Début février, la revue Jésuite La Civiltà Cattolica a publié (n°3999) un article audacieux questionnant, de façon pertinente, quelques-uns des verrous empêchant les femmes de vivre leur vocation à la prêtrise.
Cette revue, dont les épreuves sont relues, avant publication, par la Secrétairerie d’État, jouit d’une grande crédibilité et semble appuyée par le pape lui-même. Ainsi, à l’occasion de la parution du numéro suivant (n°4000), le pape, dans un entretien avec l’équipe de rédaction, a conforté leur travail et les a encouragés à être « une revue de pont, de frontière et de discernement, riche du regard du Christ sur le monde ». Pour le Saint-Père, une foi authentique implique toujours un profond désir de changer le monde.
Giancarlo Pani, l’auteur de l’article, ancre sa réflexion autour de trois moments clé de la question de l’ordination des femmes.
Tout récemment, le 2 août 2016, le pape, honorant sa promesse du 12 mai, met en place la commission chargée d’étudier l’histoire du diaconat des femmes dans le but, éventuellement, de le restaurer.
Des années auparavant, clôturant une série de documents pontificaux sur l’ordination des femmes, le pape Jean-Paul II publie, en 1994, la lettre apostolique Ordinatio Sacerdotalis. Celle-ci déclare que l’Église n’a, en aucune manière, le pouvoir de conférer l’ordination sacerdotale à des femmes et cette position doit être définitivement tenue par tous les fidèles de l’Église.
En 1995, la Congrégation pour la Doctrine de la Foi (CDF) publie une réponse face aux nombreux débats suscités par la lettre apostolique. Elle décide de rendre, rétroactivement, la lettre apostolique infaillible par la force du Magistère ordinaire et universelle. Son contenu doit être tenu pour vrai toujours et partout. Il doit être considéré comme un dépôt de la foi catholique (ndlr : Autrement dit, la non adhérence au contenu de la lettre exposerait le fidèle à ne plus être en communion avec l’Église). Au lieu d’apaiser le débat, cette réponse dynamise la contestation et l’indignation. (ndlr : Ainsi, l’infaillibilité a rapidement été réfutée sur base d’arguments solides par de nombreux théologiens et notamment les théologiens de la Catholic Theological Society of America mais d’autres encore comme N. Lash, E. Johnson et G. Greshake considérant que Rome n’avance aucun argument valable tiré de l’Écriture ou de la Tradition ou F. A. Sullivan SJ, et Y. Bergeron arguant que les conditions de l’infaillibilité ne sont pas remplies).
Développant des arguments solides, Giancarlo Pani en appelle, non pas à faire évoluer l’Église en fonction des changements du monde, mais, plutôt, à faire intervenir l’intelligence de la Foi dans la compréhension d’une doctrine donnée.
L’auteur émet ensuite des doutes sur le caractère infaillible et définitif du « non » catégorique de Jean-Paul II envers l’ordination des femmes.
Il en appelle à une prise en compte de l’évolution de la place des femmes dans la famille et dans la société au 21ème siècle. Ces développements récents rendent incompréhensibles les logiques d’exclusion des femmes de la prêtrise et sont révélateurs, non pas de l’autorité du Magistère, mais de son autoritarisme.
L’auteur conclut enfin en disant qu’on ne peut indéfiniment se reposer sur les faits passés en les présentant comme seule source des inspirations de l’Esprit. Aujourd’hui, l’Esprit-Saint guide l’Église et lui suggère de courageuses hypothèses dégageant de nouvelles perspectives. En d’autres mots, le fait que l’Église catholique n’ait jamais eu de femmes prêtres n’empêche pas qu’elle en ait dans le futur, rejoignant en cela une idée déjà défendue en 1948 par Y. Congar, O.P.
Pour rappel
Le refus de l’ordination des femmes à la prêtrise est traditionnellement ancré dans un essentialisme biologique où la différence des sexes est exacerbée et envahissante de tout l’être. Seul l’homme peut être signe du Christ Époux qui se livre dans l’Eucharistie. Le sexe déterminerait davantage notre être que notre commune humanité.
Le débat autour de l’ordination des femmes n’est pas neuf.
Dès 1911, quelques catholiques s’organisent pour prendre la défense des femmes, ce groupe humain privé légalement de toute voix. Cette association, appelée L’Alliance, avait compris que le milieu catholique diffusait des théories et des comportements propres à perpétuer la subordination des femmes. En 1958, l’Église luthérienne de Suède admet les femmes au ministère pastoral et, par ce fait, stimule la question de l’ordination sacerdotale des femmes catholiques. Dès 1961, L’Alliance argumente en faveur de l’ordination des femmes sur base d’éléments théologiques. Les dossiers présentés reçoivent échos et soutiens auprès d’évêques et de cardinaux. En 1965, une conférence de presse sur le sujet est accueillie favorablement et les milieux catholiques commencent à s’inquiéter du refoulement des femmes dans l’Église. En 1970, une amicale est créée pour aider les femmes à discerner leur vocation à la prêtrise. L’Église oblige cependant l’association à interrompre ses activités. Dès 1971, la conférence épiscopale catholique du Canada se déclare en faveur de l’ordination des femmes. En 1971 et en 1973, l’évêque anglican de Hong Kong ordonne trois femmes, marquant un nouveau tournant dans ce dossier. En effet, les anglicans, contrairement aux luthériens, ont maintenu la succession apostolique. En 1975, le synode général des Églises anglicanes du Canada et d’Angleterre approuvent le principe de l’ordination des femmes à la prêtrise. L’archevêque de Canterbury informe Paul IV de la formation lente mais déterminée d’un consensus général au sein de la communion anglicane affirmant qu’il n’y a aucune objection fondamentale à l’ordination des femmes. Paul VI lui répond par l’envoi de deux lettres de mise en garde. En 1975, à l’occasion de l’Assemblée du Conseil œcuménique des Églises chrétiennes à Nairobi, il leur est demandé de réfléchir à leur position de principe sur la question de l’ordination des femmes.
L’Église répond en trois temps. En 1972, Paul VI publie le motu proprio Ministeria Quaedam créant les ministères institués d’acolytat et de lectorat. Il les réserve aux hommes. Les femmes sont, ainsi, exclues des ministères exercés par des laïcs. En 1976, la CDF signe, avec l’autorisation de Paul VI, la déclaration Inter Insigniores excluant les femmes de la prêtrise. En 1994 et 1995, Jean-Paul II et la CDF haussent le ton et affirment plus fermement l’exclusion des femmes de la prêtrise ( cfr ci-dessus)
La publication d’aucun de ces documents n’arrête les débats. Par exemple, en 1981, le groupe québécois Chrétiens pour une Église populaire publie un manifeste où il demande, en autre chose, une égalité entre les femmes et les hommes et l’ouverture de tous les ministères d’Église aux femmes. En 1984, la Conférence des évêques canadiens publie une série de recommandations prônant et promouvant une réelle égalité des femmes et des hommes dans l’Église, une reconnaissance du travail des femmes en Église par des mandats officiels, l’utilisation d’un langage inclusif et une présence des femmes dans les structures décisionnelles. En 1994, la Conférence des évêques canadiens publie deux requêtes de contestation signées par de nombreux hommes et femmes. En 2002, 7 femmes sont ordonnées prêtres catholiques par un évêque issu d’une branche de l’Église vieille-catholique. Depuis, l’association Roman Catholic Women Priest continue à ordonner des femmes même si celles-ci se font excommunier le jour de leur ordination. Elles sont aujourd’hui plus de 200. D’autres associations voient le jour et défendent peu ou prou la prêtrise pour les femmes ou, à tout le moins une place réelle pour les femmes dans l’Église catholique. Parmi celles-ci nous trouvons La Women Ordination Conference, Le Comité de la Jupe, Fhedles, Femmes et Ministères… Les colloques et conférences sur le sujet se multiplient dans de nombreux pays.
Anne-Joelle Philippart, le 13 février 2017.
Article d’abord publié sur le site du Comité de la jupe et reproduit avec les permissions requises.
Références :
Bergeron, Yvonne (2014, 19 mai). Ordinatio sacerdotalis vingt ans plus tard. Femmes et Ministères, [en ligne]. [http://femmes-ministeres.lautreparole.org/?p=1893] (28 février 2017)
Congrégation pour la Doctrine de la Foi (1977, 20 février). Inter Insigniores : commentaire officiel. Women can be priests!, [en ligne]. [http://www.womenpriests.org/fr/church/intercom.asp] (28 février 2017)
Congrégation pour la Doctrine de la Foi (1995, 28 octobre). Joseph Ratzinger, préfet & Tarcisio Bertone, secrétaire. Réponse à un doute sur la doctrine de la lettre apostolique « Ordinatio sacerdotalis ». Vatican, [en ligne]. [http://www.vatican.va/roman_curia/congregations/cfaith/documents/rc_con_cfaith_doc_19951028_dubium-ordinatio-sac_fr.html] (28 février 2017)
Jean-Paul ii (1994, 22 mai). Lettre apostolique Ordinatio sacerdotalis sur l’ordination sacerdotale exclusivement réservée aux hommes. Vatican, [en ligne]. [http://w2.vatican.va/content/john-paul-ii/fr/apost_letters/1994/documents/hf_jp-ii_apl_19940522_ordinatio-sacerdotalis.html] (28 février 2017)
Knight, David M. (1996, avril). Une réponse pastorale. Déclaration de la CDF concernant l’ordination des femmes (Trad : Jacques Dessaucy). U.S. Catholic, 61, 11-13; Women can be priests!, [en ligne]. [http://www.womenpriests.org/fr/teaching/knight.asp] (28 février 2017)
Lash, Nicholas (1995, 2 décembre). On not inventing doctrine [Ne pas inventer une doctrine]. (Trad. : Jacques Dessaucy). The Tablet, 1544; Women can be priests!, [en ligne]. [http://www.womenpriests.org/fr/teaching/lash.asp] (28 février 2017)
Magister, Sandro (2017, 7 février). Latest from Santa Marta. Open doors for women priests [La dernière en date de Santa Marta. Des portes ouvertes pour des femmes prêtres], (Trad.: Matthew Sherry). L’Espresso; Settimo Cielo, [en ligne]. [http://magister.blogautore.espresso.repubblica.it/2017/02/07/latest-from-santa-marta-open-doors-for-women-priests/] (28 février 2017)
Pani, Giancarlo (2016). La Donna e il Diaconato [La femme et le diaconat) (résumé). La Civiltà Cattolica, 3999, [enligne]. [http://www.laciviltacattolica.it/articolo/la-donna-e-il-diaconato/] (28 février 2017)
Pape François (2017, 17 février). Dédicace de la page de couverture. Discorso del Santo Padre Franscesco alla Communtà de la La Civiltà cattolica » [Discours du Saint-Père François à la communauté de La Civiltà Cattolica]. La Civiltà cattolica, 4000.[http://www.laciviltacattolica.it/articolo/discorso-del-santo-padre-francesco-alla-comunita-de-la-civilta-cattolica/] (28 février 2017)
Parent, Annine (2001). Des revendications de femmes en Église depuis les années 1970. Femmes et Ministères, [en ligne] [http://femmes-ministeres.lautreparole.org/?p=1203] (28 février 2017)
Parent, Annine (2013). Devoir de mémoire. Femmes et évêques – un dialogue à poursuivre. Québec : [s.n.]. [http://femmes-ministeres.lautreparole.org/?p=3461](28 février 2017)
Pelzer, Anne–Marie (1992). L’Alliance internationale Jeanne d’Arc. Courte histoire d’un mouvement catholique féministe, Terre des femmes, 3‑17. Liège. Bruxelles. (L’ouvrage original a été publié à Bruxelles en 1977). Femmes et Ministères, [en ligne]. [http://femmes-ministeres.lautreparole.org/?p=3261] (28 février 2017)
Seneze, Nicolas (2017, 9 février). Le Pape confirme « La Civiltà Cattolica » dans sa mission. La Croix, [en ligne]. [http://www.la-croix.com/Urbi-et-Orbi/Vatican/Le-pape-confirme-La-Civilta-cattolica-dans-mission-2017-02-09-1200823632] (28 février 2017)
- Une porte vers la prêtrise s’entrouvre pour les femmes - 2 mars 2017
Excellent ! J’aime énormément la mise en lumière du mouvement incessant de l’Esprit qui renouvelle toujours dans la même direction, les démarches de débats théologiques ou ecclésiologiques, les démarches de demande aux instances concernées de l’Église de faire des pas, les démarches de dénonciation, ou de simples expressions d’opinions.
Tout cela est fabuleusement VIVANT ! Comme l’Esprit de Resurrection en nous, femmes et hommes dans le monde et en Église.
Merci a Femmes et Ministères de diffuser cette information qui n’a pas été suffisamment relayée par les médias, catholiques ou non. Cet article paru dans Civilata Cattolica au début d’août, m’a totalement échappé, alors que j’étais en vacances en Italie à cette période!
C’est un signe positif qui va raviver le débat autour de la question de l’ordination des femmes et peut-être enfin débloquer la situation dans l’Église catholique!
Il faut donc garder espoir et rester attentives au mouvement qui pourrait se dessiner dans l’Église!