Le Réseau Femmes et Ministères, une organisation de chrétiennes féministes dénoncent « les pratiques d’inégalité » dans l’Église catholique. Dans une déclaration adoptée le 25 mars dernier, une centaine de représentantes du mouvement s’en prennent aussi au « pouvoir centralisateur » du Vatican et aux justifications « théologiques » invoquées pour exclure les femmes de la prêtrise.
Lancé il y a vingt ans, ce groupe s’efforce d’améliorer la condition des femmes dans l’Église. Il vise notamment à faire reconnaître les « femmes travailleuses » qui sont engagées à diverses tâches dans cette institution. Avec le manque de prêtres, en effet des « agentes de pastorale » jouent un rôle de plus en plus important, mais sans participation au pouvoir ecclésiastique.
Ces agents, surtout des femmes, s’ajoutent aux religieux qui participent depuis longtemps à la mission de l’Église. On en comptait plus de 2700 au pays, un effectif ramené à 2137 dans les récentes statistiques. Ce groupe surpasse en nombre les diacres (920) et les frères (1895), mais pas encore les prêtres ordinaires (5562) ni ceux des ordres religieux (3239).
De même, des 21 789 religieuses, plusieurs participent aux activités cléricales, y compris à des postes de responsabilité. Toutes ces femmes ne font pas partie du mouvement féministe au sein de l’Église. Mais, les religieuses ou laïques, les femmes qui y travaillent sont touchées par la contestation menée par le Réseau.
Débat fondamental
Au Québec, l’Église catholique compte quelque 1300 agentes rémunérées. Elles sont présentes partout, mais surtout à Québec, Saint-Jean-Longueuil, Montréal et Saint-Hyacinthe. Malgré la contestation, le Réseau qui promeut la condition de ces femmes n’est pas forcément en brouille avec l’Assemblée des évêques.
Tout en obéissant à Rome, même quand ils n’en partagent pas les vues, les évêques québécois sont pour un bon nombre, sympathiques aux revendications féministes. Mais ils n’ont jamais osé ouvrir un débat avec le Vatican sur certaines questions controversées (célibat ecclésiastique, homosexualité, divorce).
Le débat n’est pas moins fondamental
S’affichant comme « femmes engagées en Église » et « disciples de Jésus-Christ », les contestataires s’en prennent à la complicité de l’Église actuelle avec la société « patriarcale ». Et à son refus de pratiquer chez elle l’égalité avec les femmes. Elles dénoncent en même temps des pratiques qui, à leur avis, « déforment le Message évangélique en excluant certains groupes de personne ». La déclaration fait sans doute ici allusion aux personnes divorcées et aux gens d’orientation homosexuelle, mis au ban du sanctuaire par le Vatican.
Les femmes du Réseau veulent :
• une Église libératrice, ouverte sur le monde, qui donne plus d’importance aux personnes qu’aux rites, aux lois, aux disciplines et aux coutumes;
• une Église où hommes et femmes travaillent ensemble à la proclamation de l’Évangile;
• une Église communauté de foi, qui reconnaît l’appel des femmes à toutes les formes de ministères, « dont les ministères ordonnés ».
Elles souhaitent aune « Église du cœur », où toute personne soit reconnue pour ses talents, « sans discrimination de rôle et de fonction ».
Dénonciations
La déclaration résulte d’une démarche de consultation à travers les diocèses du pays. Trois problématiques sont visées : l’abus de pourvoir, la violence envers les femmes et la pauvreté.
Le Réseau s’engage à « dénoncer toute forme de violence » à l’intérieur de l’Église, à y promouvoir un modèle d’organisation où les femmes partagent le pouvoir « à tous les niveaux », et à développer des lieux plus accessibles de soutien et d’appartenance.
La lutte des féministes chrétiennes ne vise pas simplement le principe. Discrimination, pauvreté, violence ou abus de pouvoir supposent des situations d’injustice autant que d’accroc à l’égalité. Si les femmes du Réseau s’engagent à les dénoncer désormais, elles ne l’ont cependant pas fait jusqu’ici, du moins publiquement.
Est-ce à dire qu’il n’y aurait pas de situation d’abus ?
Le scandale de la pédophilie dans l’Église américaine a laissé dans l’ombre une autre catégorie d’abus concernant, cette fois, les rapports de membres du clergé avec les femmes. S’il est de commune renommée, en certains pays, que maints ecclésiastiques vivent maritalement avec une femme, par contre un tabou entoure encore les cas d’agression envers des paroissiennes, des étudiantes ou des religieuses.
Les recherches scientifiques en matière d’agression sexuelle montrent que la position de pouvoir de l’abuseur est un élément primordial de l’abus. L’abuseur marié n’est pas moins nocif que l’abuseur célibataire. Les professions de la santé et de l’éducation se sont données des codes d’éthique. Mais faute de reconnaître chez elles ces situations, les Églises n’ont guère dépassé ici la morale commune.
Agressions sexuelles
Comme le pouvoir ecclésiastique s’exerce aussi sur des femmes, les abus auxquels il peut donner lieu risquent fort de porter également sur l’aspect proprement sexuel des rapports avec elles. On ne connaît pas d’enquête au Québec sur la situation des agentes laïques à cet égard. Mais une étude faite aux États-Unis sur les agressions sexuelles envers les religieuses est révélatrice.
On doit cette étude aux professeurs John T. Chibnall, Ann Wolf et Paul N. Duckro. La recherche a été en partie subventionnée par une dizaine de communautés de femmes.
Une sœur sur dix y déclarait avoir été victime d’exploitation sexuelle au cours de sa vie en communauté. Près de la moitié des victimes avaient été abusées par un prêtre, le plus souvent un « directeur spirituel ». Ces sœurs n’y avaient pas toujours vu à l’origine une mauvaise expérience, mais, avec le recul, elles en avaient gardé une opinion négative. Les effets sur leur santé, voire sur leur spiritualité, n’étaient pas négligeables, bien qu’ils puissent s’atténuer avec le temps (ou grâce à une thérapie).
Il en allait autrement, toutefois, pour les agressions entre religieuses. L’abus venu d’une autre sœur était plus traumatisant. Bien que ces situations n’aient pas été répandues autant que l’agression par un homme, tout comme dans ce dernier cas, la personne abusive était souvent en position de pouvoir supérieure, enseignante, maîtresse de formation, conseillère.
D’où cette question que les féministes ont du mal à résoudre, dans la société comme dans l’Église : faut-il accéder au pouvoir, au risque de participer à ses abus, ou d’abord en réformer radicalement l’exercice ?
Le Réseau prétend faire les deux, et propose une conception plus fraternelle et ouverte de l’Église. Le péril est-il écarté pour autant ?
Ailleurs dans la société, là où des femmes ont accédé au pouvoir, les structures en place ne se sont pas nécessairement humanisées. L’autoritarisme l’ambition, l’arrogance, l’aveuglement, tout cela qui guette n’importe quel pouvoir n’est pas l’apanage d’un sexe. Mais surtout, rares sont les milieux qui ont appris à s’en préserver.
Justifiable en principe, l’accès des femmes à la prêtrise consoliderait, en pratique, la domination cléricale sur la communauté. Or, d’aucuns y voient une des causes du déclin du christianisme. Fait-il réformer cette institution ou, au contraire, en souhaiter la disparition ? D’autres Églises font place aux femmes et aux exclus « à tous les niveaux » : leur message est-il plus compréhensible et leur exemple plus éclairant ?
Le Réseau a néanmoins le mérite d’alimenter le débat.
(Jean-Claude Leclerc enseigne le journalisme à l’Université de Montréal.)