Depuis le début de son pontificat, François ne cesse d’étonner par ses prises de position audacieuses. Les médias sont à l’affût de ses moindres faits et gestes. Partout on chante ses louanges. Son charisme rayonne sur le monde entier. Une brise nouvelle souffle donc dans l’Église et suscite les plus grands espoirs d’une réforme en profondeur au sein de l’institution.
À n’en point douter, François est un homme foncièrement bon, sincèrement humble, plein de miséricorde. Mais ses mérites sont si généralement clamés qu’il devient presque gênant, pour ne pas dire ingrat, de lui adresser le moindre reproche. Pourtant, en ce qui a trait à la cause féminine, le pontificat de François me semble dangereux; plus dangereux encore que celui de ces prédécesseurs. Tout simplement parce que, les projecteurs étant tellement braqués sur ses coups d’éclat, on n’ose à peine évoquer sa fermeture relativement à la pleine intégration des femmes dans l’Église. Aux quelques voix féministes qui daignent s’élever, on rétorquera que le pape ne peut régler tous les dossiers en même temps. Pourtant, quand il s’agit d’une situation préjudiciable à 50 % des membres de l’Église, laquelle perdure depuis des siècles, le règlement de ce dossier ne devient-il pas priorité?
Bien que je remette fortement en question la pertinence même du sacerdoce pour des raisons qu’il n’est pas à propos de discuter ici, dans la conjoncture ecclésiale actuelle, cette institution demeure la porte d’entrée aux fonctions liées à la gouvernance de l’Église et à toutes ses instances décisionnelles. Or, François endosse entièrement la position de Jean-Paul II quant au non-accès des femmes au sacerdoce. Ce refus, les autorités ecclésiales l’ont répété maintes fois, se base sur l’argument voulant que Jésus n’ait choisi que des hommes au sein du groupe des Douze. Un argument d’ordre sociologique, dénué d’ancrage théologique. On justifie pourtant ce refus aux femmes en évoquant le motif de la fidélité à Jésus, Christ! Il convient donc de jeter un regard sur l’attitude de Jésus envers les femmes au cours de son ministère.
Rappelons d’abord que la condition féminine au temps de Jésus était tout simplement minable. La femme était une perpétuelle mineure, du berceau à la tombe. Propriété de son père d’abord, elle devenait celle de son mari dans le mariage et en cas de veuvage, elle tombait sous la tutelle de son fils; d’où la situation lamentable d’une femme qui n’a plus ni mari ni fils. La femme ne pouvait traverser le seuil de la porte sans être voilée; elle ne pouvait sortir en public sans être accompagnée de son père, de son mari ou de son fils. Elle ne pouvait témoigner en justice et elle n’avait pas le droit à l’instruction. Elle n’avait, en fait, de reconnaissance que dans la maternité – d’où la honte incommensurable qui affligeait la femme stérile.
Pourtant, Jésus a adopté une attitude révolutionnaire en faveur des femmes, allant au-delà de l’imaginable dans la société de l’époque. Il a eu des amies de femmes, dont Marthe et Marie, qu’il fréquentait chez elles, en l’absence de leur frère Lazare. Il a même livré à Marie un enseignement comme seuls les hommes avaient droit de recevoir. Il a donné à Marie de Magdala un rôle de leadership. Il a délivré de sa maladie la femme atteinte d’hémorragie chronique pour qu’elle puisse avoir une vie conjugale normale. Il a pris la part de la femme ‘adultère’ contre ses accusateurs hypocrites. Il a donné la femme dite ‘de mauvaise vie’ en exemple aux pharisiens. Il a même eu des femmes disciples qui l’ont suivi sur la route depuis la Galilée jusqu’à Jérusalem (Lc 8,1-3). Bref, l’Évangile est plein d’exemples de libérations féminines impensables dans son contexte sociohistorique.
La semence a donc été jetée par Jésus avec une force alors encore jamais vue à l’époque. Une attitude de sa part qui redonnait la dignité aux femmes; qui défiait tous les interdits de sa culture et de sa religion; qui traçait la voie; qui insufflait un souffle tout aussi subversif que nouveau. Il indiquait tout simplement dans quel sens devait se déployer la trajectoire de la libération de la femme.
Or, on se retrouve, aujourd’hui, dans une Église qui nie de façon éhontée les droits de la femme au sein de l’institution. Sous prétexte de fidélité à Jésus, Christ!… Fidélité? Ou trahison?
L’Évangile contient effectivement une semence d’un dynamisme prodigieux pour ouvrir aux femmes, aujourd’hui, et ce sans restriction, la place qui leur revient dans l’Église. On la leur refuse encore au nom Jésus! Ce n’est ni plus ni moins qu’une injure à sa mémoire. C’est un comportement en tout point semblable à celui dénoncé par Jésus lui-même au sein de sa propre religion. Dénonciation qui lui a valu la mort. En le ressuscitant, Dieu lui a pourtant donné raison, en même temps qu’il jugeait et condamnait ceux qui l’ont fait exécuter.
Cette libération des femmes, Saint Paul, ce Juif, ce pharisien a été obligé de la reconnaître; et quelle que soit la réputation de misogyne qu’on lui a injustement accolée, il a préconisé l’égalité des hommes et des femmes. Par exemple, en 1 Co 7, dans ce passage pratiquement ignoré dans notre enseignement chrétien, Paul présente de façon éloquente la réciprocité et la mutualité des droits et des devoirs de l’homme et de la femme dans le couple, et ce jusque dans l’intimité de leurs rapports conjugaux. Ce que dit Paul se résume à ceci : ce qui est vrai pour l’homme est également vrai pour la femme.
Il y a un grand nombre des paroles de Paul qui attestent l’égalité des hommes et des femmes. Je ne citerai que celle-ci, la plus englobante, tirée de sa lettre aux Galates :
Ga 3 27 Oui, vous tous qui avez été baptisés en Christ, vous avez revêtu Christ. 28 Il n’y a plus ni Juif ni Grec; il n’y a plus ni esclave ni homme libre; il n’y a plus l’homme et la femme; car tous, vous n’êtes qu’un en Jésus Christ.
Mais Paul dit encore : « La lettre tue; l’esprit vivifie » (2 Co 3,6). C’est sur cette note que je voudrais conclure : La lettre tue; l’esprit vivifie!
Certes, l’Évangile n’a pas couvert toutes les situations auxquelles nous aurions à faire face au cours de l’histoire, mais il a donné l’orientation et la puissance du souffle pour les affronter. Il n’a pas dit quoi faire, car la lettre tue; mais il a dit comment faire, et c’est en ce sens que l’esprit vivifie. C’est ce que signifie «selon l’esprit». Selon l’esprit de la Parole de Jésus, c’est-à-dire, tout ce qui génère la vie, qui promeut la dignité humaine.
Le pontificat du bon pape François est dangereux, justement parce qu’il éblouit trop. Au point d’occulter d’inquiétantes tares de son discours théologique. Il éblouit au point où on en vient à oublier son refus catégorique de reconnaître aux femmes des droits égaux à ceux des hommes en Église. Pour cela, sous le pontificat de François, l’avancement de la cause des femmes risque d’être encore davantage retardé.
Maria, 2 septembre 2015
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Les femmes auront accès au sacerdoce ou l’Église s’effondrera. La relève masculine à la prêtrise est rare, les prêtres actuels sont âgés et ne suffisent pas à la tâche. Ce n’est qu’une question de temps…
merci beaucoup pour cet éclairage fort important sur un pape éblouissant
Céline Lemay
faisant partie d’une moitié des humains qui porte le monde
Merci, Odette pour l’expression claire et nette de cette opinion que je partage entièrement. L’institution n’a pas fini de trouver des moyens pour tenir « la femme » hors des lieux de décisions pour ne pas dire de pouvoir. Depuis bien des années je me pose aussi cette question sur la pertinence du sacerdoce tel que l’institution l’a structuré. Je vois le sacerdoce catholique comme une hiérarchie copié des religions païennes de l’antiquité. Je pense bien qu’à mon âge je ne verrai pas autre chose. Merci pour l’originalité de tes propos. Peu de gens osent émettre les opinions que tu soutiens.
Je t’envie de pouvoir écrire tout cela d’en endroit si merveilleux.
Robert Hotte
Merci, cher Robert, pour tes propos. Il y aurait encore tant à dire sur le sujet. Je sais cependant que nous sommes sur la même longueur d’onde.
Merci à toi de continuer ton inlassable quête de justice et de vérité.
Un article lumineux, auquel je souscris à 100 %. De fait, apprécier le pape François pour son côté révolutionnaire, qu’il a incontestablement, ne doit pas occulter le fait qu’il reste à la tête d’une Eglise patriarcale à la Tradition millénaire et immuable. Il assume pleinement cet héritage. Il touchera donc davantage à la pastorale qu’à la doctrine (et cet ‘élargissement’ engendre déjà à lui seul d’inévitables tensions entre ‘conservateurs’ et ‘progressistes’ – le prochain synode de la famille nous le montrera encore !). Dernier exemple en date : l’extension des causes d’annulation du mariage et la procédure gratuite, décidées motus proprio par le pape lui-même. C’est une bonne chose, mais, au-delà de ça (du côté juridique de la chose !), la doctrine reste inchangée: toujours pas d’Eucharistie et de Sacrement de réconciliation pour les divorcés-remariés (juste de la miséricorde [‘Ils font toujours partie de l’Eglise’ (sic !)], comme pour les homosexuels,…). Or c’est évidemment là que le bas blesse. Comme l’article le relève, le sacerdoce des femmes est verrouillé pour des raisons religieuses (doctrinales); je dirais même idéologiques puisque l’Eglise se sert de son autorité divine pour affirmer que telle est la volonté de Dieu, à la lecture d’une interprétation – fondamentaliste – des Écritures ! Bref, l’Eglise – « succession des apôtres » – détiendrait infailliblement la Vérité divine à laquelle tout bon chrétien devrait obéir pour plaire à Dieu… Cela reste pour moi un véritable scandale lorsque, d’autre part, je regarde le comportement qu’avait Jésus à l’égard des hommes et des femmes de son temps. Son attitude était déjà à rebours de la pensée religieuse de son temps ! Et, XXI siècle plus tard !, il reste incontestablement en avance sur l’Eglise qui prétend pourtant le servir ! Il s’agit donc de garder son sens critique malgré les indéniables changements que ce pape opère par rapport aux pontificats précédents… L’Eglise, de fait, n’a pas encore tiré tous les enseignements de la crise moderniste… ni de Vatican II Les résistances aux changements sont énormes… Elle reste, encore et toujours, incapable de parler aux femmes et aux hommes de notre temps…. Le feu cardinal Martini n’affirmait-il pas que l’Eglise avait 200 ans de retard ?
Un article qui met en garde d’avaler avec bienveillance tant de couleuvres qui grouillent dans l’univers catholique! Merci authentique et lucide Odette Mainville.
Ça me fait tellement de bien à l’âme, au cœur et à l’intellect. À mon avis, il faut résister haut et fort jusque dans nos quotidiennes vies à toute collaboration qui garde en seconde zone cléricale… toujours de service à la noble gente masculine!!!
Ce qui ne m’empêche pas d’admirer et d’aimer ce bon François dans les normes archi-dépassées dont il est conscient presque spontanément. Mais je vote volontiers pour la priorité à replacer au tout premier rang: la moitié de l’humanité, les femmes!
MERCI!
I said it right from the beginning when Francis made the gesture of washing the feet of women – where are the Catholic women? and I too see that he has « bedazzled the population and greatly impresses with brilliance, skill or cleverly outwits it. » I wish the Church would stop blaming Christ for their misogyny just as I wish people would stop blaming Christ for their bigotry.
Toujours bon à rappeler, même au XXIè siècle…
Le Pape François a pris la défense d’Ève face à Adam
VATICAN – Le Pape prend la défense d’Ève contre Adam: « La femme tentatrice? Voilà une idée blessante! ». Il suffit parfois de quelques mots, prononcés par la bonne personne, pour mettre à mal un préjugé vieux de plusieurs millénaires. C’est exactement ce qui s’est produit lors du dernier discours du pape François, consacré à Adam et Ève: « La femme tentatrice? Voilà une idée blessante! » Une petite phrase qui démolit avec une simplicité désarmante la construction culturelle selon laquelle la femme serait l’instrument du diable, un être dangereux à traiter avec méfiance, voir une franche hostilité.
Comme le rapporte le quotidien Il Corriere della Sera, Lucetta Scaraffia, coordinatrice du supplément Les Femmes dans l’Église du quotidien L’Osservatore romano, faisait remarquer hier que le « stéréotype » séculaire de la femme tentatrice « a connu un grand succès dans l’Église ». Ce stéréotype, le pape François l’a démoli. Les « lieux communs blessants » vont à l’encontre de la vérité. Car, explique le pape, à travers les mots adressés au serpent, « Dieu entoure la femme d’une barrière protectrice contre le Mal, à laquelle elle peut avoir recours – si elle le souhaite – à chaque étape de son existence ».
Le Christ lui-même, rappelle-t-il, est né d’une femme. Et le récit de la Genèse « dit que la femme porte en elle une bénédiction secrète, pour la défendre contre le Malin – comme la femme de l’Apocalypse, qui court cacher son fils à la vue du Dragon – et que Dieu la protège ».
Ce n’est pas la première fois que le pape s’attaque au sujet. Il y a quelques mois, le souverain pontife avait qualifié de « machiste » l’idée selon laquelle la crise du mariage serait due à l’émancipation des femmes: « Pauvres femmes! », avait-il alors soupiré.
Cette observation, François l’avait glissée peu avant l’été, sous la forme d’une boutade en plein milieu d’une audience dans laquelle il parlait du « véritable scandale de la disparité » entre hommes et femmes, mettant en garde contre la « fausseté » de ceux qui voient dans l’émancipation de la femme la cause de la crise de l’institution maritale. « C’est une forme de machisme, dont le but a toujours été de dominer la femme. Nous risquons de commettre la même bévue qu’Adam, lorsque Dieu lui a dit: ‘Mais pourquoi as-tu mangé la pomme?’ et qu’il a répondu: ‘C’est la femme qui me l’a donnée.’ C’est toujours la faute de la femme. Pauvres femmes! Nous devons les défendre! »
http://www.huffingtonpost.fr/2015/09/17/pape-francois-eve-adam-bible_n_8152988.html
Qui dit que les femmes sont sous estimées dans l’Église? S’il n’y a pas de femmes Prêtres, il y a tout de même des femmes avec d’autres responsabilités, qui ne sont pas les moindres, tout est question de l’apostolat et de la fidélité à sa vocation.
Mais si la vocation d’une femme est de servir le peuple de Dieu comme prêtre, comment peut-elle être fidèle à sa vocation?
Toujours le même problème pour les femmes et la même illusion des hommes d’Église! Qui leur aurait donné à eux seuls, entre eux seuls, et pour tous les temps, la vocation de décréter quelle est la vocation de LA Femme, sur base d’une féminité qu’ils fantasment plus ou moins et qu’ils enferment dans une Théologie de la Femme où les femmes bien vivantes et réelles n’ont pas part? On est loin de l’affirmation de l’égale la dignité du couple biblique…loin de la co-responsabilité baptismale des chrétiennes et chrétiens. On est loin bien loin de la parité que femmes et hommes cherchent à vivre aujourd’hui, en s’émerveillant déjà de ce qu’elle apporte!
Good to see a talent at work. I can’t match that.
Chère Odette, C’est avec une certaine douleur que je lis tes réflexions parce qu’elles sont le reflet de grandes vérités et de souffrances vécues dans notre Église. Je rêve de ministères variés mis en exercice dans la communauté sans égard au sexe ou à l’orientation sexuelle. Je rêve aussi que ces ministères soient repensés complètement parce qu’ils sont façonnés sur le modèle de l’Ancien Testament et sont trop loin de l’Évangile. Peut-être que la présence des femmes contribueraient à les évangéliser.