Année A : 22e dimanche du temps ordinaire
Jérémie 20, 7-9
« Seigneur, tu as voulu me séduire, et je me suis laissé séduire… » (v.7)
Je crois en Dieu. Malheureusement. Socialement parlant, on voudrait que je reste tranquille dans mon coin, avec ma petite foi bien personnelle, mon cocooning religieux. Aux dires de la nouvelle dogmatique laïque, je devrais taire ma foi, la contenir, pire, la ratatiner à la pseudosphère privée. Mais je crois en Dieu. Malheureusement.
Religieusement parlant, on voudrait que je me contente de transmettre la bonne doctrine, l’officielle, celle qui rassure, car elle a déjà tout bien défini depuis des siècles. Aux dires des autorités religieuses, je devrais faire de la vraie théologie. Mais je crois en Dieu. Malheureusement.
Socialement parlant, je ne peux donc accepter de rester muet devant les politiques gouvernementales qui privilégient les amis du parti au détriment du bien-être collectif, qui s’entêtent à cacher la vérité là où tous et toutes voudraient la voir révélée au grand jour. Je ne peux sanctionner que l’on mente effrontément pour protéger les intérêts de bailleurs de fonds, ou que l’on trafique des documents pour privilégier des idéologies partisanes réactionnaires. Je ne peux applaudir à des choix qui draineront des dizaines, sinon des centaines de milliards de dollars pris à même les contributions de la société, pour acheter du matériel militaire, alors que l’on manque cruellement de financement pour les secteurs de la santé, de l’éducation, de la culture, du logement et du bien-être social. Je ne peux que dénoncer les grandes banques et les multinationales qui s’en mettent plein les poches et qui engrangent des profits faramineux alors que les travailleurs peinent à rejoindre les deux bouts. Je ne peux que m’insurger contre les forces policières qui se mettent au service des intérêts de la classe dirigeante en mâtant les prises de paroles citoyennes par les matraques, les gaz lacrymogènes et les arrestations massives. Je ne peux que crier haut et fort mon indignation et ma révolte contre les compagnies qui exploitent les richesses naturelles de la planète en bafouant impunément toutes les règles élémentaires de respect de l’environnement, en volant les propriétés d’honnêtes citoyens, en polluant sol, lacs, rivières et air. Je crois en Dieu. Malheureusement.
Religieusement parlant, je ne peux opiner du bonnet devant des prises de position qui font des femmes des personnes de seconde zone, les tenant à l’écart des lieux de décision qui les concernent souvent au premier chef, femmes pour qui il n’existe que six sacrements. Je ne peux cautionner les agissements de religieux ou de religieuses qui ont abusé d’enfants qui leur avaient été confiés et dont ils avaient charge d’éducation selon les préceptes de l’Évangile, pas plus que je peux approuver ceux et celles qui les ont couverts pendant des décennies. Je ne peux faire preuve de soumission et rester muet vis-à-vis d’enseignements religieux désuets et insignifiants, d’homélies soporifiques et désincarnées, de pratiques sclérosées et répétitives, d’immobilisme théologique. Je crois en Dieu. Malheureusement.
J’avais cru que la foi en Dieu allait m’apporter sérénité, paix, bonheur et joie. J’avais cru que je pourrais passer dans cette vie tranquille, confiant en l’amour paisible de Dieu, assuré de réussir parce que j’allais le professer. Or, il n’en est rien. Le Dieu biblique fait partie de ma vie et il dérange. Ce Dieu ne semble avoir aucune attirance pour les injustes, les exploiteurs, les inhumains. Ce Dieu abhorre les pratiques et comportements abjects, tout ce qui déshumanise, fait ramper, avilit, conduit à l’esclavage et à la soumission. De ceux et celles qui le professent, il ne réclame pas le silence et l’immobilisme, mais l’indignation et les dénonciations, l’implication dans des manières de faire et d’être, individuellement et collectivement, qui font advenir l’humanité et la création en des lieux encore jamais atteints.
Je crois en Dieu. Malheureusement. Je voudrais me taire que je ne le pourrais pas. Ça brûle en moi. Dieu m’a envahi, et je me suis fait avoir. Je ne peux le contenir, le confiner, et je dois en assumer les conséquences, sociales et religieuses.
Saint Hippolyte, le 28 août 2011
Texte publié dans la revue Présence magazine de juin-juillet-août 2011 et reproduit avec les permissions requises.
- Je me suis fait avoir - 28 août 2011