Je voudrais d’abord vous dire à quel point j’apprécie l’invitation car préparer un exposé nous force à réfléchir et à vérifier ce qu’on a vraiment envie de dire sur le sujet proposé. J’espère que mes paroles qui peuvent peut-être paraître un peu dures seront comprises vraiment comme des paroles d’appui aux femmes dans l’Église. Je voudrais vous dire aussi que je vous trouve très courageuses. Vous vous attaquez à l’une des institutions que je considère les plus patriarcales au monde, l’une d’elles, il y en a d’autres, et je vous trouve très courageuses d’y rester et d’avoir envie de mener ce combat comme d’autres le mènent dans le monde politique ou dans d’autres institutions. Vous avez donc toute mon admiration.
Ma perception de la situation est la suivante, et je la risque même si malheureusement en quinze minutes je n’aurai sûrement pas le temps de faire toutes les nuances voulues; heureusement on aura le temps d’en discuter. À mon avis, l’Église catholique, comme toutes les églises au monde, avec toutes sortes de nuances, c’est une institution patriarcale. Il y a des hommes qui se permettent au nom d’un Dieu qu’ils comprennent à leur façon d’exercer un pouvoir économique, un pouvoir tout court et des abus de pouvoir sur des femmes dedans et dehors les Églises.
Et plus je comprends l’histoire de l’Église catholique, plus je la connais, plus je trouve que, à différentes périodes de l’humanité, c’est surtout une histoire de pouvoir qui est bien loin du message évangélique. Évidemment, je ne parle pas ici des hommes et des femmes qui individuellement se sont impliqués et s’impliquent encore dans cette Église, qui ont travaillé avec les gens pauvres, qui ont comme les religieuses œuvré dans des écoles et les hôpitaux. Évidemment, je ne parle pas de la théologie de la libération ou de Vatican II, je fais allusion à toutes les périodes où, appartenir à l’Église catholique, ou je dirais plutôt diriger l’Église catholique, voulait dire prôner des guerres de religion, des croisades, l’inquisition et l’antisémitisme. Et tout cela au nom de Dieu ! Je ne peux pas m’empêcher de penser qu’on en fait bien des choses au nom de Dieu. Il y a bien des guerres au nom de Dieu, et finalement c’est un merveilleux prétexte pour asservir des populations. Et cela se voit encore aujourd’hui.
Pour moi, le patriarcat c’est cela aussi. Ce n’est pas seulement la domination des hommes sur les femmes, c’est une idéologie extrêmement complaisante de la part de gens, d’hommes dans l’histoire qui au nom d’une image extrêmement haute qu’ils se faisaient d’eux-mêmes, se sont permis d’humilier, d’asservir, de négliger, d’abandonner des populations entières, surtout des femmes. Cette Église de pouvoir, de feu et de sang a asservi; c’est encore le cas aujourd’hui à cause des dictats du Vatican; elle a généralement considéré les femmes qui s’y dévouaient comme des servantes à qui il ne convenait pas de donner un pouvoir réel. Et c’est encore vrai ! Et toujours au nom de Dieu ! À mon avis, cet asservissement est très loin du message évangélique, mais très proche de la façon dont des hommes ont écrit par exemple des évangiles ou d’autres textes, des hommes qui étaient de leur temps et qui ont traduit la réalité de leur temps, sauf qu’on se sert de ces textes pour dire que Dieu veut que les femmes occupent une place de second ordre dans l’Église.
En l’an 2000, il faut rappeler que le Vatican s’allie encore aux musulmans intégristes dans la préparation de Beijing +5, ce rendez-vous de New-York où les États du monde feront le bilan de ce qui s’est passé pour les femmes depuis cinq ans et traceront des perspectives. Dans les déclarations que les États sont en train de préparer, on revoit la même chose qu’en 1995, c’est-à-dire des alliances entre le Vatican et les États musulmans les plus intégristes pour qu’on enlève tout ce qui de près ou de loin donnerait du pouvoir aux femmes sur leur corps et sur leur vie.
Évidemment, il n’y a pas que les Églises qui sont traversées d’idées patriarcales; toutes les institutions de tous les pays du monde le sont, y compris bon nombre de mouvements sociaux aux discours progressistes mais aux pratiques sexistes. Tout ça est long à défaire; il y a des préjugés qui persistent, la résistance des systèmes, le confort des certitudes, la peur du changement et la perte des privilèges. Mais ce que je trouve difficile et au fond c’est pourquoi je vous trouve si courageuse, c’est que dans d’autres institutions, on n’aura pas vraiment de textes qu’on va présenter comme sacrés et au nom desquels on va dire « que voulez-vous la place des femmes c’est de faire ceci, c’est de surtout ne pas faire cela ». Dans l’Église, je trouve extrêmement ingrat et difficile que des textes affirment que les femmes ne peuvent pas être prêtres, encore moins évêques et pape; que les femmes ne peuvent pas avoir les mêmes pouvoirs que les hommes. Ces textes ont été écrits par des hommes sauf qu’on s’en sert pour toujours diminuer les femmes. À mon avis, pour celles qui ont décidé de combattre cette iniquité, le combat est et sera rude comme pour toutes autres institutions civiles et politiques mais avec en plus le fait de devoir s’attaquer à ce qu’on nous présente comme des textes sacrés ou comme des dogmes immuables.
Ce que je comprends aussi, c’est pourquoi le combat va être difficile, c’est que vous réclamez 50% de la place et, pas moins, dans une institution à laquelle vous appartenez; une institution qui est votre famille et que vous aimez. C’est un combat qui se veut fraternel. Et il n’y a rien de pire que ce genre de combat avec les gens qu’on aime.
J’en arrive aux suggestions de stratégies. Bien que je ne me réclame ni de cette Église ni d’aucune autre, je vais quand même risquer quelques hypothèses et bien sûr c’est votre jugement qui prévaut parce que vous connaissez bien mieux que moi votre situation.
Il me semble d’abord qu’il serait important de clarifier vos objectifs. Jusqu’où voulez-vous changer les choses ? Par exemple, voulez-vous exiger des remises en question profondes de ce que j’appelle des positions politiques prises par le pape ? Et allez-vous dans ces remises en question vouloir créer des liens avec les autres femmes, celles qui ne sont pas dans votre Église et celles qui parfois ne sont dans aucune Église ? Allez-vous réclamer l’ordination des femmes ? Allez-vous réclamer que les femmes puissent devenir évêques, pape ? Allez-vous discuter de la façon dont on nomme tous ces agents du pouvoir de l’Église catholique ? Ou vous voulez simplement grignoter plus de droits, mettre fin aux différentes formes de violence à l’égard des femmes dans l’Église, obtenir des meilleures conditions de travail, autrement dit, réclamez-vous des changements radicaux des structures dans l’Église ou des réformes en douceur ?
Je reviens sur la question des liens avec les femmes en général. Il me semble que plus vous allez choisir d’aller vers des changements structurels profonds, plus vous allez devoir vous appuyer sur des alliances stratégiques extrêmement importantes avec des milliers, des millions de femmes qui vous sont sympathiques, et je le dis même si un certain nombre d’entre elles ne se réclament pas de votre Église; entre femmes on peut se comprendre et s’appuyer même si par ailleurs on n’a pas les mêmes croyances spirituelles ou religieuses. Et jusqu’où irez-vous dans ces alliances ? Déjà, je sais que vous appuyez la Marche mondiale des femmes, vous y êtes impliquées, certaines d’entre vous participent à des comités etc. Irez-vous jusqu’au bout de cet appui ? Partagerez-vous vos difficultés ? Les expliquerez-vous aux autres femmes qui ne demandent qu’à vous entendre et à vous appuyer ? Je pense que c’est important parce que plus vous voudrez des changements radicaux, plus vous aurez besoin que votre rapport de force soit important. Évidemment, si vous décidez de faire une remise en question radicale du discours des structures et des pratiques de l’Église, il vous faudra probablement un jour ou l’autre les dénoncer publiquement. Tant que ça se passe à l’interne, il y a des gens qui sont protégés, qui se sentent protégés, qui ne bougeront pas. Vous devrez chercher des alliés, poser des gestes significatifs. Je voyais dans vos documents certaines suggestions qui étaient issues des consultations régionales, l’une m’apparaissait extrêmement audacieuse, c’était celle de célébrer une messe, pourquoi pas ? Qui a dit que seuls les hommes pouvaient le faire. Une autre disait que pendant la Marche on pourrait, à certains moments, arrêter devant des églises et dénoncer le pourvoir patriarcal. Il serait beaucoup plus significatif que vous, vous le fassiez, plutôt que d’autres le fassent à l’extérieur et parfois de façon beaucoup moins respectueuse. Évidemment, tout ça peut paraître excessif, radical. Il me semble que cette institution patriarcale a besoin d’une sérieuse secousse et qu’elle ne peut venir que des femmes. Nécessairement, avant de poser des gestes qui ne peuvent que soulever quelques vagues, vous aurez besoin certainement d’évaluer vos forces, d’évaluer vos alliances et de vous demander quels résultats vous pouvez vraiment obtenir.
Par contre c’est sûr que si vous pensez simplement réforme, et réforme à aller chercher petit à petit, vous utiliserez des moyens sans doute moins confrontants. Quoiqu’on a déjà vu des employés syndiqués d’un syndicat, par exemple, être obligés de faire la grève contre leur employeur syndical pour obtenir des améliorations aux conditions de travail. Autrement dit, c’est que ce n’est pas parce qu’on appartient à une famille et qu’on est frères et sœurs, que de temps en temps on n’a pas besoin de secouer les puces un peu. Ça se passe dans les meilleures familles. Dans vos consultations, vous avez donné beaucoup d’exemples de gestes que vous pouvez faire : sensibilisation, publication, prise de parole en divers lieux, exigence du langage inclusif, formation, visibilité. Ce sont évidemment tous des moyens excellents et qu’il faut utiliser, mais puisqu’on me demande mon avis, je pense que même les réformes exigeront plus. J’ai le sentiment que les résistances sont grandes; peut-être un peu moins au Québec qu’ailleurs, quoique… Mais c’est vous qui le savez.
Alors que faudra-t-il exactement, par exemple, pour que l’Église paie ses travailleuses à leur juste valeur ? Une syndicalisation ? Il faut savoir ce qu’on veut, jusqu’où on veut aller. La vraie question c’est ça. Dans tout cela, il me semble qu’il y a une constante indispensable, c’est la question des alliances. On ne le dira jamais assez, c’est capital. Pas seulement à l’interne mais avec toutes les femmes préoccupées d’équité et de justice, avec des hommes aussi qui peuvent appuyer les luttes des femmes. Et en particulier avec les groupes de femmes qui apprécient, j’espère que vous le savez, votre appui, votre soutien, votre collaboration à la Marche.
Je termine d’ailleurs avec la Marche qui va être une occasion intéressante de mettre à nu certaines contradictions. Vous avez appuyé, pour beaucoup d’entre vous, la plupart des revendications de la Marche au Québec, au Canada, dans le monde. Vous participez à des comités etc. Il est évident, je sais que c’est commencé, que des questions vous seront posées, par exemple, sur la position de la Marche des femmes à l’égard du libre choix et sur sa position à l’égard des droits des lesbiennes. Je sais très bien qu’un certain nombre d’entre vous ont reçu, par exemple, une lettre des Real Women of Canada qui vous ont écrit pour vous dire « mes sœurs comment se fait-il que vous appuyez cette Marche dirigée par des féministes radicales qui haïssent la famille, l’Église et les enfants, ce qui est un peu abusif, et qui prétendent, soumettre les Églises aux États parce que cette Marche dit qu’aucune culture, tradition ou religion ne doivent faire en sorte que les États se soustraient à la défense des droits humains fondamentaux des femmes ». Au Canada, cette lettre a influencé des groupes Pro-vie et l’organisme de coopération internationale Développement et Paix. C’est assez dramatique. Ils ont du pouvoir ces gens-là. Des questions vous seront donc posées. Il est vrai, je ne m’en cache absolument pas, que oui nous défendons le libre choix des femmes en matière de santé reproductive. Et oui, nous défendons les droits de toutes celles qui pour toutes sortes de raison, qu’elles soient immigrantes, lesbiennes, autochtones, handicapées ou travailleuses du sexe vivent des discriminations, de l’intolérance, de la haine et de la violence. Cela ne veut pas dire que nous approuvons tous les choix des femmes; cela veut dire simplement qu’on n’a pas le droit de lapider, torturer, tuer une femme parce qu’elle aime une femme. Et ça se passe dans un certain nombre de pays du monde. C’est juste ça que la Marche dit.
J’ai le sentiment que vous serez bientôt confrontées à répondre à ces personnes qui vont vous demander de ne plus appuyer la Marche et de ne plus en faire partie. Et là je pense qu’on aurait une occasion en or, toutes ensembles, femmes dans l’Église et femmes à l’extérieur de l’Église, mais qui sur le fond partagent les mêmes valeurs de dire haut et fort à quel point nous sommes sœurs dans toute l’acceptation générale du terme. Et je pense que cette alliance viendrait démontrer que vous comme nous, je dis nous, parce que je ne fais pas partie de la famille de l’Église, mais ce que je veux dire c’est nous, nous les femmes au fond, que nous soyons n’importe où, nous sommes capables de faire confiance aux femmes, à leur amour de la vie et à leur amour des enfants. On peut être pour le libre choix et adorer les enfants. Faire confiance dans la capacité des femmes d’avoir leur propre jugement sur la vie, sur le rapport au corps, sur le rapport à la sexualité, sur les rapports humains en général. Nous sommes capables de nous entendre là-dessus, je pense que de part et d’autre du point de vue des femmes qui luttent pour ces droits là, mais de votre point de vue à vous qui luttez pour votre place dans l’Église, cette alliance ne ferait que renforcer votre capacité à changer les choses dans l’Église, mais aussi la capacité des femmes de changer des choses dans la société. Merci
- Virage 2000 – La situation des femmes en Église - 1 janvier 2004