Ces temps-ci, printemps-été 2011, on semble assister en Suisse et en France à un réveil de l’esprit féministe. La journée du 14 juin a été marquée dans toute la Suisse par des manifestations, des actions ciblées, comme des coups de sifflet dans les entreprises et les lieux de travail, pour signaler que les revendications féministes d’il y a vingt ou trente ans, telles que l’égalité des salaires ou la parité femmes-hommes dans les entreprises ne sont toujours pas acquises. En ce qui concerne les salaires, on note une disparité de salaire entre hommes et femmes pour un travail de valeur égale que l’on peut chiffrer à environ 20%. Des femmes de plus en plus nombreuses doivent « se contenter » de travail à temps partiel, en raison des conditions économiques ou à cause du manque de places dans les garderies, ce qui les rend de plus en plus vulnérables à la précarité. Une des revendications principales a donc été de créer des garderies en plus grand nombre ainsi que d’offrir un accueil extra-scolaire aux enfants en âge de fréquenter les écoles primaires. On a demandé aussi une extension du congé de maternité aux pères qui veulent rester auprès des enfants en bas âge. Rappelons qu’en Suisse on n’accorde un congé de paternité que dans la fonction publique, où celui-ci est limité à cinq jours. Beaucoup de ces revendications sont également faites en France voisine où il semble aussi que le travail des femmes soit voué à la précarité.
Du côté de l’Église catholique en Suisse, on remarque également une forme nouvelle de prise de conscience de la place faite aux femmes dans cette Église. Face à la situation de crise et de pénurie de prêtres, des voix se sont élevées, y compris parmi le clergé et au niveau des évêques, pour appeler le Vatican à réviser les conditions de l’ordination des prêtres. La recommandation de lever l’exigence du célibat obligatoire comme condition sine qua non de l’ordination a été mentionnée par plusieurs personnes haut placées dans la hiérarchie catholique, notamment par l’évêque de Saint-Gall. Une initiative « pour une prêtrise catholique ouverte aux femmes et aux homosexuels » vient d’être lancée par une groupe catholique dans les cantons de Bâle-ville et Bâle-campagne.[1]
Même si le droit de lancer des initiatives est une prérogative politique de la démocratie suisse, cette tendance semble vouloir s’étendre au niveau des églises. Reste à savoir si la hiérarchie de l’Église catholique saura y répondre. Dans un article récent intitulé Monopole masculin en question, le quotidien catholique La Liberté, de Fribourg (Suisse),publie une interview de la théologienne suisse alémanique Doris Strahm sur la question de l’ordination des femmes à la prêtrise catholique.[2] Dans cette interview, Doris Strahm critique le refus d’ordonner des femmes comme une volonté de garder tout le pouvoir entre les mains des hommes. La hiérarchie catholique masculine se crispe sur ses prérogatives et s’arroge le monopole de la définition des personnes qui peuvent ou non partager ce pouvoir. De plus, elle fait de ce pouvoir un reflet de la volonté divine en prétendant que c’est « Jésus qui l’a voulu ainsi. » L’article est illustré d’une photo représentant six femmes, trois évêques et trois prêtres, célébrant l’Eucharistie, lors d’une cérémonie d’ordination de femmes sur le lac de Constance en 2006. Le sous-titre relève cependant que c’est « une démarche en porte-à-faux avec la tradition catholique. »[3]
En France, on remarque également une prise de conscience renouvelée de la problématique de la place des femmes dans la prise de décision et de leur accès –éventuel- aux ministères ordonnés : diaconnat et prêtrise. Cette question de la place et du rôle des femmes dans l’Église a été soulevée notamment par la publication du livre d’Anne Soupa et Christine Pedotti : Les pieds dans le bénitier (Presses de la Renaissance, Paris, 2010). Motivées par le refus des préjugés sexistes opérant encore parmi les membres de la hiérarchie, celles-ci ont réagi vigoureusement à une remarque désobligeante sur les femmes, énoncée par l’archevêque de Paris, le cardinal André Vingt-Trois.[4]
Elles ont décidé de porter plainte devant le tribunal ecclésiastique et ont fondé par la suite un comité dit « comité de la jupe » chargé de veiller au respect des femmes dans l’Église catholique. Ce comité a lancé notamment un appel à une grande manifestation à Paris, le 11 octobre 2009, appel qui a abouti à la création d’un mouvement plus large de laïcs et laïques catholiques auquel elles ont donné le nom de Conférence catholique des Baptisé-e-s de France (CCBF). Le livre Les pieds dans le bénitier retrace les principaux moments de la prise de conscience de ces femmes françaises, catholiques engagées et pour Anne Soupa, théologienne bibliste, et pour Christine Pedotti, journaliste et éditrice dans une maison de presse religieuse.
Ce livre met le doigt sur plusieurs maladresses commises par la hiérarchie catholique et surtout par le pape Benoît XVI au cours de l’hiver 2009. Notamment la levée de l’excommunication prononcée par son prédécesseur, sur les évêques du mouvement intégriste d’Écone (Suisse). Ce mouvement, aussi appelé Fraternités de St Pie-X, ne reconnaît pas les décisions prises par le concile Vatican II, en particulier pour la liturgie, et pratique le catholicisme tel que l’a modelé le concile de Trente. Parmi les évêques en question figurait un évêque anglais, un « négationniste » notoire qui niait les persécutions nazies contre les Juifs.
Autre sujet blessant pour les femmes fut celui de l’excommunication prononcée au Brésil d’une fillette de neuf ans et de sa mère qui l’avait fait avorter. La fillette était enceinte de jumeaux, du fait de son beau-père qui l’avait violée. Cet événement fit scandale dans le monde catholique et provoqua une levée de boucliers de la part des catholiques progressistes et des féministes. Si les événements sont connus, la réaction de ces deux femmes l’est moins. Elles expliquent dans Les pieds dans le bénitier leur décision de rester dans l’Église, afin de pouvoir la critiquer de l’intérieur. « Ni partir ni nous taire » devient leur motto. Mais elles décident de créer des « lieux de parole » où les catholiques marginalisés par leur hiérarchie pourront exprimer leurs opinions. Elles créent donc le site Internet qui accompagne ce mouvement de la Conférence catholique des Baptisé-e-s de France et sollicitent l’expression libre sur leur site. C’est ce qui me rejoint en tant que théologienne féministe et catholique, le fait de vouloir donner la parole aux baptisé-es, quelle que soit leur situation présente par rapport à l’Église. C’est de traiter femmes et hommes à égalité dans le Peuple de Dieu-e et de leur redonner cette dimension de liberté à l’intérieur de leur foi et de leur pratique ecclésiale.
Dans leur réflexion sur les ministères, Anne Soupa et Christine Pedotti insistent sur le fait que les services et fonctions dans l’Église ne dépendent pas nécessairement de l’ordination sacerdotale, mais découlent surtout de notre vocation de baptisé-e-s. C’est le baptême qui fait de tout chrétien et chrétienne des personnes appelé-e-s à participer à la mission de l’Église et à annoncer l’Évangile – ou Bonne Nouvelle- au monde contemporain. Selon cette conception, elles proposent d’autres ministères que ceux traditionnellement exercés par les prêtres ordonnés et qui peuvent être l’apanage de tout baptisé-e. Ces ministères elles les nomment ministère de l’écoute, ministère de la bénédiction et ministère de l’espérance.
Par ministère de l’écoute, les auteures entendent se mettre au diapason de l’humanité dans le monde d’aujourd’hui. Il faut écouter aussi bien les croyant-e-s que les non-croyant-e-s, les pratiquant-e-s aussi bien que les non-pratiquant-e-s. Il s’agit en cela d’imiter le Christ qui se penchait vers tout être humain souffrant à qui il demandait d’abord : « Que veux-tu que je fasse pour toi ? » C’est selon leur désir que Jésus guérissait les malades, redressait les paralysés et pardonnait les péchés. Il ne s’imposait pas mais était un homme de dialogue, à l’écoute des autres.
Par le ministère de la bénédiction, elles veulent « témoigner en actes de la bienveillance de Dieu envers l’humanité ».[5] Cela consiste à jeter un regard bienveillant, positif, sur le monde et à exercer de la compassion envers tous les malheurs ou souffrances qui arrivent dans ce monde. C’est reconnaître que tout n’est pas parfait, mais quand même faire confiance, car le monde et l’humanité ont été créés par Dieu. Cela rejoint ainsi le dernier ministère, le ministère de l’espérance.
Ce ministère nous appelle à « rendre compte de notre espérance », ainsi que le disait déjà l’auteur de la Lettre de Pierre, ( I Pierre 3, 15). Il consiste à témoigner de ce qui nous fait vivre, de notre foi en Dieu et de notre espérance que l’avenir est ouvert sur un possible qui est le « royaume de Dieu ». L’espérance n’est pas le mépris du monde, mais au contraire une reconnaissance que la lumière de Dieu brille sur le monde et l’éclaire depuis sa création jusqu’à la fin des temps.
Ces trois ministères dont parlent Anne Soupa et Christine Pedotti me rejoignent beaucoup en tant que théologienne féministe, car ils peuvent être exercés par des femmes aussi bien que par des hommes, en tout temps et de toute manières possibles dans la vie quotidienne. Point n’est besoin d’y être ordonné, aucun rituel prescrit, aucune forme particulière de service, sinon celui d’être à l’écoute des autres et présent-e-s au monde qui nous entoure. Ces ministères sont par excellence une approche féministe à la question des « fonctions ecclésiales ». Ils peuvent s’exercer en toute situation par tout membre actif de l’Église et rejoignent la vision d’une Église « toute entière ministérielle » dont parlaient certains théologiens québecois il y a déjà plusieurs années. [6]
Bien sûr ces idées sur les ministères ont été maintes fois débattues au Québec et ailleurs, mais il me semble important de signaler ces développements en Suisse et en France car ces pays restaient jusqu’alors passablement en retrait par rapport au mouvement féministe en Église. On peut ainsi parler d’un éveil plutôt que de réveil des femmes dans certains milieux francophones européens. Mais les femmes ont dès lors pris la parole et sont déterminées à se faire entendre des autorités romaines, dussent-elles se tenir désormais « les pieds dans le bénitier » et on ne peut que s’en réjouir !
31 août 2011
Villars-sur-Glâne, Suisse
NOTES
[1] La Liberté, 18 juin 2011, p. 10. ( encart)
[2] La Liberté, 18 juin 2011, p. 10.
[3] Voir article cité, sous-titre de la photo, p. 10.
[4] La remarque faite dans une interview à la radio est la suivante : « Le plus difficile, c’est d’avoir des femmes qui sont formées, le tout n’est pas d’avoir une jupe, c’est d’avoir quelque chose dans la tête. »
[5] Anne Soupa & Christine Pedotti : Les pieds dans le bénitier, p. 146.
[6] Voir les documents du Synode de Montréal sur le site www.missa.org