un certain féminisme et l’affirmation des droits humains sont les fruits du christianisme.
• Priorité à l’éducation en tous les lieux où elle est possible : famille, école, médias, mouvements, etc. Il faut montrer l’importance et la beauté de la théologie du corps proposée par Jean-Paul Il et, tout particulièrement, l’application qu’il en fait dans Mulieris dignitatem.
• Appuyer des formes de réconciliation famille/travail.
• Que les catholiques s’affirment comme « sel de la terre et lumière du monde » dans leur vie conjugale, familiale, culturelle, sociale et politique. Rien ne remplace les témoins et les modèles. À cet égard, la femme peut être gardienne de l’amour sponsal et maternel.
• Que les femmes catholiques soient présentes et dynamiques dans leurs associations :
« Quand des femmes se mettent ensemble, il se passe quelque chose. » Il n’est pas toujours nécessaire d’en fonder d’autres. (Au Canada, on peut penser à la Catholic Women League, aux Filles d’Isabelle, etc.)
• Former des réseaux de femmes engagées. (L’Internet a prouvé sa force lors de la rencontre de l’Organisation mondiale du commerce à Seattle.) Les Conférences épiscopales et le Conseil pontifical pour les laïcs peuvent y contribuer.
• Comme attitude générale, présenter la Bonne Nouvelle plutôt que de s’apitoyer sur le monde. Il suffit d’un peu de sel pour donner de la saveur aux aliments.
CONCLUSION
Un congrès intéressant, tant en regard de l’importance du thème que de la qualité des participantes. Il s’est également avéré une belle expérience de communion ecclésiale. Pour ma part, j’ai été impressionné par le fait que la toute première activité du congrès a été la psalmodie de la Prière des Heures, animée par une équipe de la communauté des Béatitudes. Venus de tous les horizons de la planète, peu d’entre nous se connaissaient mais nous nous sentions déjà en profonde communion d’esprit et de cœur. Les femmes présentes en ont sans doute reçu un supplément de motivation. Une belle allocution finale du cardinal Rylko et l’audience du pape y auront également contribué.
+ Bertrand Blanchet
Archevêque de Rimouski
NOTES
[1] On a remis aux participants un livre qui expose bien l’idéologie du « genre », à partir de Simone de Beauvoir (Le deuxième sexe), en passant par Michel Foucault et Margaret Meed jusqu’aux récentes lois espagnoles permettant le mariage entre personnes homosexuelles. Il est d’un auteur espagnol, Il s’agit de : Jesus Trillo-Figueroa, « Una revolucion silenciosa, la politica sexual del feminismo sociallsto », Libroslibres, 2007.
[2] Giula Paola di Nicofa et Attilio Danese, qui ont développé cette réflexion dans Lei e Lui, Communicazione et reciprocita, Effata editrice, 2001.
[3] Je me suis permis de leur dire que si les rédacteurs du document de la Congrégation pour la doctrine de la foi sur « la collaboration de l’homme et de la femme dans l’Église et dans le monde » (2004) avaient pu lire leur communication, ils auraient pu améliorer notablement le document romain. Car l’image de l’homme qui s’en dégage n’est pas très emballante. Ils ont eux-mêmes exprimé par écrit leurs réserves sur ce texte.
[4] Sur cette question, une personne de l’assemblée s’est étonnée que l’on aborde cette question de l’ordination des femmes, puisque Jean-Paul Il l’a réglée de manière définitive. Je me suis alors permis de rappeler que lorsqu’une question est de l’ordre de la foi, cela ne signifie pas qu’il faille arrêter d’y réfléchir. J’ai indiqué que Thomas d’Aquin, dans sa Somme théologique, pose la question suivante: « Est-ce que Dieu existe ? » Il commence par répondre : « Il semble que non… » pour telle et telle raison. Puis, il dit : « À l’encontre de ces affirmations, il faut dire que Dieu existe » pour telles et telles autres raisons. Puis il réfute les premiers arguments. Aujourd’hui, il parlerait probablement de l’évolution, du « big bang », etc. Il faut aux théologiens un espace suffisant pour qu’ils puissent approfondir toutes les questions sans que l’on mette en doute leur bonne foi et leur attachement à l’Église. Dans le respect des positions déjà définies, bien sûr.
[5] Benoît XVI, L’unité duelle, qui est inscrite dans le corps et dans l’âme, Oss. Romano, 10 février 2008.
- L’homme et la femme: l’humain dans son entièreté - 15 février 2008