Un événement spécial d’une journée se termine par une table ronde,
la première de son genre au cœur du Vatican!
Voici la traduction de ces échanges.
(Voir la transcription originale en anglais)
Le 8 mars 2015, Journée internationale de la femme, les portes du Vatican se sont ouvertes un peu plus grandes pour les femmes dans l’Église catholique. Voices of Faith, une initiative de la Fondation Fidel Goetz dont le slogan est « Toutes les voix comptent », a créé un nouveau mode de dialogue sur le leadership, le ministère et les rôles des femmes dans l’Église catholique. D’une façon bien différente de ce qui se fait habituellement, à savoir des hommes d’Église qui discutent et décident ce qui est mieux pour les femmes dans l’Église, ce dialogue au sujet des femmes est fait par les femmes elles-mêmes.
Astrid Lobo Gajiwala de l’Inde, Tina Beattie du Royaume-Uni, Ulla Gudmundson de la Suède et Gudrun Sailer de Rome se sont jointes à la modératrice Deborah Rose-Milavec, directrice exécutive de FutureChurch, pour cette première discussion du genre sur le rôle des femmes dans l’Église.
Cet événement était vraiment unique parce que les panélistes ont pu parler clairement de leur mécontentement par rapport aux traditions et aux pratiques de l’Église qui ont subordonné les femmes et privé l’Église des richesses que les femmes ont à offrir. Les participantes à la table ronde ont également partagé leurs espoirs et leurs idées pour élargir les rôles des femmes aujourd’hui.
Merci à la générosité de Linda Pinto et à CORPUS, une communauté de foi de 41 ans qui prône un sacerdoce inclusif enraciné dans une Église réformée et renouvelée. Voici la transcription complète de la discussion d’une heure qui a eu lieu le 8 Mars, 2015.
Nous portons un rêve!
Table ronde
Deborah Rose-Milavec : Eh bien, je me réjouis de cet événement. La deuxième partie du colloque Voices of Faith commence avec notre groupe de discussion. Nous l’avons intitulé We Have a Dream [Nous portons un rêve ] parce que nous toutes ici, et je suis sûre que chacune et chacun d’entre vous dans l‘assemblée portent un rêve concernant le leadership des femmes dans l’Église. Et nous remettrons le prix Women’s Sowers of Development, Caritas Internationalis, et Voices of Faith après cette table ronde, pour que vous sachiez ce qui s’en vient.
Mon nom est Deborah Rose-Milavec. Je suis la directrice exécutive de Futur Church, une organisation réformatrice aux États-Unis. Ma prédécesseure est Sœur Christine Shank que beaucoup de personnes connaissent. Une de nos missions consiste à créer, pour les catholiques romains, des occasions de participer pleinement à la vie et au leadership de l’Église.
Aujourd’hui, j’ai l’honneur de présider la rencontre entre quatre femmes remarquables qui nous parleront de leurs expériences de femmes qui travaillent dans l’Église catholique. Nous avons beaucoup entendu parler, dans la première partie de notre rencontre, des femmes dans la société : comment les femmes souffrent, comment les femmes sont exclues, comment leurs droits sont violés. […] Pouvons-nous maintenant regarder à l’intérieur de l’Église et y voir quelle est la place des femmes aujourd’hui?
Elles vont donc vous parler de leurs expériences, mais elles vont aussi vous parler de leurs rêves, de leurs espoirs et de leurs idées concernant la façon de créer un avenir meilleur pour le leadership des femmes dans l’Église. Donc, avec moi aujourd’hui se trouvent Gudrun Sailer, Ulla Gudmundson, Astrid Lobo Gajiwala, et Tina Beattie. Je vais dire quelques mots sur chacune d’elles. Rien de tout cela ne leur rendra l’hommage qu’elles méritent, mais je vais être brève compte tenu du temps.
Gudrun Sailer est originaire de l’Autriche, mais a travaillé comme journaliste à la radio dans la section allemande de Radio Vatican à Rome durant les douze dernières années. Elle collabore également avec l’équipe des nouvelles de la télévision allemande pour ce qui concerne le Vatican et le pape. Elle dit : « J’interprète [ce que le Vatican et le pape disent]. » Cela semble un travail vraiment important. Elle a écrit trois livres sur le Vatican, dont deux sont consacrés à la question des femmes. Elle va parler un peu de son travail aujourd’hui. Bienvenue, Gudrun.
Ulla Gudmundson est une écrivaine et une diplomate de carrière. Elle est membre de l’Église luthérienne et a servi comme ambassadrice de la Suède au Saint-Siège de 2008 à 2013. Elle a occupé de nombreux postes prestigieux, a écrit un livre sur l’OTAN et a écrit de nombreux articles et essais sur la politique de sécurité, les relations internationales, la religion, la littérature, et sur beaucoup d’autres sujets. Elle a écrit pour The Tablet et elle contribue régulièrement à l’ Osservatore Romano -le journal du Vatican ici- dans leur encart mensuel sur les femmes dans l’Église. Bienvenue, Ulla.
Tina Beattie est professeure d’études catholiques et directrice du Dibgy Stuart Research Centre à l’Université de Rohampton. Ses intérêts de recherche portent essentiellement sur le rôle et la représentation des femmes dans l’Église. Elle a écrit et publié de nombreux ouvrages dans le domaine de la théologie, de l’art, de la psychanalyse, de l’enseignement social catholique et des droits humains.
Son dernier projet est axé sur le bien-être des mères, la pauvreté et le développement international dans le contexte de l’enseignement social catholique, avec un accent sur l’Afrique subsaharienne. Tina fait partie du Groupe théologique consultatif du Catholic Agency For Overseas Development [CAFOD] et est une collaboratrice régulière de la BBC Radio 4, du Guardian Online et deThe Tablet. Bienvenue, Tina.
Astrid Logo Gajiwala est une scientifique avec un doctorat en médecine. Elle a créé la première banque de tissus de l’Inde au Tata Memorial Hospital. Elle est membre fondatrice de Satyashodhak, un collectif féministe à Mumbai, qui a fait une quantité incroyable de travail pour l’autonomie des femmes en Inde et, par extension, aux États-Unis et à d’autres endroits.
Elle a été la première femme à être invitée à s’adresser aux évêques de l’Inde à l’une de leurs assemblées plénières et, en 2008, elle a eu un rôle clé en travaillant avec Sœur Lily Francis et les évêques pour rédiger la politique du genre de l’Église catholique de l’Inde. Sortie en 2010, cette politique est la première de ce type dans l’Église catholique. C’est à la fois concret et prophétique en ce qui concerne la participation pleine et égale des femmes dans l’Église.
Astrid est une membre de la Indian Theological Association, a servi en tant que coordinatrice adjointe pour la Ecclesia of Women en Asie, est membre du Indian Women’s Theological Forum et est aussi membre du Indian Christian Women’s Movement. Elle a écrit et publié de nombreux ouvrages sur les préoccupations des femmes et les relations interconfessionnelles depuis les années 1980. Bienvenue Astrid.
Donc, nous allons commencer. J’ai bien apprécié la question de Leslie Ann ce matin : « Où sont les femmes? » C‘est une belle question. Et je pense que, quand nous regardons l’Église, nous pouvons poser cette question avec une réelle légitimité. Quiconque suit la pape François sait qu’il a dit à plusieurs reprises qu’il veut créer une présence plus incisive pour les femmes dans l’Église catholique. Et il dit que c’est quelque chose qui est cher à son cœur. C’est très touchant et je aime le pape François.
Et au consistoire de février, les cardinaux ont semblé d’accord. Nous savons que plus de femmes ont été nommées à des postes de décision. Par exemple, Sœur Mary Malone, qui était ici mais je pense est partie maintenant, a été nommée la première rectrice d’une université pontificale à Rome. Par contre, vous n’avez besoin que d’une main et en fait que de deux doigts seulement pour compter le nombre de positions de sous-secrétaire et plus que les femmes occupent au Saint-Siège. Ainsi, nous voyons le mouvement dans l’Église quand il s’agit de leadership des femmes, mais nous voyons aussi qu’il y a un besoin urgent d’élargir le rôle des femmes, en particulier aux niveaux des prises de décision les plus élevés.
Donc, avec cela à l’esprit, je vais commencer cet échange avec nos panélistes. Et je vais commencer par la question suivante : « Dites à tous ceux et celles ici et dans la blogosphère quelle est votre expérience en tant que femme travaillant dans l’Église catholique. » Mentionnez spécifiquement ce qui a été satisfaisant et peut-être ce qui l’a été moins. Donc, je veux commencer par Gudrun. Voulez-vous nous en dire un peu plus sur votre expérience?
Gudrun Sailer : Oui. Je suis journaliste au Vatican, à la radio vaticane, section allemande. Et je dirais que j’aime beaucoup ce travail. Il y a beaucoup de femmes. Environ 50% de tous les journalistes de Radio Vatican sont des femmes. Mais c’est effectivement tout à fait un environnement de clercs et je me demande si certains cardinaux seraient plus ouverts à être interviewés si la demande venait de prêtres et non d’une laïque comme moi. Mais la plupart du temps cette question ne se pose pas. Et je peux donc vraiment dire que c’est un très bon et respectueux environnement de travail, même si ma carrière est limitée par le fait que je suis une laïque au Vatican.
Deborah Rose-Milavec : Je sais que vous avez écrit quelques livres sur les femmes travaillant au Vatican. Comment vous êtes-vous intéressée à ce milieu et qu’ avez-vous trouvé dans ce travail.
Gudrun Sailer : Je suis venue à Radio Vatican il y a 12 ans, comme vous l’avez mentionné. Avant, je me demandais comment ça serait. Serais-je la seule femme? Mais j’ai rapidement découvert que nous étions très nombreuses, à Radio Vatican comme au Vatican. Et en tant que journaliste, je suis toujours intéressée à parler à d’autres femmes qui ont des emplois au Vatican. Donc, disons qu’à une conférence de presse avec environ huit personnes interviewés, la dernière personne à parler, c’est la femme. Je voudrais donc aller vers elle et lui donner une voix.
C’est à partir de ce type d’expériences que j’ai écrit un livre sur les femmes au Vatican. C’était il y a environ sept ou huit ans. Donc, il s’agit de portraits de femmes qui travaillaient au Vatican à cette époque. Elles [n’étaient pas] nombreuses. Je me souviens avoir mentionné à quelques amis que j’écrivait ce livre. Tout le monde m’a dit, « Wow, mais cela va être un livre très court – trois pages au plus! » [Rires.] Non, ce n’est pas le cas.
Et j’ai fait quelques recherches pour cette rencontre afin de savoir combien de femmes travaillent aujourd’hui au Vatican. Et ces chiffres sont vraiment récents. Je les ai obtenus il y a quelques jours. Et j’ai découvert qu’il existe aujourd’hui 762 femmes qui travaillent au Vatican. Il s’agit d’environ 20% du personnel, ou un peu moins. Ce n’est toujours pas beaucoup, mais c’est beaucoup plus que ce que les gens croient, je pense.
Deborah Rose-Milavec : Mais quel genre de positions détiennent-elles? C’est toujours très important. Nous savons que les femmes ont le plus souvent occupé des emplois subalternes pendant de nombreuses années dans tous les milieux, alors que font-elles?
Gudrun Sailer : Je suis heureuse de dire que ce n’est pas le cas au Vatican. Beaucoup de femmes travaillant au Saint-Siège sont des diplômés universitaires; environ 40% d’entre elles. Et je dois expliquer un peu. Nous avons ici au Vatican une échelle de salaire à dix degrés, dix étant le plus élevé. Et la plupart des femmes qui travaillent au Saint-Siège sont au niveau 7. Ce qui signifie qu’elles sont des diplômés universitaires. Donc, à ce niveau, elles peuvent peut-être être une leader de bureau,une historienne, une archiviste ou une journaliste. Donc ce n’est pas du travail ménager que les femmes font au Vatican.
Deborah Rose-Milavec : Très bien. Merci, Gudrun. Passons donc à quelqu’un d’autre. Pourquoi n’allons-nous pas à vous, Ulla? Parlez-nous de votre expérience de travail dans l’Église catholique.
Ulla Gudmundson : Je vous remercie beaucoup. Tout d’abord, ce sera très court si je parle de mon travail « dans l’Église catholique »; parce que je suis une non-catholique. Je suis très honorée d’être invitée ici comme une non-catholique. Je voudrais aussi ajouter que je me considère comme une bonne amie de l’Église catholique que j’admire et respecte. J’aimerais aussi dire que, pendant les cinq ans où j’étais ambassadrice de la Suède ici, j’ai rencontré de nombreux interlocuteurs et interlocutrices pour qui j’ai beaucoup de respect et d’admiration pour leur spiritualité, pour leurs réalisations intellectuelles, pour leur compétence, etc., et ce même si nous n’avons pas approfondi la question des femmes, qui est une question pour laquelle je suis vraiment critique concernant l’Église catholique, comme mes interlocuteurs de la Curie l’ont remarqué, je pense. J’espère qu’ils me trouvent toujours respectueuse et polie, mais pas nécessairement patiente et tendre. Une chose qui me frappe comme ambassadrice au Vatican ayant des rendez-vous à la Curie au Secrétariat d’Etat, dans les Conseils pontificaux et les académies, c’est, selon mon expérience, l’absence de femmes. J’ai rencontré une seule femme dans un poste de cadre supérieur à la Curie. Il s’agit de Flaminia Giovanelli, sous-secrétaire du Conseil pontifical justice et paix, une excellente personne. Mais c’est tout. Donc, je pense que c’est une question de niveau. C’est aussi une question de savoir où vous trouvez les femmes, quels types d’emplois et à quel niveau.
Vous avez raison : vous pouvez trouver des femmes au Vatican. À Radio Vatican, par exemple, dans les musées, dans la bibliothèque du Vatican, etc.; mais aucune à un poste de cadre supérieur au sein du Secrétariat d’État. Je trouve cela plutôt étrange, car il me semble que l’Église, qui met tellement l’accent sur les différences entre les femmes et les hommes et sur la complémentarité des femmes et des hommes, devrait être particulièrement impatiente d’entendre ce que les femmes ont à dire et devrait être particulièrement désireuse d’avoir un équilibre entre les hommes et les femmes dans ses structures de gouvernance. Donc, cette situation me semble un peu illogique.
J’ai été frappée par la façon dont les hauts représentants de l’Église catholique parlent des femmes. J’ai perdu le compte du nombre de fois où je les ai entendus qualifier les femmes comme des personnes tendres, patientes, sensibles, maternelles, empathiques, douces, etc. Je pense que ce sont de belles qualités nécessaires dans le monde d’aujourd’hui, mais je trouve qu’il y a quelque chose qui cloche quand elles sont attribués à tout un groupe d’êtres humains. Si je devais me qualifier, je ne voudrais pas utiliser ces adjectifs. Je dirais que je suis une personne curieuse et aventureuse, désireuse d’explorer le monde, passionnée de politique, curieuse intellectuellement. Et je ne sens pas que la description générale me convienne. J’ai eu cette expérience plusieurs fois.
Deborah Rose-Milavec : Vous avez dit ou écrit que, dans votre expérience d’ambassadrice, vous n’avez senti aucune différence entre vous et vos collègues masculins. Diriez-vous que, d’après votre expérience, c’est représentatif des femmes qui atteignent des niveaux plus élevés?
Ulla Gudmundson : La diplomatie est un champ dominé par les hommes, mais je dirais que le titre et la fonction l’emporte toujours sur le sexe. Si je représente la Suède, c’est ce qui compte et ça importe peu si je suis une femme ou un homme. Donc, je n’ai jamais été, à ma connaissance, traitée différemment par mes interlocuteurs extrêmement compétents et aimables de la Curie. Ce n’est pas le problème.
Je trouve ce genre de qualités attribuées collectivement problématique parce que je pense qu’il ne reconnaît pas que les femmes sont des personnes individuelles avec des caractéristiques différentes, différentes professions, différentes théologies, avec des opinions politiques différentes. Elles sont des individus, tout comme les hommes. Et j’ai l’impression, par exemple, quand je lis le document de travail pour le synode sur la famille de l’automne prochain qu’il y a dans l’Église, ou en tout cas parmi les gens qui ont écrit ce document, une certaine crainte de l’individualité ou de l’individualisme. Il me semble que c’est interprété comme équivalant à l’égoïsme. Pour moi, c’est le fait d’être adulte. Et je pense que nous avons entendu dans les témoignages d’aujourd’hui que les femmes veulent être traités en adultes. Elles veulent l’indépendance financière parce que cela signifie être adulte dans ce monde.
Deborah Rose-Milavec: D’accord, nous reviendrons à vous parce que vous avez beaucoup, beaucoup de bonnes choses à dire. Passons à Tina. Parlez-nous de votre expérience dans l’Église catholique, Tina.
Tina Beattie : Eh bien, je suis une convertie. Je suis devenu catholique peu de temps après la naissance de mon quatrième enfant, après avoir été un presbytérienne. Je vivais au Zimbabwe à l’époque. Et peu de temps après que nous ayons déménagé en Grande-Bretagne, j’ai décidé d’aller chercher un diplôme universitaire. J’étais une étudiante adulte. Et comme nouvelle catholique et nouvelle venue dans la culture européenne, j’ai décidé de faire de la théologie. C’était dans une université laïque à l’Université de Bristol. Et l’une des raisons pour ma conversion avait été un grand respect pour la cohérence intellectuelle et la richesse de la tradition catholique, avec son mariage de la foi et de la raison, de la grâce et de la nature, de la révélation et la raison.
Donc je pensais, un peu naïvement, que je devais aller à l’université car l’université est le lieu du questionnement intellectuel; c’est le lieu de la pensée rationnelle; c’est le lieu où on peut pousser des questions aussi loin qu’elles peuvent l’être. Et comme nouvelle catholique, je ne m’étais pas rendu compte que les théologiens catholiques n’étaient pas toujours encouragés à penser de cette façon, en particulier si c’étaient des femmes influencées par le féminisme; ce qui était mon cas à l’époque.
Mon parcours théologique a donc été un processus d’apprentissage. Ce fut une expérience très riche et très créative. Je réalise qu’en tant que femme dans l’Église je suis très chanceux d’être ici à un moment où, même si nous avons lutté pour être entendues, nous sommes finalement entendues et la rencontre d’aujourd’hui en est la preuve.
Et je pense que lorsqu’une situation est sur le point de changer d’un façon importante, les luttes deviennent plus intenses et plus féroces. Donc, actuellement, je suis très encouragée quand je vois les multiples tentatives pour maintenir les femmes à leur place dans l’Église parce que je pense que cela signifie qu’un changement est en train de se produire.
Et c’est ce que je suppose, dans ce contexte, quand je lis la lettre apostolique de François Evangelii Gaudium; je me dis que c’est l’Église dont je rêve. C’est la communauté joyeuse, libre et croyante qui, lorsque je me suis jointe à l’Église il y a de nombreuses années au Zimbabwe, m’a fortement attirée.
Et quelques-unes des raisons pour lesquelles j’ai été attirée ont été mentionnées aujourd’hui. Il s’agit d’un grande passion pour la justice sociale alliée à l’immense beauté de la tradition culturelle catholique. Ces raisons valent pour moi la peine qu’on lutte pour les préserver et les promouvoir et j’aspire au jour où les femmes seront partenaires à part entière dans cette lutte.
Deborah Rose-Milavec : Merci, Tina. Passons donc à Astrid. Parlez-nous de votre expérience dans l’Église catholique. Que souhaitez-vous nous partager?
Astrid Lobo Gajiwala : Eh bien, j’ai principalement travaillé à l’intérieur des structures institutionnelles. Et je dois avouer que mon expérience est plutôt mitigée. Je trouve cela très frustrant que les femmes soient exclues de la prise de décision parce que tous les types de gouvernance sont liés à l’ordination. Et j’ai aussi servi comme vice-présidente de mon conseil de paroisse, mais comme nous le savons toutes, le conseil de paroisse n’est qu’un organe consultatif et, finalement, tout dépend de la façon dont le curé exerce son pouvoir. J’ai aussi été consultante pour la Commission des femmes pendant des décennies et, en vérité, tout ce que nous pouvons faire, ce sont des recommandations. Nous n’avons pas de système de vote et nous n’avons pas à rendre de comptes. Seulement des recommandations. Je trouve qu’il y a beaucoup d’endroits où les femmes sont exclues et je ne comprends pas pourquoi.
Ainsi, par exemple, de nos jours la théologie féministe est enseignée. Nous avons des professeures dans les séminaires. Et des femmes enseignent l’homilétique à des séminaristes, mais elles ne peuvent pas faire d’homélies. Récemment, nous avons introduit des diacres mariés. Et je ne sais pas si c’est la même chose partout, mais, au moins en Inde, la femme accompagne son conjoint à travers l’ensemble du processus de formation. Et à la fin de tout cela, le mari est ordonné diacre et la femme ne l’est pas. Je ne vois pas la logique de tout cela.
Ainsi, nous avons introduit un étage supplémentaire. Avant, nous n’avions que les prêtres et maintenant nous avons les diacres mariés. Les femmes sont un étage en dessous. Et il y a des religieuses qui travaillent beaucoup en paroisses; je crois même que dans certaines parties du monde elles sont même responsables de paroisses. Mais elles ne peuvent pas être ordonnées diacres. Donc, pour moi, c’est un problème.
Mais d’autre part, je ai eu quelques expériences merveilleuses, au moins dans l’Église indienne. En voici un exemple. En 1992, Mgr Bosco Penha de Mumbai a été choisi pour faire une présentation sur les femmes à l’assemblée plénière de la Conférence des évêques catholiques de l’Inde. Ce que j’ai aimé, c’est qu’il se soit dit : « Comment puis-je en tant qu’évêque parler des femmes? » Il nous a fait part de sa réflexion en me demandant si ça ne me dérangerait pas de parler à sa place. Je lui ai répondu : « Non, ça ne me dérange pas. J’accepte. »
Et j’ai pris la parole lors de cette assemblée. J’ai été très bien acceptée, même si je n’étais pas vraiment invitée. Le résultat de cette intervention a été qu’à la fin de la réunion, les évêques ont créé le Bureau des femmes relevant de la Commission pour les Laïcs. Il y avait une autre femme de présente, sœur Cleopatra. Ils l’ont nommée secrétaire du Bureau des femmes et j’ai été nommée consultante.
Et bien sûr, plus tard, le Bureau des femmes a été transformé et Mgr Bosco lui-même en est devenu le président. Et je dois dire qu’il a travaillé très fort pour transformer le Bureau en une commission à part entière. Quelques années plus tard, en 1996, le Bureau est devenu une Commission. Je me souviens qu’il avait l’habitude de nous dire – il était un très nouvel évêque à l’époque- : « Bien sûr, vous les femmes vous avez toutes vos exigences, mais finalement, c’est moi qui ai à faire face aux autres évêques. » Mais de toute façon, il nous a obtenu notre Commission.
Et quelques années avant 2008, – à cette époque, c’est Mgr John Thakur, qui était président de la Commission des femmes – il proposa au comité permanent que l’assemblée plénière porte à nouveau sur l’autonomisation [empowerment] des femmes. Et ce fut une bonne chose que la commission permanente accepte cela.
Puis, en 2008, nous avons eu cette formidable réunion. Mais avant cela, ce qui a été bien, c’est… qu’il a été convenu que ce serait l’équipe qui serait en charge. Et Sœur Lily Francis, qui était alors la secrétaire de la Commission des femmes, a été chargé de toute l’organisation de l’ensemble de cette réunion. Et je pense qu’elle s’y est prise d’une belle manière.
Elle s’est d’abord centrée sur l’organisation – je faisais partie de ce comité d’organisation avec elle – et elle a organisé cette consultation au niveau national avec un certain nombre de petites consultations au niveau de la base, l’idée étant que c’est à partir des femmes elles-mêmes qu’on peut connaître leurs attentes, leurs préoccupations, de sorte que nous pourrions par la suite mettre cela à l’ordre du jour des évêques. Et en fait, parallèlement, il y avait aussi une enquête qui visait à évaluer en quoi l’Église fait une différence dans la vie des gens.
Tout cela a donc été apporté à la réunion. Et nous sommes arrivés à choisir nos porte-parole; nous étions cinq. J’étais l’une des principales oratrices. Il y avait quatre autres femmes. Et c’était vraiment agréable; il y avait 40 femmes présentes à cette assemblée plénière des évêques. Je pense que c’est une première dans l’histoire de la CBCI [Catholic Bishops’ Conference of India].
Et à la fin, les évêques ont produit une déclaration. Et il y a eu des recommandations – pour la première fois nous étions trois femmes sur le comité de rédaction – trois femmes, trois évêques. Et lors de cette réunion de 2008, ils ont décidé qu’ils allaient produire une politique du genre et ce, dans un court délai. Ils ont décrété que cette politique du genre serait produite dans la prochaine année et ils l’ont fait. Et en 2010, une politique du genre a été produite par la CBCI.
Pour moi, le plus important a été comment cette politique du genre a été conçue. En effet, une fois la décision d’une politique du genre prise, ils se sont tournés vers la Commission des femmes et ils ont dit : « Vous nous produisez un projet. » Et Sœur Lily Francis s’en est chargé. Elle a formé un comité de rédaction. J’étais présente à ce comité. Nous avons rédigé la politique et l’avons remise aux évêques. Et bien sûr, ils l’ont révisé, examiné et ont fait quelques modifications que nous n’avions pas trop appréciées. Mais le produit final était tout de même un bon document. Ce document (elle le montre) est la politique du genre de l’Église catholique de l’Inde.
Et ce que j’ai aimé, c’est que je me sentais vraiment respectée. Ils ont fait confiance aux femmes pour présenter leur propre vision. Ils nous ont donné la liberté. C’était donc la première partie. Et la deuxième partie, c’est qu’ils se sont appropriés ce document. C’est un document de la CBCI. Mais nous savons tous que c’est aussi un document de femmes parce que des femmes ont travaillé avec les évêques pour produire ce document.
Deborah Rose-Milavec : Merci, Astrid. Ce terme « genre » a des connotations très négatives dans l’Église actuellement. On entend même le pape dire que c’est un peu comme l’option nucléaire. Alors qu’est-ce que les évêques indiens entendent par ce terme?
Astrid Lobo Gajiwala : En fait, lorsque les évêques indiens utilisent le mot « genre », je pense que c’est simplement pour parler de discrimination contre les femmes. Et ils en parlent. En Inde, les femmes ont un statut très inférieur de sorte qu’ils visaient cela. Et puis aussi, ils étaient à la recherche de l’égalité des femmes et des hommes au sein de l’Église. En fait, ils disent dans leur politique que le but ultime est de réaliser l’égalité entre les hommes et les femmes. C’est la base de la politique.
Deborah Rose-Milavec : Merci. Nous avons entendu un peu parler des expériences vécues mais nous voulons aussi entendre parler des rêves. Nous savons qu’il y a eu amélioration du rôle des femmes en ce qui concerne le leadership. Par exemple, il y a eu cinq femmes nommées à la Commission théologique internationale, ce qui représente environ 17% des membres aujourd’hui.
Je pense que l’un des modèles les plus remarquables que nous ayons est maintenant la Commission pour la protection des mineurs du cardinal Sean O’Malley. Dans cette commission, sur 17 membres, huit sont des femmes. Et l’une d’elle en particulier – je le sais parce que j’ai étudié la question pendant un certain temps – est Marie Collins de l’Irlande, qui a longtemps dit que les évêques devaient être tenu de rendre des comptes. Maintenant, je me demande [quelle peut être sa position ] depuis qu’elle a été nommée à la Commission, parce que parfois on se demande ce que devient la voix d’une femme une fois qu’elle fait partie d’une commission. Mais je pense que [sa voix] a été forte et claire.
Je pense qu’il existe certains modèles gagnants pour ce que pourrait être le leadership des femmes dans l’Église. Et dans ce sens celui mentionné pourrait être l’un d’eux. Mais nous savons qu’il y a encore beaucoup de chemin à faire. Donc, je vais demander à chacun d’entre vous de parler de vos rêves et des espoirs en ce qui concerne le leadership des femmes dans l’Église,leur place dans des rôles de décision dans l’Église catholique. Que voulez-vous voir améliorer? Que voulez-vous voir changer?
Pourquoi ne pas commencer avec Tina.
Tina Beattie : Eh bien, je vais reprendre là où j’en était il y a longtemps. L’Église, dans Evangelii Gardium est très loin de réaliser mes rêves. Mon rêve serait que l’Église proclame la pleine égalité et l’égale dignité des hommes et des femmes créés à l’image de Dieu et que ce soit une balise absolue dans le monde, non pas une sorte d’illusion brillante pour ne pas avoir de problèmes; ce qui, je le crains, peut parfois se produire.
Quand on parle des femmes dans l’Église, on utilise parfois un langage fleuri, d’un romantisme fantaisiste tout maternel.
Je ne rêve pas d’une Église qui serait une communauté irréelle où tous les hommes et toutes les femmes vivraient dans une parfaite entente, mais je veux le genre de confrontation que nous avons ici pour comprendre et découvrir le sens de notre humanité, genrée de façon complexe, désireuse que nous nous considérions ces questions de la manière que le monde nous regarde et dise : « C’est de cette façon qu’on doit faire face à la condition humaine complexe et tragique. » Au lieu de cela, le tragédie est que nous faisons partie de la tragédie. Le monde nous regarde et nous dit – nos filles nous regardent et [disent] : « Mais, maman, pourquoi diable vous accrochez-vous à une église comme ça, alors que partout, sauf dans l’Église, vous êtes reconnues et appréciées pour ce que vous êtes? »
Donc, mon rêve serait que la dignité et l’égalité que nous avons réalisées dans l’image de Dieu soient le visage que l’Église présente au monde. Et ce devrait être un visage d’égalité absolue dans tous les aspects de l’Église pour que ce soit crédible.
Deborah Rose-Milavec : Mettons un peu de chair là-dessus pour voir à quoi ça ressemblerait. Soyons maintenant un peu plus pratiques. Une des choses que nous faisons dans l’Église est de parler de manière très globale. Nous voulons avoir une plus grande présence des femmes dans l’Église, une présence plus incisive. Cela m’intéresse, mais qu’est-ce que cela signifie? Parlons-en. Une des raisons pour lesquelles j’aime la politique du genre est qu’elle met un peu de chair sur les grands principes. C’est une feuille de route; c’est un chemin d’accès; c’est un trajet.
Et je pense que nous avons besoin de plus de cela dans l’Église en ce moment. Nous avons beaucoup de « nous avons besoin de plus [que d’une présence incisive]. » Nous avons tout un chœur de voix maintenant, de la base jusqu’au sommet, qui le proclame. Mais ma question est, comment pouvons-nous le réaliser? Je pose donc une question très pratique.
Tina Beattie: Eh bien, mettons-y un peu de chair. On nous dit que la question de l’ordination des femmes est exclue. Maintenant, si on nous demande de l’accepter et de le respecter, nous devons voir que dans toutes les autres situations, il y ait une égale promotion du leadership des femmes dans l’Église, que chaque poste qui ne nécessite pas l’ordination soit également pourvu par des hommes et des femmes. Ce serait un progrès et il n’y a absolument aucune raison pour laquelle cela ne peut se faire.
Mais l’autre chose que j’aimerais voir c’est une réelle honnêteté et une authenticité au sujet des luttes auxquelles les femmes sont confrontées et, parce que nous portons un idéal qui semble irréaliste, nous ne soyons pas réduites au silence. Je suis concernée par la mortalité des femmes.
Chaque jour 800 femmes parmi les plus pauvres de la planète meurent par des causes périnatales et des milliers d’autres sont laissées avec des blessures permanentes. Mais vous allez chercher en vain une référence à la mortalité maternelle dans l’enseignement social catholique ou même dans les encycliques les plus élogieux sur la pauvreté. Pour moi, c’est un indice qui indique jusqu’où nous devons aller avant que nous ayons une vraie chair sur le visage de la souffrance des femmes. Et nous attendons des voix qui parlent de la complexité de cette souffrance et proposent de vraies réponses éthiques.
Deborah Rose-Milavec : Merci, Tina. Gudrun, voulez-vous parler un peu?
Gudrun Sailer : Oui. J’aimerais qu’il y ait deux changements. L’un est le droit canon et le second est la mentalité. Je dois expliquer un peu. Le droit canon, comme vous le savez, crée un grand fossé. Pas entre les hommes et les femmes, mais entre les clercs et les laïcs.
Le cardinal Reinhard Marx de Munich a fait une proposition intéressante. Dans une récente interview au magazine America, il a mentionné que nous devrions examiner le droit canon et revoir théologiquement quels rôles nécessitent vraiment des prêtres. Parce que, comme vous l’avez dit, Astrid, le truc de leadership est connecté à la prêtrise, à l’ordination. Et le cardinal a expliqué que nous devrions réviser le droit canon afin d’avoir plus de femmes dans des positions de leadership dans l’Église catholique.
Mais la présence des femmes à des niveaux décisionnels n’est pas seulement une question juridique. Il s’agit aussi d’une question de mentalité. Et c’est aussi ce que j’aimerais voir changer. C’est une question qui va de haut en bas et non de bas en haut. Cela a également été expliqué par le Cardinal Marx. C’est donc les évêques et le pape qui doivent décider, qui doivent amorcer ce changement. Et il y a un long chemin à parcourir.
Et c’est juste ce que vous avez dit, Ulla – il y n’a seulement que deux sous-secrétaires au Vatican aujourd’hui, mais pour autant que je puisse l’entrevoir – je ne peux parler que pour le Vatican. Je pense que les choses changent, nous le voyons actuellement dans ce moment historique – nous pouvons avoir dix ou vingt femmes sous-secrétaires ou même secrétaires à des postes de décision au Vatican dans les deux prochaines années.
Deborah Rose-Milavec : Merci, Gudrun. Maintenant, Ulla, parlez-nous un peu de votre rêve.
Ulla Gudmundson : Eh bien, je serais ravie de voir l’Église catholique accorder la liberté aux femmes et aux hommes de réaliser leur plein potentiel humain, de souligner davantage ce qu’ils ont en commun et moins leurs différences. Si cela se produit, je pense que nous verrons que nous sommes plus semblables que différents. Nous aurons des preuves empiriques pour cela.
Et je voudrais voir les femmes avoir la possibilité d’être fortes, courageuses, intelligentes, d’exercer toutes ces qualités. Et je voudrais aussi voir les hommes avoir la possibilité d’être tendres, patients, sensibles, etc . [rires et applaudissements] Parce que je pense que c’est insultant et rabaissant pour les hommes de les considérer incapables de ces qualités.
Je suis d’accord avec le pape Benoît, qui a dit que les pères doivent aussi donner aux enfants un amour inconditionnel parce que Dieu est notre Père et qu’il nous donne un amour inconditionnel. Et je pense que le pape François est un brillant exemple du « génie féminin » [de rires et applaudissements] : sa patience, sa tendresse, sa grande miséricorde et son amour. Et j’ai appris, cinq minutes avant que l’on commence cet après-midi, que si vous regardez dans la liturgie catholique, vous trouverez des saintes décrites comme fortes et courageuses et des saints décrits comme patients et tendres. C’est donc tout à fait dans la tradition catholique.
Deborah Rose-Milavec : Merci. J’adore ça. Cela transforme le concept de « génie féminin » lorsqu’on l’applique, bien sûr, à François, qui est là-bas avec les bras grands ouverts comme les mères dans chaque famille et beaucoup de bons pères aussi. J’apprécie beaucoup cette notion de « génie féminin ». Merci, Ulla. C’est tout simplement génial. Astrid, dites-nous ce que vous en pensez.
Astrid Lobo Gajiwala : Eh bien, je rêve d’une Église où il ne serait plus question de savoir si vous êtes un homme ou une femme et vous pourriez répondre à l’appel au service indépendamment du fait que vous soyez un homme ou une femme. Je rêve aussi d’une Église qui délaisse le « pouvoir sur » qui est, je pense, très caractéristique du cléricalisme, au profit du « pouvoir avec » et du « pouvoir pour » qui est une caractéristique du service.
Je rêve aussi d’une Église où les hommes et les femmes participeraient à part égale à toutes les décisions de telle sorte qu’ils contribueraient aux politiques, aux structures, à l’enseignement et à la pratique de l’Église. Et les femmes comme les hommes exerceraient un ministère.
J’aimerais aussi une Église qui utilise un langage inclusif dans ses traductions, ses liturgies et ses documents. Je me sens mal quand j’entend le mot « homme » utilisé de façon générique. Je me sens vraiment exclue. Et dans le monde d’aujourd’hui, au XXIe siècle, je pense qu’il est temps que nous modifions notre langage. Et quand je parle de langage, j’aimerais aussi voir une Église où Dieu soit libéré d’un visage exclusivement masculin. Les femmes vivent l’expérience de Dieu très différemment et j’aimerais qu’il y ait place à un élargissement de notre compréhension du mystère de Dieu.
Et je rêve d’une Église où les femmes pourraient faire l’homélie comme Kerry l’a fait ce matin. [applaudissements.] Et aussi, que l’on puisse trouver plus d’histoires de femmes dans le lectionnaire. Je pense qu’il est temps que cela soit révisé de sorte que nous commencions à voir à quel point les femmes ont contribué à la croissance et au progrès de l’Église; ceci afin que notre contribution soit affirmée et conservée comme cela est fait avec la contribution des hommes dans l’Église.
Et bien sûr, puisque je viens de l’Église indienne, je rêve aussi que notre politique du genre ne reste pas lettre morte, mais qu’elle soit diffusée et appliquée. Et je suis heureuse de dire que d’une certaine façon,nous l’appliquons déjà, au moins dans l’Église de Mumbai et possiblement dans d’autres diocèses aussi. Donc, oui, ce sont certains de mes rêves.
Deborah Rose-Milavec : Merci beaucoup. Nous avons ici quelques questions qui peuvent nous bouleverser un peu comme femmes qui travaillent pour le leadership des femmes dans l’Église… Beaucoup de personnes, dans la première partie de ce colloque aujourd’hui, ont parlé de femmes dans des situations difficiles et nous en sommes bouleversées. L’importance de ces problématiques n’est pas à remettre en question. Par contre, le fait de travailler à la promotion du leadership des femmes dans l’Église est parfois critiqué.
Nous entendons des choses comme : « Oh, c’est seulement des préoccupations de femmes blanches occidentales et ce n’est vraiment pas la préoccupation du reste de l’Église. ». Et Gudrun m’a dit, dans l’une de ses lettres, que parfois les femmes sont accusées de sécularisation. Chaque fois que nous voulons faire avancer les choses, c’est l’occasion de dire : « Vous êtes une victime de la sécularisation. »
Ma question pour vous toutes est donc la suivante : « Ce mouvement, ce désir, cette faim, ce travail pour faire avancer le leadership des femmes dans l’Église est-il le produit de la sécularisation? Est-ce une impulsion de l’Évangile? Est-ce quelque chose qui sort de notre enseignement social catholique? D’où est ce que ça vient? Et comment pouvons-nous défendre notre position ou accepter l’accusation? Commençons par Tina.
Tina Beattie : Eh bien, toute la vie terrestre de Jésus va dans le sens d’empêcher les hommes de parler et de donner la parole aux femmes. Après l’Annonciation, quelles sont les premières personnes à annoncer la bonne nouvelle de l’Incarnation dans le monde? C’est lors de la visite de Marie à Elizabeth. C’est la salutation à Marie et sa réponse dans le Magnificat. Après la résurrection, les hommes étaient tous disparus et Jésus est apparu aux femmes. Et Marie-Madeleine a été appelée l’apôtre des Apôtres parce qu’elle a eu la mission d’annoncer la bonne nouvelle.
Je pense que dès le début et certainement dans l’Église primitive, le christianisme a introduit dans la conscience humaine de nouvelles possibilités sur l’égalité des hommes et des femmes, et puis très vite l’Église s’est institutionnalisé et a eu peur de ce que cela pourrait signifier.
Paradoxalement, je pense que le sécularisme d’aujourd’hui nous montre ce à quoi le christianisme ressemble, pas dans tous ses aspects, mais dans la vision de l’égalité des sexes. Je pense vraiment que le sécularisme redonne à l’Église un cadeau dont nous avons oublié le mode d’emploi. Et je pense que nous pouvons apprendre de cela. Nous pouvons très certainement revendiquer à certaines occasion. Mais afin de rendre notre contestation crédible, nous devons montrer que nous nous centrons sur le positif.
Deborah Rose-Milavec : Donc vous diriez que l’impulsion de réclamer l’égalité des hommes et des femmes vient vraiment de nos traditions les plus anciennes que nous aurions oubliées.
Tina Beattie : Oui. Et je pense que ça a toujours été là dans les traditions oubliées et négligées. Il y a beaucoup de travail aujourd’hui sur les théologies vernaculaires du Moyen Âge. Les théologiennes de cette époque sont nommées « femmes mystiques », mais c’est une façon de les classer dans une catégorie spéciale. Les femmes qui n’ont pas appris le latin scolastique du Moyen Age ont commencé à élaborer leurs propres théologies vernaculaires qui sont de plus en plus reconnues comme étant orthodoxes, égales à la tradition systématique.
Je pense que ça ne concerne pas seulement les valeurs modernes de l’égalité, mais aussi la récupération de notre histoire et des voix oubliées en découvrant qu’elles ont toujours été là. La tradition catholique a fait plus que tout autre tradition historique pour préserver la voix des femmes. Mais malheureusement, cela a toujours été une lutte pour obtenir que ces voix soient entendues, célébrées et développées à travers les âges. Il y a un dicton qui dit que les hommes apprennent en se tenant sur les épaules de géants. Les femmes ont dû commencer au niveau du sol à chaque génération parce que personne n’a gardé notre sagesse traditionnelle vivante comme une ressource pour nous.
C’est ce que les historiennes, les théologiennes féministes font dans l’Église d’aujourd’hui et je n’ai pas encore vu l’une d’elles citée ou nommée dans les enseignements officiels de l’Église.
Deborah Rose-Milavec : Gudrun, que pensez-vous de cette question? Vous avez souligné que certains disent que c’est un produit de la sécularisation. Qu’en pensez-vous?
Gudrun Sailer : Eh bien, je pense que l’Église dans son histoire a toujours été inspirée par le monde séculier et son environnement. C’est comme cela depuis le début. Et c’est également important parce que l’Église n’a pas à être fermée sur elle-même, mais elle doit être dans le monde et doit répondre aux besoins des gens d’aujourd’hui. C’est aussi ce que saint Paul, le saint pape Jean [XXIII] et Vatican II ont dit : vous devez interpréter les signes des temps à la lumière de l’Évangile.
Ce dont nous parlons, la prise en main des femmes par elles-mêmes (the empowerment), est un signe des temps, c’est toute l’histoire de l’émancipation. Et ça ne concerne ni la sécularisation ni l’imitation de monde, mais il s’agit de reconnaître, de réaliser que l’exclusion des femmes de l’Église n’est pas conforme à l’Évangile. Ce n’est pas ce que veut l’Évangile.
Et je pense que nous sommes en route, mais il y a un long chemin à parcourir.
Deborah Rose-Milavec : Merci. Astrid, voulez-vous commenter?
Astrid Lobo Gajiwala : Eh bien, je me sens parfois un peu triste du fait que nous nous appellions une église prophétique, alors que nous sommes toujours à courir après ce qui se passe dans le monde séculier. Il semble ouvrir la voie et nous, nous suivons. Et très souvent nous suivons parce que nous sommes presque poussés au pied du mur et nous n’avons pas le choix; et je pense que c’est un peu triste.
Je pense aussi qu’il est important pour nous de réaliser – je suppose que c’est ce qu’implique « lire les signes des temps » – que Dieu n’est pas seulement présent dans nos Écritures et dans notre Tradition, mais que Dieu est présent dans le monde et Dieu parle à travers d’autres cultures; il parle à travers les sciences sociales, il parle à trave d’autres religions et nous devons être ouverts à cela. C’est pourquoi, lorsque vous utilisez le mot « évolution », je pense que c’est très important.
Donc, je ne sais pas ce que vous entendez par la sécularisation parce que Dieu parle partout.
Deborah Rose-Milavec : Ulla?
Ulla Gudmundson : Eh bien, je suis d’accord avec ce que vous venez de dire, Astrid. Je suis également d’accord avec vous, Gudrun. Et je pense que nous convenons aussi que l’Église a toujours développé une relation dialectique avec le monde laïc et elle a toujours été inspirée par les modèles laïques quand elle a construit ses institutions.
Et je suis d’accord pour dire qu’il y a beaucoup à découvrir dans la tradition. Ça nécessite un retour aux sources et un aggiornamento, les mêmes qu’introduits à Vatican II. Je dirais que certaines théologiennes, qui sont maintenant tenues à l’écart par la Congrégation pour la doctrine de la Foi, ont la même position que Karl Rahner, Henri de Lubac, Yves Congar avaient dans les années 1950 avant le Concile et nous savons toutes ce qui est arrivé pendant le Concile. Je dirais, de façon un peu provocante, que le statut des femmes est un vestige de l’Église préconciliaire et c’est également un vestige d’un aristotélisme dépassé, d’un aristotélisme prédarwinien. Nous étions habituées à penser que Dieu a créé le monde en six jours et les éléphants et les écureuils; et certains avaient toujours perçu la même chose. Et puis Darwin est venu et a dit : « Et bien, c’est plus complexe que cela. » Je pense que l’Église doit apprendre ça en ce qui concerne les caractéristiques des femmes et des hommes. Et cette Église, si vous l’observez, a démontré une étonnante capacité à croître, à changer et à intégrer de nouvelles idées scientifiques et les nouvelles idées de l’univers séculier; je suis donc assez optimiste.
Deborah Rose-Milavec : Oui, je pense que, comme vous lisez Congar et repensez à la façon de vivre ses expériences à son époque, c’est un peu réconfortant. Vous ne vous sentez pas seule quand vous ressentez la frustration et les luttes pour faire avancer nos questions et permettre un débouché. Donc, c’est vraiment important.
J’aimerais que nous nous préoccupions particulièrement d’une idée. Nous approchons les cinq dernières minutes de sorte que nous ne poursuivrons pas beaucoup plus longtemps. Mais il y a également un autre terme qui, je pense, vaut la peine d’être discuté ici, et c’est celui de la complémentarité que nous voyons très souvent utilisé dans l’Église. Et je pense que c’est un mot intéressant. Je pense qu’en lui-même, c’est une beau mot – parce que nous nous complétons mutuellement.
La question est, je suppose, comment il est utilisé dans l’Église. Et nous savons que si vous l’observez historiquement, Pie XI a explicitement dit que les femmes étaient subordonnées aux hommes. Et ensuite Pie XII est le premier à l’utiliser, comme je peux le constater, dans la plus récente histoire – il reprend ce terme et il dit que les femmes et les hommes sont égaux en dignité; mais ils se complètent mutuellement en ce sens que les femmes ont de rôles définis. Elles sont des mères. Les hommes ont d’autres rôles déterminés. Et cela continue.
Et donc je voulais seulement lancer ça ici, et nous allons passer juste un tout petit peu de temps sur ça. Donc, Gudrun, avez-vous quelque chose à dire sur la complémentarité? Gudrun Sailer : J’ai très peu à dire à ce sujet. Je peux seulement parler de mon expérience personnelle en tant que mère de famille, nous sommes très complémentaires, mais c’est tout le contraire de ça. J’ai le rôle d’un homme dans la famille et mon mari est celui qui fait toute la cuisine et le nettoyage. Donc, je pense que chaque famille doit négocier ça elle-même.
Deborah Rose-Milavec : Et je pense que, quand je regarde la politique de genre de l’Église catholique de l’Inde, je pense qu’ils ont le sens vrai de la complémentarité. C’est juste ça : ça concerne les aptitudes personnelles et la façon dont elles se complètent mutuellement. [Tina], avez-vous quelque chose à dire rapidement?
Tina Beattie : J’ai entendu quelqu’un qui pensait que cela signifiait que chaque jour un mari doit dire à sa femme qu’elle est jolie… [Rires.]
Deborah Rose-Milavec : Ulla, quelque chose de court à ajouter?
Ulla Gudmundson : Eh bien, je pense que, comme vous le dites, la complémentarité est un concept historique. Je vais vous partager très rapidement une anecdote. Une personne de très haut rang dans votre Église m’a dit un jour : « Mon Église se développe de cette façon. Tout d’abord, quelque chose est interdit. Ensuite, elle devient permise, mais seulement comme une exception. Puis les évêques voient que cela fonctionne très bien et elle devient alors admise. Et puis elle devient obligatoire… [Rires]. Et il a dit : « Nous en sommes au point « un » avec l’ordination des femmes. »
Deborah Rose-Milavec : J’adore ça. À vous, Astrid.
Astrid Lobo Gajiwala : Je n’ai vraiment pas grand chose à ajouter. Je suis d’accord avec ce qu’a dit Gudrun et aussi, précédemment, quand Ulla a parlé – que ce n’est pas appuyé sur le genre; qu’il ne s’agit que de qualités humaines.
Deborah Rose-Milavec : Je tiens donc à finir très rapidement avec un merci à Chantal. Je pense qu’elle a été une merveilleuse chef de file nous permettant de faire avancer la conversation concernant les femmes dans l’Église. Et je dois vous dire tout simplement qu’aujourd’hui, à la suite de la messe avec Mgr Couto, que dans mes 60 années comme catholique, je ne suis jamais allée à une messe où quelqu’un a prêché aussi clairement l’égalité entre les femmes et les hommes. Et je dois vous dire que cette messe comme tous ces gens qui se sont rassemblés devant nous aujourd’hui ont vraiment été un cadeau extraordinaire pour lequel je suis profondément reconnaissante à la fois comme grand-mère de onze petits-enfants et mère de six enfants. J’investis beaucoup dans cet échange. Je veux voir l’Église continuer.
Merci à vous toutes. Merci à toutes celles qui ont participé à la table ronde.
Publication originale sur le site de FutureChurch
Traduction française par Pauline Jacob et Michel Goudreau
D’excellents courants d’air sur le chemin de la «petite espérance» qui n’en finit plus de tirer notre foi et la charité vers de plus hauts lieux…. Plus haut, plus loin! on est loin encore. Ce qui me frappe le plus, en lisant votre panel, c’est l’unanimité qui se dégage et de ce qui se passe sur le terrain et de vos aspirations. Je m’y suis reconnue avec beaucoup d’émotions. À bout de bras et petits pas, un espoir!
Merci à chacune de vous !