Le changement se produit toujours d’une façon ou d’une autre. S’il se produit à travers le système en place, nous l’appelons évolution. S’il se produit malgré le système, nous l’appelons révolution. Le problème est que l’esprit de la révolution – cette rafale désordonnée de changement si souvent déclenchée par la frustration ou le désespoir – est dans l’air aujourd’hui, politiquement, économiquement et spirituellement.
Près d’un demi-siècle après l’ouverture de la première session du concile Vatican II en octobre 1962, on retrouve un nouvel esprit dans l’Église.
Mais l’esprit qui se lève dans cette Église ne bat plus au rythme de la promesse et de l’énergie de Vatican II. Les nouvelles perspectives sont de plus en plus désinvesties. Le mandat du Concile d’accueillir l’air frais de l’Esprit a perdu de l’intérêt.
Mais pas complètement.
L’écho des documents du Concile résonne encore à l’intérieur de ceux et celles qui ont une mémoire vivante ou une peur intuitive de ce que c’était que de vivre dans l’ombre du Concile de Trente datant du XVIe siècle; il s’agit de personnes qui ont connu la domination cléricale qui a façonné la définition du concile de Trente, le système médiéval de castes qui a marqué son identité, l’autoritarisme qui a façonné sa culture. Ces personnes ont pris au sérieux Vatican II. L’appel aux laïcs « pour faire connaître leurs besoins à leurs évêques » a commencé à rejaillir dans les groupes de renouveau ecclésial.
Une nouvelle vie a éclaté partout dans le monde.
Pendant un certain temps, il semblait que les choses avaient réellement changées.
Les laïcs ont pris des responsabilités dans l’Église comme c’était le cas dans les premières communautés chrétiennes : ils sont devenus des ministres de l’eucharistie pour les malades et pour les personnes âgées dans les paroisses; ils sont devenus aumôniers d’hôpitaux; ils ont pris la responsabilité des cours de préparation au mariage dans les paroisses et des programmes de catéchèse pour adultes [RCIA]; ils ont accepté des fonctions dans des conseils paroissiaux et diocésains; ils sont devenus des ministres du culte mandatés pour des fonctions qui avaient été jusque là réservées exclusivement au clergé.
Un esprit électrisant s’est mis à bouillonner et à déborder dans le sillage de Vatican II. Des groupes de renouveau ont depuis lors cherché à appliquer les documents du Concile. Il semble que la liste ne finira jamais: l’Association for the Rights of Catholics in the Church cherche à redéfinir clairement la relation clercs-laïcs. Call to Action vise à rassembler les laïcs, les religieux et les clercs afin de poursuivre la discussion sur le renouvellement de l’Église. Corpus, une association de prêtres laïcisés, exprime son désir d’engagement ministériel en supportant la question des prêtres mariés. Future Church, Women Church Convergence et le Women’s Ordination Conference ont commencé à réclamer l’élargissement du rôle des femmes dans l’Église. New Ways Ministry and Dignity cherchent à attirer l’attention de l’Église sur les besoins des catholiques gais, lesbiennes, bisexuels et transgenres; Voice of the Faithful travaille à développer un nouveau le modèle d’autorité dans l’Église ; et Priests for Equality and Elephants in the Living Room demande l’élargissement des rôles des femmes comme des hommes dans l’Église.
Et cette liste n’est pas complète.
Ce qui est d’une importance particulière pour l’histoire de ces groupes, c’est qu’ils désirent travailler à l’intérieur de l’Église.
Mais l’Église ne veut pas considérer ces groupes aussi sérieusement que ceux-ci ne le font concernant le renouveau.
Elle a tout simplement fermé la discussion. Correction : elle ne pouvait pas la fermer. Elle a tout simplement refusé de faire partie de celle-ci.
Le problème avec cette approche est que plus une organisation – toute organisation – ignore les grandes questions internes, plus la pression monte en elle. Quand il y a trop d’eau sur un barrage durant un temps trop long, le ciment commence à fissurer. Ce ne sont tout d’abord que de petites fissures à peine perceptibles. Ensuite, si rien ne se passe, les fissures s’agrandissent. Finalement, il y a plus de fissures dans le barrage que ce à quoi il peut résister.
Depuis des années, de petites communautés ont commencé à se développer autour de questions préoccupantes afin de se former une opinion sur celles-ci. Et des individus courageux se sont levés, à travers les années, tourmentés par leur conscience et engagés par rapport à l’Évangile, afin de parler de sujets interdits et ce, de plus en plus clairement et de plus en plus fort. Par exemple:
• Roy Bourgeois, prêtre de Maryknoll, fondateur de l’école School of the Americas Watch (SOAW), qui est l’un des groupes les plus efficaces dans le pays [États-Unis] en ce qui concerne la dénonciation de l’enseignement par l’armée américaine de la torture stratégique, s’est prononcé en faveur de l’ordination des femmes. L’Église qui a pris des années à expulser les prêtres pédophiles a mis quatre mois à séculariser le père Bourgeois.
• Michael Tegeder, curé de la paroisse Saint-Édouard à Bloomington, Minnesota, a dénoncé la récente campagne sur DVD de l’archidiocèse de Minneapolis – St-Paul contre les relations déclarées entre personnes de même sexe. Conséquemment, la communion a été refusée à un groupe d’étudiants portant des boutons et des écharpes pour protester contre cette campagne à la messe de l’archevêque John Nienstedt à l’abbaye de St. John’s.
• Louvenagh Heffernan, une sœur irlandaise de Loreto, à la lumière de la baisse d’assistance à la messe en Irlande et de la pénurie de prêtres dans cette région, s’est prononcée en faveur de l’ordination des femmes.
• Jennifer Sleeman, une grand-mère de Cork, en Irlande, a appelé « les femmes croyantes » à un boycott d’une messe dominicale pour montrer à l’Église l’importance des femmes alors qu’elle prive plusieurs fidèles de l’eucharistie par manque de vocations à une prêtrise nécessairement masculine et célibataire.
Et pendant ce temps, les eaux de la frustration et du désespoir bouillonnent et s’agitent :
• Louise Lears, sœur de la Charité, a été placée sous interdit et s’est vue refuser l’accès aux sacrements pour avoir assisté à l’ordination de deux femmes prêtres catholiques romaines en novembre 2007.
• Louise Akers, sœur de la Charité de Cincinnati, a été empêchée d’enseigner ou de faire des présentations dans l’archidiocèse quand elle a refusé de se dissocier publiquement de la question de l’ordination des femmes.
Les femmes ont commencé à ouvrir leurs propres séminaires et à ordonner leurs propres prêtres. Priests for Equality a publié une édition non sexiste des Écritures à la suite du refus du Vatican d’admettre que Dieu parle à chacun et à chacune d’entre nous, pas seulement aux hommes.
Même des évêques de diverses régions du monde, ainsi qu’un groupe d’évêques d’ Asie, ont demandé à ce que l’Église discute de telles questions lors de ses propres synodes.
D’où je suis, on dirait que « Ne pensez même pas à ça [la question de l’ordination des femmes] », ça ne fonctionne tout simplement plus. On dirait que le barrage menace de rompre. On dirait que Jésus marche à nouveau sur le chemin de la Galilée, ramenant les femmes de la mort, guérissant les malades le jour du sabbat, discutant avec les scribes et les pharisiens, appelant à un changement de sorte que les ecclésiastiques de ce temps agissent de façon conforme aux Écritures qu’ils enseignent.
On dirait que l’Église a à choisir entre favoriser l’évolution ou risquer la révolution encore une douloureuse et inutile fois.
[*] Moniale bénédictine d’Érié en Pennsylvanie depuis une quarantaine d’année, Joan Chittister est une femme qui conçoit la vie spirituelle d’une façon neuve et incarnée dans la lutte pour la justice, la paix, les droits de l’être humain et la reconnaissance des droits des femmes dans l’Église et la société. Elle est une auteure et une conférencière connue internationalement. Elle collabore régulièrement avec leNational Catholic Reporter.
Cet article, traduit par Pauline Jacob, a d’abord été publié dans l’édition électronique du National Catholic Reporter, le 25 octobre 2010.
Sa traduction et sa reproduction ont reçu l’autorisation de l’auteure.
Version originale en anglais : http://ncronline.org/news/accountability/don’t-even-think-about-it-just-isn’t-working-anymore