LES FEMMES VONT AU FRONT POUR LE PARTAGE DU POUVOIR DANS L’ÉGLISE
Même si les femmes engagées dans l’Église ont ressenti un ressac dans leur quête de voir une Église établir un véritable partenariat avec elles, les humains et les communautés de base; la croissance de la conscience féministe continue et l’espérance d’un changement majeur demeure très forte. Sœur Yvonne Bergeron a abordé le sujet avec La Tribune.
Nous ne sommes pas des masochistes. Les femmes comprennent ce qu’elles décident et pourquoi il faut changer le système pyramidal de l’Église. L’espérance que cela se produise un jour est très forte malgré les déceptions et la colère parfois. Ce n’est pas sorcier : l’Église est une organisation qui doit changer à tous les paliers et ce n’est pas pour le « fun » de détruire ».
Pionnière de la première heure du Réseau autonome de femmes engagées en Église « Femmes en Ministères » et toujours au front pour l’avènement d’un véritable partenariat, Sœur Yvonne Bergeron poursuit avec une énergie incroyable une lutte, non pas de pouvoir, mais une lutte pour le partage du pouvoir.
Elle a participé ces jours derniers, à Montréal, à un rassemblement de femmes engagées en Église auquel ont participé 90 personnes.
Avec ce grand rendez-vous s’amorçait la seconde phase du projet Virage 2000 dont la première phase s’était terminée en mai 2000 par un colloque où les femmes engagées en Église avaient pris conscience de l’importance de réfléchir, de se former, d’apprendre à surmonter les peurs et les résistances.
Appuyé par les quelques 250 personnes réunies au colloque 2000, le « Réseau Femmes et Ministères » s’est engagé à préparer une démarche de conscientisation pour permettre à un plus grand nombre de travailleuses en Église de réfléchir ensemble. Ainsi a vu le jour le Guide d’animation « La 25e heure pour l’Église ».
Ces derniers mois, quelque 400 personnes, à travers le Québec, se sont réunies dans des rencontres-salon pour analyser et réfléchir, à l’aide du Guide, sur les problématiques que sont la violence, le pouvoir et la pauvreté des travailleuses dans l’Église.
« La très grande majorité des personnes qui ont participé à ces rencontres-salon ont choisi la problématique du pouvoir. On a donc recueilli les rêves et les actions de ces 450 personnes et on en a discuté au rassemblement de Montréal. Il en est ressorti une volonté de bâtir l’Église selon le projet de Jésus-Christ, une Église où existe un réel partenariat entre femmes et hommes, entre ministres ordonnés, les autres et la base, une Église libératrice où l’on ouvre un chemin de justice, de promotion de l’égalité, de souci pour l’écologie, où, en bout de ligne, la libération de l’humain se réalise » plaidera Mme Bergeron.
Elle ajoutera l’importance de voir une Église axée sur les personnes, sur chaque personne, sans aucun facteur d’exclusion, ouverte aux communautés de base dotées d’une organisation plus démocratique.
Dans les blocages importants à cet avènement de partenariat, d’égalité, se dresse toujours la fameuse structure pyramidale de l’Église, la « structure kyriarcale » comme l’a qualifiée la conférencière Carolyn Sharp. Le pouvoir centralisateur que l’on voit, perçoit, vit comme un privilège qui n’et pas partageable, demeure un obstacle de taille.
« Nous refusons qu’un groupe de personnes ait la mainmise sur le pouvoir de l’Église. De toute façon, chaque baptisé a la responsabilité missionnaire et ce fameux pouvoir que l’on protège tant, tous les chrétiens l’ont reçu à leur baptême. Que ce pouvoir revienne à la communauté, qu’il lui soit remis et qu’elle puisse l’exercer ».
Les constats du rassemblement
Yvonne Bergeron a noté lors du rassemblement que beaucoup de femmes engagées en Église vivaient de grandes souffrances. Pour plusieurs d’entre elles, c’est un temps de grande déception.
Chez beaucoup de femmes, exprimera-t-elle, on a perçu colère, fatigue et on sentait chez elles que leur foi et leur espérance pour des changements dans l’Église semblaient impossibles, du moins pour le moment.
Il faut dire que vers la fin des années 1990, notamment de 1995 à 1998, la prise de conscience pour un partenariat, un partage du pouvoir, avait grimpé de façon très significative.
« C’est comme si, les années suivantes, nous avions vécu une sorte de ressac. On a senti au rassemblement certaines résistances, certaines peurs mais également un grand courage et une forte espérance qui font qu’il faut oser sa liberté, l’entretenir et, comme l’a souligné Carolyn Sharp, cultiver une éthique de sollicitude envers soi-même. Les femmes sont importantes, dignes, des personnes de valeur et l’espérance est toujours là ! »
Déclaration
Du rassemblement de fin de mars 2003 est issue une déclaration dans laquelle les femmes engagées en Église, disciple de Jésus-Christ dans son enseignement et sa pratique égalitaire, persistent à dénoncer la structure pyramidale qui ne répond pas au projet de construction du Royaume voulu par le Christ, le pouvoir centralisateur exercé actuellement par l’Église, les justifications théologiques du discours de l’Église pour maintenir le non-accession des femmes aux ministères ordonnés.
Elles dénoncent également les pratiques d’inégalité entre les hommes et les femmes à tous les niveaux de la structure ecclésiale, les pratiques ecclésiales qui déforment le message évangélique en excluant certains groupes de personnes, tels les divorcés-remariés, les homosexuels, les femmes qui subissent un avortement.
Les femmes veulent une Église libératrice, ouverte sur le monde, qui donne plus d’importance à l’agir sur le terrain qu’aux rites et coutumes; une Église où femmes et hommes travaillent ensemble à la proclamation de l’Évangile; une Église, communauté de foi, qui reconnaît l’appel des femmes à toutes les formes de ministères, y compris le ministère ordonné.
Elles affirment que l’Église doit être une « Église du cœur » où la priorité est accordée aux humains, que dans l’Église, toute personne doit être acceptée pour ses talents et ses charismes, sans distinction de rôle et de fonction.
Engagement
Les femmes, pour leur part, s’engagent à conscientiser les communautés à un vrai partenariat hommes/femmes en Église, à utiliser le langage inclusif, à assumer une prise de parole significative tant dans la vie ecclésiale que liturgique, à dénoncer toute forme de violence à l’intérieur de l’Église et à réagir à toute forme d’injustice dans les communautés.
Elles prennent l’engagement à promouvoir un modèle organisationnel qui soutienne l’exercice du pouvoir des femmes dans les équipes de travail et ce, au sein de toutes les instances, à développer des solidarités avec les agentes et les agents de changement dans l’Église, à créer et à maintenir des lieux de support et de partage entre femmes engagées en Église, enfin, à promouvoir et à soutenir la formation de petites communautés visant la création d’alternatives.
Pour les femmes engagées en Église, leur quête de justice et d’égalité se continue et pour reprendre un air connu, le vrai soleil, elles ne l’ont pas encore vu. Mais c’est pas fini, elles savent que ça s’en vient!