J’ai été cinq fois enceinte. Trois grossesses sont venues à terme.
Chaque fois, ce fut un émerveillement dont seuls les parents connaissent le saisissement. J’ai perdu deux bébés à trois mois de gestation. Chaque fois, ce fut une tristesse profonde.
Le rappel aujourd’hui de ces souvenirs marquants ramène sur mes lèvres une sorte de refrain, celui-là même qui avait jailli en moi un matin de naissance. Le voici :
Grossesse difficile, torpeur, maux de cœur, faiblesse…
Ceci est mon corps livré pour vous.
Accouchement, épisiotomie, hémorroïdes, tranchées…
Ceci est mon corps livré pour vous.
Allaitement, canaux lactifères bloqués, infection, fièvre…
Ceci est mon corps livré pour vous.
Horaires bousculés, réveils nocturnes, travail interrompu…
Ceci est mon corps livré pour vous.
Manger en vitesse, passer en dernier…
Ceci est mon corps livré pour vous.
Ces mots, je les avais entendus à chaque Eucharistie. Jamais ils n’avaient résonné aussi fortement dans ma chair. J’ai prêté le plus intime et le plus personnel de mon être : mon corps.
D’autres y ont habité. Ils s’y sont repus. Ils l’ont utilisé pour croître… Et mon corps a crié sauvagement en m’arrachant leur vie! Je connais maintenant le prix à payer pour prononcer en vérité ces mots : « Ceci est mon corps livré pour vous. » À chaque repas du Seigneur, ils ravivent ma conscience d’une alliance que je scelle pour ne pas cesser de livrer mon corps.
Mais il m’est interdit de les prononcer à haute voix.
Ça m’inquiète tout en suscitant chez moi une grave question.
Puisque les prêtres ne fréquentent pas les femmes d’assez près pour les écouter raconter ce qu’en tant qu’hommes ils ignoreront toujours, puisque les femmes n’ont pas le droit de prononcer à voix haute ces paroles qui traduisent si bien leur vécu, puisque les femmes ne peuvent pas être prêtres, comment cette expérience viscérale du corps livré peut-elle être dite dans toute sa vérité à la table des disciples du Christ?
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Partageant ‘notre absence’, à la table de la Parole eucharistiée, il me revient à la mémoire cette parole de Jésus à ses disciples, peu de temps avant sa passion.
« Vous serez dans la peine mais votre peine se changera en joie. La femme qui enfante est dans la peine parce que son heure est arrivée. Mais, quand l’enfant est né, elle ne se souvient plus de sa souffrance, tout heureuse qu’un être humain soit venu au monde » (Jn 16, 20b-21)
Margo Gravel-Provencher, théologienne.
Merci Jocelyne pour ce texte si juste ….
Quelle belle application du message de Jésus qu’aucun homme ne pourrait affirmer avec autant de justesse. Bien plus, à ce message : «Ceci est mon corps livré pour vous», Jésus ajoute : «Faites ceci en mémoire de moi», c’est-à-dire donner aussi notre vie au service des autres.
Merci pour ce texte aux mots si justes. Porter en sa chair la présence pour le donner au monde, quelle grande mission en son mystère. La sagesse s’acquiert par le creuset du manque.