Voici le témoignage d’une catholique qui, après un processus de discernement, a décidé de passer à l’Église anglicane pour marcher dans ce qu’elle perçoit comme l’appel de Dieu pour elle aujourd’hui tout en reconnaissant l’apport important de l’Église catholique dans le mûrissement de sa foi et de son engagement chrétien.
Ce n’est pas vous qui m’avez choisi, c’est moi qui vous ai choisis et institués pour que vous alliez, que vous portiez du fruit et que votre fruit demeure : si bien que tout ce que vous demanderez au Père en mon nom, il vous l’accordera. Ce que je vous commande, c’est de vous aimer les uns les autres. » (Jn 15, 16-17)
Il y a plusieurs années, j’ai assisté à une très belle célébration à l’intérieur de laquelle une religieuse a prononcé ses voeux perpétuels. Dans son homélie, l’évêque présidant a parlé des nombreux tours et détours que le chemin de notre vie peut prendre; toutefois Dieu ne se reposera pas avant que nous n’ayons pris la place qu’il a préparée pour nous. Eh bien, Dieu m’a fait parcourir tout un trajet sur le chemin de la vie, particulièrement au cours des 22 dernières années, en ce qui concerne mon cheminement vers le ministère ecclésial.
À plusieurs occasions au cours de ces années, j’ai été obligée de m’arrêter pour faire le point, pour écouter attentivement les suggestions de l’Esprit saint tant dans mon propre coeur que dans ma communauté de foi à travers la perception de ma vocation de prêtre, vocation non reconnue par notre sainte mère l’Église catholique. Bien que je n’aie jamais senti le désir de transférer cette expérience d’appel à la prêtrise à un niveau politique, j’ai toujours été consciente de la nature controversée d’une telle demande. Pour cette raison, je me suis continuellement efforcée d’exercer mon discernement avec discrétion et honnêteté, cherchant un éclairage à travers la prière et l’étude appuyées sur les saintes Écritures, à travers un supervision par des personnes sages et dignes de confiance, catholiques ou non, ministres ordonnés ou laïques, aussi bien que par des personnes qui participaient à mes activités ministérielles.
Il m’apparaissait essentiel de prendre des décisions importantes avec une conscience éclairée et, j’ajouterais, « en communauté ». Bien qu’un tel discernement soit profondément personnel, il n’est en aucune façon du domaine privé. Comme membre baptisée du Corps du Christ, l’Église, et comme une leader reconnue, une professeure et une mentor dans cette Église, je vis et exerce mon ministère dans l’interdépendance et la coresponsabilité avec tous les membres de la communauté des croyants et des croyantes au Christ. C’est mon sens de l’intégrité et de la responsabilité qui m’incite à écrire cette lettre.
La reconnaissance de l’appel à la prêtrise pour une femme catholique est un sujet délicat étant donné que l’Église catholique ne se considère pas autorisé par le Christ à ordonner des femmes à la prêtrise. J’ai dû faire face à des obstacles sérieux tant à l’extérieur qu’à l’intérieur de moi. Peut-être le fait que j’atteindrai bientôt la soixantaine me pousse-t-il à répondre pleinement aux appels de Dieu, appels qui sont là depuis de nombreuses années et reviennent sans cesse de façon persistante dans les dimensions affectives, spirituelles et ministérielles de ma vie. Même s’ils ont été reconnus et confirmés par plusieurs personnes de ma communauté de foi, ces appels ont mis au défi ma propre résistance, les limites eccésiales et les enseignements actuels de l’Église. Ils m’ont permis de vivre des expériences spirituelles et ministérielles d’une grande beauté et d’une grande intensité de même qu’une intimité à la fois stimulante, douloureuse et exigeante avec Dieu. Par leur ténacité, ces appels sont venus à bout de mes propres objections aussi bien que des refus de l’Église. Avoir vécu avec cet appel plus de deux décennies permet d’en éprouver l’authenticité. J’en suis finalement venue à réaliser que ces appels intérieurs ont très probablement leur origine dans le rêve de Dieu, un rêve qui promet la vie en abondance : « Moi, je suis venu pour que les humains aient la vie et qu’ils l’aient en abondance. » (Jn 10, 10)
Ayant à cœur ma réponse à Dieu, j’ai récemment entrepris des démarches pour me joindre à l’Église anglicane du Canada; j’y entreprendrai bientôt un discernement formel concernant l’ordination presbytérale. Je suis d’ores et déjà chaudement accueillie dans cette nouvelle famille religieuse, famille qui, tout en possédant un caractère distinct et unique, se considère une partie intégrante de l’Église une, sainte, catholique et apostolique, le corps du Christ sur la terre.
Cette décision n’a pas été prise à la légère ni motivée par un désir d’attaquer ou de critiquer l’Église catholique. Mon « Église mère » demeurera toujours le creuset dans lequel tant ma foi que mon appel à la prêtrise ont été alimentés et ont évolué en maturité et en profondeur. Comme le pape François le dit dans son encyclique La joie de l’Évangile dans la section sur l’oecuménisme : « Nous devons toujours nous rappeler que nous sommes pèlerins, et que nous pérégrinons ensemble. Pour cela il faut confier son cœur au compagnon de route sans soupçon, sans méfiance, et viser avant tout ce que nous cherchons : la paix dans le visage de l’unique Dieu. » (par. 244)
Bien que je sois motivée par le désir de choisir la vie, je ressens cependant une profonde tristesse. Le Christ ne peut être divisé, mais la réalité institutionnelle de son Église l’est. Bien que le dialogue oecuménique ait produit des fruits véritables de respect profond, de compréhension et d‘affection entre les diverses communautés de foi chrétienne, mon passage à la tradition anglicane n’est cependant pas approuvé formellement par la hiérarchie catholique. Bien qu’un tel rejet me cause une grande souffrance, dans la résurrection du Christ nous comprenons que la souffrance n’empêche pas Dieu d’infuser dans nos vies sa force rédemptrice, sa grâce et sa miséricorde. C’est sur cette promesse que je fais reposer mon avenir.
Je suis tout à fait consciente que ces nouvelles ne seront pas accueillies de façon positive par tout le monde. Je peux comprendre cela; j’ai moi aussi déjà eu de la difficulté à comprendre et à accepter des choix d’autres personnes. Permettez-moi quelques réflexions concernant ce dilemne. En premier lieu, je me réfère au pape François dans La Joie de l’Évangile : « Elles sont tellement nombreuses et tellement précieuses, les réalités qui nous unissent! Et si vraiment nous croyons en la libre et généreuse action de l’Esprit, nous pouvons apprendre tant de choses les uns des autres! Il ne s’agit pas seulement de recevoir des informations sur les autres afin de mieux les connaître, mais de recueillir ce que l’Esprit a semé en eux comme don aussi pour nous. […] À travers un échange de dons, l’Esprit peut nous conduire toujours plus à la vérité et au bien. » (par. 246)
En deuxième lieu, je suggère qu’on se réfère à certains documents catholiques sur l’oecuménisme, en particulier le Décret sur l’œcuménisme du concile Vatican II ainsi que l’encyclique Ut Unum Sint (Qu’ils soient un) de Jean-Paul II aussi bien que certains des accords majeurs issus du Dialogue anglican et catholique romain des 40 dernières années. Ces accords montrent clairement notre théologie commune sur l’eucharistie, la reconnaissance mutuelle de nos mérites et la reconnaissance de l’action de la grâce de Dieu et de sa miséricorde dans nos deux traditions. Même si ma décision provoque désaccord et conflit, pouvons-nous néanmoins nous unir dans la prière pour l’unité de chrétiens?
Bien que cela semble difficile à comprendre, je n’ai pas le sentiment de « partir ». Au contraire, je prends avec moi les bienfaits et les grâces de ma foi catholique, désirant profondément en faire profiter ma nouvelle famille ecclésiale. Car je souhaite ardemment que mon cheminement ecclésial et ministériel personnel puisse servir la cause de l’unité des chrétiens dans le Corps du Christ, une unité pour laquelle Jésus a si ardemment prié lors de sa dernière nuit terrestre.
Je veux sincèrement remercier toutes les personnes qui m’ont confié divers ministères au cours des 22 dernières années, en particulier les Missionnaires Oblats de Marie Immaculée et toutes les personnes, membres du personnel et du clergé, avec les évêques précédents et actuels des diocèses catholiques de Prince Albert, de Saskatoon et de Regina. Vous n’avez jamais cessé de confirmer les dons et les talents que Dieu m’a donnés. Merci pour votre confiance, vos encouragements et votre amitié. Avec gratitude et affection, je vous prends tous avec moi dans mes prières, mon coeur et mon ministère futur.
Telle est ma conviction :
Celui qui a commencé en vous une œuvre excellente
en poursuivra l’achèvement jusqu’au jour de Jésus Christ.
Phil 1, 6
(Tout en partageant cette réflexion librement et publiquement, mon intention profonde a été de vivre mon expérience d’appel à la prêtrise d‘une façon apolitique dans l’Église et je continue toujours dans ce sens. Accueillons nos chemins mutuels avec respect et affection. Soyez assurés que ma participation aux échanges sur l’ordination des femmes dans l’Église catholique n‘est pas terminée, elle est seulement modifiée. L’union dans la prière se réalisera.)
Humboldt (Saskatchewan, Canada)
Octobre 2015
Version originale : https://graceatsixty.wordpress.com/2015/10/12/a-time-of-transition/
Publié avec l’autorisation de l’auteure.
Traduit par Michel Goudreau et Pauline Jacob
- Un temps de transition - 6 avril 2016
J’ai travaillé assez récemment avec une pasteur anglicane dans un projet biblique qui s’adresse aux femmes incarcérées. Dans l’équipe des biblistes se trouvaient aussi trois femmes catholiques. Une aise « sororale », une compréhension mutuelle, un partage de vie très proche les unes des autres.
La seule chose qui ne constituera jamais un dérèglement de vie, c’est bien d’avoir suivi votre propre cheminement de façon éclairée et soutenue.
Bonne chance, Je vous accompagne de ma prière.