Table ronde « Femmes en Église: un débat à relancer »

Le questionnement sur la place et le rôle des femmes dans l’Église catholique semble « en panne ». Cet enjeu – qui s’inscrit au sein de l’ensemble des revendications du mouvement des femmes – est pourtant incontournable pour l’avenir et la crédibilité du catholicisme. La Conférence religieuse canadienne le rappelait d’ailleurs à nos évêques, au printemps dernier, à l’occasion de leur visite ad limina. Pour faire le point sur la conjoncture actuelle et pour tenter de relancer le débat, nous avons donc convié quatre femmes à briser le silence.

Annine Parent est agente de pastorale à la retraite; elle a été directrice du Service de la pastorale du diocèse de Québec de 1987 à 1998.
Élisabeth Garant est responsable du secteur Vivre ensemble au Centre justice et foi.
Pauline Jacob a été agente de pastorale dans le diocèse de Montréal; elle est présentement doctorante à la Faculté de théologie et de sciences des religions de l’Université de Montréal, où elle prépare une thèse sur le discernement de l’appel à la prêtrise ou au diaconat chez des femmes catholiques du Québec.
Marie-Andrée Roy est professeure au Département de science des religions et chercheure à l’Institut de recherches et d’études féministes de l’UQAM.

Annine Parent : Le dossier des femmes en Église est gelé – officiellement du moins. Auprès des autorités ecclésiales, le sujet est tabou. Depuis l’injonction romaine de 1994[1], nos évêques n’ont fait aucune intervention publique sur les femmes, ni ici ni à Rome. C’est le silence, la soumission, l’inertie. Les quelques évêques encore ouverts à la cause des femmes n’osent plus prendre d’initiative, même s’ils sont convaincus, au fond d’eux-mêmes, qu’un déblocage serait possible et souhaitable. La chape de plomb est si lourde qu’ils refusent d’en parler. Or, « sur le terrain », les bénévoles, les membres des conseils de pastorale, ce sont largement des femmes – sans oublier bien sûr les nombreuses agentes de pastorale. Ces croyantes engagées dans l’Église demeurent d’éternelles « secondes », malgré leur rôle indispensable au maintien de l’institution.

Élisabeth Garant : De fait, l’année 1994 marque un point tournant. En plus de la publication de ce document romain, elle correspond à une période où notre épiscopat – jusque-là très marqué par l’esprit de Vatican II – a connu des changements importants. À partir de ce moment, Rome a procédé à des nominations d’évêques plus conservateurs. Lorsque j’ai commencé à m’engager en Église, nous avions le sentiment que des ouvertures étaient possibles. Le rapport clercs/laïcs pouvait être réfléchi – pas transformé à court terme, mais au moins questionné. Quelques femmes pouvaient occuper des postes clés. Je constate maintenant que tout s’est détérioré. Il est redevenu très difficile de remettre en question le rapport clercs/laïcs et je vois de moins en moins de femmes à des postes où elles peuvent véritablement changer des choses. Plutôt que de partager le pouvoir et la responsabilité, on préfère imposer à des prêtres des tâches inhumaines. On constate aussi la volonté de maintenir la structure cléricale en remettant systématiquement des prêtres dans les postes clés des diocèses. C’est un recul majeur.  

Pauline Jacob : Les croyantes d’ici ont été longtemps portées par l’espérance que leur statut et leur condition pouvaient évoluer en Église. D’ailleurs, les évêques eux-mêmes avaient posé des gestes en ce sens. Par exemple, la Conférence des évêques catholiques du Canada, aiguillonnée par l’Année internationale de la femme de 1975, avait mis sur pied un comité – présidé par la théologienne Élisabeth J. Lacelle – chargé d’étudier la situation des femmes dans l’Église. Bien sûr, il y a eu des divisions et de la récupération, au sein de l’épiscopat, lorsque ce comité a déposé son rapport en 1984[2]. Mais au moins, à cette époque, il y avait chez bon nombre d’évêques la volonté d’être en recherche avec nous.  

Marie-Andrée Roy : Ce que nous voyons présentement dans l’Église du Québec, c’est un épiscopat qui est soit silencieux, soit complètement soumis. Plus aucun évêque n’ose se compromettre dans ce dialogue avec les femmes – elles qui assurent pourtant majoritairement la vie des communautés ecclésiales. Il n’y a donc pas de véritable solidarité de la part de l’épiscopat québécois à l’égard des croyantes et des croyants. Cela est très grave, parce qu’un évêque doit d’abord être solidaire de sa communauté! Il est responsable de son peuple, il doit faire corps avec lui, l’entendre et se faire porte-parole de sa réalité, de ses questionnements et de son espérance.  

E. G. : En acceptant d’entrer en dialogue avec des mouvements sociaux comme celui du mouvement des femmes, l’Église se laissait remettre en question. Cette « perméabilité » entre l’Église et la société est en train de disparaître. Nous assistons au retour d’une Église conçue comme une protection ou une fuite devant la complexité du monde. Évidemment, comme croyants, il nous faut toujours porter un regard critique sur les réalités sociales, politiques et économiques de notre monde. Mais il y a en son sein des avancées qui doivent aussi nous interroger et nous amener à repenser nos façons de concevoir la vie en Église et ses structures.  

Entre révolte et soumission

P. J. : Les femmes se situent de différentes façons par rapport à l’Église. Il y a celles qui n’acceptent plus son discours et qui l’ont quittée. Il y a celles qui sont en périphérie et qui reviennent à l’occasion d’un mariage ou de l’initiation sacramentelle de leurs enfants. Il y a aussi celles qui ont assimilé le système institutionnel, souvent avec des croyances bien figées; elles deviennent les gardiennes du statu quo. Il y a celles qui demeurent à l’intérieur de l’institution contre vents et marées et tentent, par leurs paroles et leurs actions, d’y susciter des changements. Leur position est parfois bien inconfortable. Il y a celles qui se considèrent dans l’Église, mais qui ont posé ou posent des gestes qui font qu’elles se retrouvent dans la marge – par exemple, les femmes qui ont été ordonnées sur le Saint-Laurent à l’été 2005 et celles qui célèbrent actuellement l’eucharistie dans de petites communautés en l’absence de prêtres. La situation des femmes de diacres est aussi problématique; plusieurs ont suivi la formation exigée aux côtés de leur mari, alors que seul ce dernier sera ordonné. La souffrance vécue par certaines d’entre elles est méconnue. Bien sûr, ce n’est pas le cas de toutes les vocations diaconales, mais parfois la femme d’un diacre se sent appelée à ce ministère elle aussi! Du côté des communautés religieuses, il y a toute la gamme des positions possibles, des plus conservatrices aux plus libérales. Ces dernières comptent parmi les plus féministes à l’intérieur de l’Église et elles osent maintenant s’exprimer librement sur la place publique.  

A. P. : Bien que le recrutement commence à devenir difficile, je m’étonne qu’il y ait toujours autant de femmes et d’agentes de pastorale engagées en Église. Elles le font généreusement, par goût de servir, pour répondre à un appel ressenti et souvent sans trop se poser de questions sur l’organisation ecclésiale comme telle. Tôt ou tard cependant, nombreuses seront celles qui réaliseront que quelque chose ne va pas lorsqu’elles seront personnellement confrontées à ce que l’on appelle le « mur institutionnel ».  

M.-A. R. : Comment se fait-il que la colère ne se manifeste pas? Les femmes sont flouées, non reconnues comme des sujets à part entière, et il n’y a pas de révolution! C’est inquiétant. S’il y avait une colère, ça parlerait au moins d’une certaine vie à l’intérieur de l’Église…  

A. P. : Il y a des insatisfactions qui se manifestent ici et là du côté des laïcs, des agents et agentes de pastorale, de certains prêtres et même d’évêques. Cela demeure toutefois un phénomène trop restreint. Pour que ça bouge vraiment, il faudrait une masse critique de personnes prêtes à se compromettre. Or, l’Église institutionnelle est parvenue à faire intérioriser les règles de soumission pour qu’il n’y ait pas de mouvement significatif capable d’avoir un véritable impact.  

É. G. : S’il n’y a pas de révolte, c’est aussi parce que bien des femmes qui se disent toujours catholiques ont trouvé d’autres espaces que les lieux institutionnels pour vivre leur foi. Et il y a aussi la question du nombre : avec qui, de ma génération, puis-je me solidariser pour contester dans l’Église?  

M.-A. R. : Ça fait plus de 30 ans, au Québec, que nous débattons de la place des femmes dans l’Église. Est-ce qu’il y a beaucoup de jeunes femmes, aujourd’hui, qui revendiquent ce discours? Il faut reconnaître le vieillissement de l’Église et le vieillissement de celles qui interviennent sur ce dossier. Il y a peu de renouvellement, sur cet enjeu, auprès des jeunes femmes dans la communauté croyante. Elles sont ailleurs. Pourquoi? Parce que c’est l’impasse et qu’elles n’ont pas le goût de souffrir – avec raison!  

Entre souffrance et affirmation

A. P. : Personnellement, cette impasse me fait souffrir parce que, au fond, c’est « mon » Église! J’éprouve envers elle une appartenance viscérale. J’y ai été baptisée, j’y ai consacré une grande partie de ma vie dans divers engagements. J’ai travaillé pendant 25 ans comme agente de pastorale dans les années où le dialogue et des discussions étaient possibles avec nos évêques au Québec, si bien que nous pouvions croire à des ouvertures significatives pour les femmes en Église. Avec le temps et du recul, je constate que tout cela se démaille! J’ai le sentiment d’avoir travaillé avec passion, pendant des années, à un tricot qui est en train de se défaire.  

É. G. : Souvent, je me pose la question : « Pourquoi ne suis-je pas encore partie? » Et moi aussi, je reviens toujours à cette appartenance foncière : parce que c’est « mon » Église! J’ai grandi en elle, j’ai été interpellée par des gens qui y ont ouvert des voies et je me reconnais dans la richesse de ses positions en matière de justice sociale. Bien sûr, ma foi est stimulée par l’expérience vécue dans d’autres communautés ecclésiales; mais ces autres Églises ne sont pas la mienne. Heureusement, j’ai toujours été dans des milieux – comme le Centre justice et foi – où il était possible de développer une réflexion et des engagements à partir de ce qu’il y a de meilleur dans ma tradition, tout en ayant l’espace critique nécessaire à ma liberté. Cela m’aide à continuer.  

M.-A. R. : « Messieurs, je suis l’Église autant que vous! Vous ne me tasserez pas! » Sur la base de ce principe, certaines croyantes entrent dans la résistance, la transgression et l’affirmation dans la marge. Les groupes de femmes qui optent uniquement pour ce type d’action n’ont toutefois pas le pouvoir de « faire tradition ». Or, pour être capable d’impulser un véritable changement à l’appareil ecclésial, il faut trouver une façon de s’inscrire dans la tradition. Sinon, au bout de 100 ans, nos transgressions seront traitées comme des petits mouvements de résistance excentriques. Opter pour la transgression, c’est donc, d’une part, risquer de se priver de la capacité de faire tradition. Mais c’est, d’autre part, se donner de nécessaires espaces de liberté pour exister. Nous sommes toujours tiraillées entre la transgression des structures et le travail à l’intérieur de ces dernières pour les faire évoluer.  

P. J. : Parfois, on entend dire qu’avant d’ordonner des femmes, il vaudrait mieux s’attaquer à la transformation des ministères dans l’Église. Bien sûr, on peut critiquer la théologie romaine des vocations, la conception ecclésiale de l’appel, de la formation et de l’exercice du sacerdoce, l’absence de consultation des communautés chrétiennes sur le style de leadership dont elles auraient besoin, etc. Toutes ces remises en question sont valables. Ce n’est toutefois pas une raison pour reporter indéfiniment l’ouverture des ministères ordonnés aux femmes! Pour l’instant, la structure est ainsi faite et il y a des femmes qui croient que Dieu les appelle à devenir prêtre ou diacre au sein du catholicisme. Alors, je considère que ces avenues devraient leur être ouvertes et que nous avons le devoir de soutenir celles qui portent ces appels. Malheureusement, du côté de l’institution, la pratique est figée dans le discours patriarcal. Les seuls arguments pour opposer une fin de non-recevoir à ces femmes sont des arguments d’autorité. Il n’y pas de dialogue possible. Celles qui ont été ordonnées en 2002, sur le Danube, avaient demandé une rencontre avec les autorités romaines. Elles n’ont reçu pour toute réponse que l’excommunication![3]  

M.-A. R. : Nous avons effectivement le devoir d’être solidaires des femmes qui aspirent au sacerdoce et de celles qui ont déjà été ordonnées. Les sondages le disent : dans l’ensemble du Québec, y compris dans la communauté pratiquante, une forte majorité est en faveur de l’ordination des femmes. C’est donc quelque chose qui correspond à l’évolution des mentalités. Il faudrait au moins pouvoir en débattre! L’Église se discrédite en le refusant. L’accession des femmes à tous les ministères est pourtant, de toute évidence, nécessaire à sa vitalité et à sa mission.

Sortir de l’impasse

É. G. : Nous avons peu de recherches récentes sur la condition des femmes en Église. Recommençons à interroger les croyantes sur leur expérience et suscitons des initiatives dans la foulée de celles qui ont mené à la publication de livres comme Les soutanes roses(1988) ou Voix de femmes, voies de passage (1995) – ne serait-ce que pour montrer que la conjoncture a évolué.  

M.-A. R. : Mettons-nous en position d’affirmation et orientons le débat. Disons publiquement ce que nous voulons, d’une manière positive, au lieu de seulement réagir aux interdictions romaines. Et posons des gestes! Il se passe quelque chose lorsque, par exemple, nous devenons nous-mêmes « sujets célébrants », capables de faire advenir le sacré. Cela transforme notre façon de nous définir. Cela transforme aussi la perception des personnes qui participent à ces célébrations. De telles pratiques d’appropriation de notre tradition nourrissent une espérance active. Il ne s’agit pas de faire de la provocation; il s’agit simplement d’affirmer que nous sommes là, membres à part entière de l’Église.  

A. P. : Mentionnons que dans les dernières années, des alliances se sont créées entre le mouvement des femmes en Église et le mouvement des femmes dans la société. Par exemple, lors de la Marche mondiale des femmes de l’an 2000, les féministes chrétiennes des différents groupes[4] ont travaillé activement, avec tous les autres groupes de femmes, à la réalisation de ce grand événement de solidarité internationale. Nous avons alors constaté un changement de regard. Certains préjugés sont tombés. Les femmes ont réalisé que nos luttes en Église avaient une signification et une importance dans l’ensemble du mouvement des femmes – nous reprochant même, d’une certaine manière, d’être trop silencieuses. Ainsi, lors de la publication du dernier document romain sur les femmes, à l’été 2004[5], on a pu voir la présidente de la FFQ, Michèle Asselin – qui n’est pas officiellement une « femme d’Église » –, réagir publiquement.  

M.-A. R. : N’oublions pas non plus la voie du dialogue œcuménique et interreligieux. En tant que croyantes, nous sommes toutes aux prises avec des traditions patriarcales. Le partage peut être fécond entre femmes de diverses croyances qui éprouvent, dans leur tradition respective, un malaise plus ou moins profond. À l’intérieur de l’islam et du judaïsme, par exemple, il y a aussi des femmes qui ruent dans les brancards…  

É. G. : …et qui apprécieraient être en contact avec des femmes chrétiennes du Québec qui ont développé, au cours des dernières décennies, une position féministe riche et originale. Ce serait une belle occasion de réfléchir, avec des femmes progressistes et réformistes d’autres traditions, à nos manières de vivre notre foi en tant que croyantes et citoyennes, dans la société québécoise et nord-américaine actuelle.  

P. J. : Sans oublier les alliances avec des hommes qui, dans notre propre Église, sont solidaires de nos combats et soucieux d’ouvrir des espaces de liberté.

M.-A. R. : Utilisons la voix des médias – comme nous le faisons dans le cadre de cette table ronde. La prise de parole publique dérangera; mais nous taire, ce serait faire comme si nous acceptions le statu quo.  

P. J. : Et ce serait être complices de l’injustice!

Propos recueillis par Marco Veilleux
Texte publié dans le numéro de septembre 2006 de la revue Relations


NOTES

[1] Il s’agit de la lettre apostolique Ordinatio sacerdotalis, publiée par Jean-Paul II en mai 1994. Dans ce document, le pape écrit : « […] je déclare […] que l’Église n’a en aucune manière le pouvoir de conférer l’ordination sacerdotale à des femmes et que cette position doit être définitivement tenue par tous les fidèles de l’Église ».

[2] Pour une analyse de l’événement, voir : Marie-Andrée Roy, « Le changement de la situation des femmes dans le catholicisme québécois », Sociologie et sociétés, octobre 1990, p. 95-114.

[3] Pour l’historique de cet événement, voir : <www.womenpriests.org/called/29june02.asp>.

[4] Femmes et ministères, la Collective L’autre Parole, l’Association des religieuses pour la promotion des femmes, les Femmes chrétiennes, L’AFEAS, les Répondantes diocésaines à la condition des femmes.

[5] Lettre de la Congrégation pour la doctrine de la foi – signée par le cardinal Ratzinger – adressée aux évêques de l’Église catholique sur la collaboration de l’homme et de la femme dans l’Église et dans le monde.


Marco Veilleux
Les derniers articles par Marco Veilleux (tout voir)

A propos Marco Veilleux

Diplômé en théologie de l’Université Laval, Marco Veilleux détient une maîtrise en Spiritualité et santé à l’Université de Montréal. Il a été membre de l’équipe du Centre justice et foi et de la revue Relations, ainsi que délégué à l’apostolat social et adjoint aux communications pour les Jésuites du Canada français. Il est maintenant intervenant en soins spirituels dans une unité de soins palliatifs de Montréal.
Ce contenu a été publié dans Les femmes en Église. Vous pouvez le mettre en favoris avec ce permalien.