Bonjour. Je voudrais remercier le comité de planification, le Centre justice et foi et ses partenaires pour son aimable invitation. C’est un honneur pour moi de me retrouver ici avec vous.
Au premier coup d’oeil, on peut avoir l’impression que le titre que le comité m’a donné dit déjà tout! Nous avons un thème très complexe avec trois aspects distincts. Mais je crois que nous avons besoin d’une clé pour commencer. Alors, je vous parlerai de l’image de soi, ensuite du rapport au pouvoir et enfin du rapport au sacré. Mais surtout je voudrais vous parler du sang.
Toutes mes recherches scientifiques, pendant plus de 20 ans, dans le champ de la liturgie, des sacrements et des nouveaux rites féministes m’ont convaincue que les causes de l’exclusion des femmes de l’autel étaient profondément enracinées dans l’idéologie androcentrique et dans la “normalité” de la misogynie. La peur et l’horreur qu’évoque l’idée des femmes qui président à l’autel n’est ni une question de loi liturgique, ni une règle actuelle de l’Église catholique qui disparaîtrait de soi avec le temps.
Pourquoi commencer avec le sang humain? Parce qu’il y a un nombre croissant de recherches en théologie, en anthropologie et en psychologie, qui tentent d’expliquer les liens entre le sang, l’acte du sacrifice et l’idéologie de la spécificité religieuse des femmes.
Le Nouveau Testament n’a employé nulle part le mot grec, « thusia », « sacrifice », pour désigner l’eucharistie. Pendant le premier siècle, on emploie surtout l’expression ”rompre le pain,” “klasis tou artou” en grec. L’Épître aux Hébreux rapporte que les sacrifices d’antan sont finis parce que Jésus-Christ a offert le dernier sacrifice. De son côté Paul exhorte ses petites communautés chrétiennes à un « sacrifice de louange ». Dans les Évangiles synoptiques (Mc 14, 24; Lc 22, 20; Mt 26, 27 28) nous trouvons la formule attribuée à Jésus : “Cette coupe est la nouvelle Alliance en mon sang, versé pour vous.”
Au quatrième siècle au moment où les communautés chrétiennes ne vivent plus la persécution, les rites de l’Église commencent à ressembler à la cérémonie grandiose de la cour de l’empereur romain ou des magistrats impériaux. Au lieu d’une table simple autour de laquelle une modeste communauté chrétienne partage le pain et le vin, les grandes assemblées restent loin de l’autel où les prêtres, en vêtements qui marquent leur haut rang, offrent le sacrifice. Ironiquement l’Église chrétienne ressemble de plus en plus à l’Empire romain, qui était déjà sur son déclin.
Pourquoi existe-t-il tant de sacrifices dans plusieurs cultures : sacrifices d’un animal, de biens ou de produits, ou même d’un être humain? Une anthropologue célèbre d’Harvard, la professeure Nancy Jay, a fait de nombreuses recherches dans plusieurs cultures. Elle a trouvé que la plupart des cultures (pas toutes) qui offrent un sacrifice à leurs dieux le font pour établir des relations formelles de paternité, lignage et unité entre les pères et les fils (pensons à Abraham et Isaac, ou à Jacob et à son beau-père Laban par exemple). Le sang de la victime est versé pour assurer aux hommes une relation éternelle qui transcende celle qui vient de la naissance corporelle d’une femme. Y voyez-vous un parallèle avec la ligne de la succession apostolique où prêtres et évêques, à la suite des apôtres de Jésus-Christ, célèbrent ensemble le sacrifice de l’autel pour perpétuer ce sacrifice pour la gloire du Père éternel?
On peut trouver de nombreuses indications dans la tradition liturgique chrétienne où le sang des femmes signifie mortalité et souillure, et où les sacrements (surtout le sang du Christ dans le calice) apportent la vie éternelle, la pureté, et la dignité. Au cours de l’histoire de l’Église, les femmes n’étaient pas les bienvenues dans l’église pendant leurs règles. Dans l’Église ancienne les nouvelles mamans et leurs sages-femmes devaient rester en dehors de l’Église avec les catéchumènes. Jusqu’à 1960 le rite des relevailles était exigé des nouvelles mamans avant qu’elles ne puissent entrer dans l’église; ça veut dire, que la souillure de l’accouchement peut provisoirement rendre nul son baptême. Je me souviens d’un fait : il y a quinze ans, alors qu’une jeune femme donnait la communion dans sa paroisse, un homme s’est approché d’elle et a refusé la communion en sifflant, “Les femmes puent le sang” (“Women stink of blood.”).
Alors, est-ce à dire que les femmes ne doivent jamais être ordonnées prêtres parce que l’eucharistie est un sacrifice et que le sacrifice est réservé aux hommes pour des raisons d’une universalité anthropologique? Certainement pas. Cet argument ne justifie pas l’exclusion des femmes, mais contribue à une compréhension un peu plus claire de la force de la réaction contre les femmes-prêtres de la part de Rome et des catholiques conservateurs. La recherche entreprise par la docteure Kelley Raab à l’Université d’Ottawa auprès des femmes prêtres anglicanes et des membres de leurs congrégations a démontré que, même dans une Église avec une théologie du sacrifice qui fait partie de leur doctrine sur l’eucharistie, les femmes-prêtres sont perçues comme celles qui offrent le sacrifice, mais d’une manière différente. Apparaît au premier plan la réalité d’un repas familial. La femme-prêtre représente, symboliquement, une mère de famille ou une hôtesse lors d’un grand dîner. À un niveau plus profond, quelques répondantes ont pris conscience qu’il existe une association naturelle entre le sacrifice du Christ sur la croix et les sacrifices des femmes. On peut ajouter aussi les sacrifices des pauvres et des minorités tout au long de l’histoire, causés par le manque de justice dans le monde.
Dans la constitution La sainte liturgie (Sacrosanctum Concilium [SC]) de Vatican II nous voyons mise en équilibre la théologie de l’eucharistie à la fois comme sacrifice et repas, mais surtout comme mémorial de la présence du Christ vivante parmi nous maintenant et toujours. Cette présence n’est pas de nature statique mais dynamique et active. Selon le paragraphe 7 de SC, la présence du Christ se trouve dans le pain et le vin sur l’autel, oui, mais aussi dans les autres sacrements, dans la proclamation des Écritures, dans la personne des responsables du ministère liturgique et, surtout, quand l’assemblée prie et chante. Christ présent dans l’assemblée? Incroyable, sans une appréciation de la dignité donnée par le baptême à toutes et à tous. Toutes et tous font le Corps du Christ, réfléchissent ainsi le visage du Christ les unes aux autres et les uns aux autres dans la célébration des sacrements.
Mais plus récemment, à la même période où le Vatican soulignait fortement que les femmes n’étaient pas admissibles à la prêtrise, nous retrouvons une augmentation du terme “sacrifice” dans le Catéchisme universel de 1992, dans les exhortations des papes Jean-Paul II et Benoît XVI et dans les révisions des rites liturgiques. Ce n’est pas par hasard, à mon avis, que la troisième édition du Missel romain et la Présentation générale du missel romain de 2002 emploient toujours le terme “sacrifice” pour la célébration de l’eucharistie. Le terme “repas” n’y apparaît guère.
Alors, quelles sont les implications des questions posées par le comité organisateur de ce colloque? D’abord, je ne voudrais pas mettre l’accent sur la hiérarchie. Presque tous les mouvements et groupes de femmes et d’hommes qui luttent pour une prêtrise renouvelée rejettent la domination systématique réclamée par une élite. Comme liturgiste, je préfère souligner la non-représentation des femmes autour de l’autel.
1. L’impact symbolique sur l’image de soi
Imaginez que votre famille, votre culture, votre Église, vous dit dès votre enfance que vous êtes inférieure parce que vous êtes une femme. Imaginez que ce “fait” vous est toujours présenté comme la volonté de Dieu, immuable, éternelle.
Les femmes-mères qui ont dû accepter le rite des relevailles après la naissance d’un enfant ont soupçonné, pendant les années 1940 et 1950, que ce rite voulait dire qu’elles avaient péché et qu’elles n’étaient plus dignes d’entrer dans l’église sans être purifiées par le prêtre. Malgré les protestations du clergé qui le nommait “une action de grâce,” malgré le latin du rite, malgré la manque des explications rationnelles, les mères ont perçu que les relevailles représentaient un rite de purification de la “souillure” d’enfantement. Aujourd’hui plusieurs femmes n’acceptent plus d’être considérées comme les non-porteuses de l’image du Christ.
À l`été 2005, lors du colloque de WOW tenue à Ottawa, Myra Poole, religieuse engagée dans les milieux très pauvres d’Angleterre, a électrifié l’assemblée en disant:
Les femmes avec qui je travaille savent très bien le lien entre leur pauvreté, leur désespoir, et l’exclusion des femmes de la prêtrise. Elles savent que, si nous ne pouvons pas incarner l’image du Christ, nous pouvons être violées, nous pouvons être harcelées, nous pouvons être exploitées…etc.
2. L’impact symbolique de rapport au pouvoir
Rappelons-nous le texte biblique de l’Évangile de dimanche dernier. Jésus dit à ses disciples : « Les grands font sentir leur pouvoir. Parmi vous, il ne doit pas en être ainsi ». (Mc 10, 42)
Le pouvoir ne consiste pas seulement dans l’affirmation qu’on possède le pouvoir. On doit aussi manifester de la crédibilité et de l’authenticité pour qu’un peuple mette sa confiance dans le leadership. Un des problèmes les plus douloureux de notre temps est la pénible réalité que nombre de prêtres ont commis des abus sexuels avec des jeunes hommes et des jeunes femmes. En 2002, à chaque jour du carême, des journaux américains rapportaient les nombreux abus commis par les prêtres. La journaliste Anna Quindlen écrivait dans Newsweek : « After they have devalued the priesthood enough, they will offer it to us ». (« Lorsqu’ils auront suffisamment dévalué le sacerdoce, ils nous l’offriront ».)
3. L’impact symbolique du rapport au sacré
Comme liturgiste, je situe le sacré en lien avec deux aspects toujours en relation dynamique: le transcendant et l’immanent. Les religions qui offrent un sacrifice propitiatoire à leur Dieu veulent surtout apaiser leur Dieu. Les adhérents craignent la colère de Dieu à cause de leurs nombreux péchés.
Mais nous chrétiens et chrétiennes croyons en un Dieu incarné dans notre chair : ni dans notre chair d’homme, ni dans notre chair de femme, mais dans notre chair d’être humain. Ça c’est Dieu parmi nous, cette présence qui anime nos relations humaines, cette présence qui nous promet un avenir sans peur, femmes et hommes ensemble.
Montréal, octobre 2006
Texte d’une conférence présentée lors du colloque L’accès des femmes aux ministères ordonnés dans l’Église catholique : une question réglée organisé en octobre 2006 par le Centre justice et foi en partenariat avec le Centre St-Pierre, la collective L’autre Parole et le réseau Femmes et Ministères.
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