Accorde-lui ton Esprit

Le Saint Synode de l’Église orthodoxe de Grèce a voté à Athènes le 8 octobre 2004, pour rétablir le diaconat des femmes. Tous les membres du Saint Synode – 125 métropolites et évêques et l’archevêque Christodoulos, chef de l’Église de Grèce – avaient étudié le sujet. La décision n’affecte pas directement l’archidiocèse orthodoxe grec de l’Amérique, qui est une éparchie du patriarcat oecuménique de Constantinople. Les provinces ecclésiastiques grecques du patriarcat oecuménique ont reçu leur indépendance de Constantinople en 1850 et ont été proclamées Église autocéphale de Grèce.

Alors qu’au IXe siècle les femmes diacres avaient virtuellement disparu, le fait de leur existence était bien connu, et la discussion sur la restoration du diaconat des femmes dans l’orthodoxie commença dans la dernière moitié du XXe siècle.  Deux livres sur le sujet par Evangelos Theodorou, Heroines of Love : Deaconesses Through the Ages [Héroïnes de l’amour : les diaconesses à travers les âges] (1949) et The « Ordination » or « Appointment » of Deaconesses [L’ordination ou la nomination de  diaconesses] (1954), ont documenté l’ordination sacramentelle des femmes dans l’Église primitive. Son travail a été complété, dans l’Église catholique, par un article publié par Cipriano Vagaggini, un moine camaldule, dans Orientali Christiana Periodica en 1974. Le plus grand érudit sur le sujet atteste que les femmes étaient ordonnées sacramentellement au diaconat, à l’autel à l’intérieur de l’iconostasis [iconostase], par des évêques dans l’Église primitive. Les femmes diacres recevaient l’étole diaconale et la communion à leur ordination, dans l’esprit de la Pentecôte, de la même façon qu’à l’ordination d’un évêque, d’un prêtre ou d’un homme diacre.

Malgré le déclin de l’ordre des diaconesses au début du Moyen Âge, l’orthodoxie ne l’a jamais prohibé. En 1907, une commission de l’Église orthodoxe russe a rapporté la présence de diaconesses dans chaque paroisse de la Georgie; le populaire orthodoxe du XXe siècle, saint Nektarios (1846-1920), ordonna deux femmes diacres en 1911; et jusque dans les années 1950, quelques religieuses orthodoxes grecques devinrent des diaconesses monastiques.  En 1986, Christodoulos, alors métropolite de Demetrias et maintenant archevêque d’Athènes et de toute la Grèce, a ordonné une femme diacre selon le « rite de saintNektarios » – l’ancien texte byzantin employé par saint Nektarios.

De multiples conférences interorthodoxes demandaient le rétablissementde l’ordre; le Symposium interorthodoxe de Rhodes, en Grèce, s’exprimait ainsi clairement en 1988 : « L’ordre apostolique de diaconesse devrait être relancé ». Le symposium indiquait que « le rétablissement de cet ordre ancien devrait être envisagé sur la base des anciens prototypes mentionnés dans plusieurs sources et avec lesprières trouvées dans les constitutions apostoliques et les anciens livres liturgiques byzantins ».

À la rencontre du Saint Synode à Athènes en 2004, le métropolite Chrysostome de Chalkidos a amorcé une discussion sur le sujet du rôle des femmes dans l’Église de Grèce et la renaissance de l’ordre des femmes diacres.  Dans la discussion qui suivit, des évêques plus âgés étaient apparemment en désaccord avec le rétablissement complet de l’ordre. Anthime, évêque de Thessaloniki, fit plus tard cette remarque au quotidien anglais : « Selon moi, l’admission des femmes dans la police et dans l’armée a été un échec, et nous voulons revenir à cette vieille question? »

Alors que l’aspect de service social du diaconat féminin était bien connu, le Saint Synode décida que les femmes pouvaient être promues au diaconat seulement dans les monastères éloignés et à la discrétion de chaque évêque. La décision limitant le rétablissement du diaconat aux moniales n’a pas plu à certains membres du Synode.  L’Agence de nouvelles d’Athènes a rapporté que Chrysostome, évêque de Peristeri, a dit : « Le rôle des femmes diacres doit être dans la société et non dans les monastères. »  D’autres membres du Saint Synode étaient d’accord et ont insisté sur le fait que le rôle des diaconesses devrait être social – par exemple, l’administration du sacrement des malades.

Le vote du Saint Synode pour rétablir le diaconat des femmes dans des circonstances limitées pourrait être l’idée la plus progressiste que l’Église orthodoxe puisse apporter au monde.  Le document n’emploie pas le mot ordination, mais permet spécifiquement aux évêques de consacrer (kathosiosi) les religieuses âgées dans les monastères de leurs éparchies. Mais les évêques qui choisissent de promouvoir les femmes au diaconat n’ont que l’ancienne liturgie byzantine qui accomplit la même cheirotonia, imposition des mains, pour les diaconesses, comme dans chaque ordre majeur : évêque, prêtre et diacre.  Même là, quelques spécialistes (occidentaux pour la plupart) ont démontré que l’ordination historique des femmes diacres n’était pas une cheirotonia ou une ordination aux ordres majeurs, mais une cheirothesia, une bénédiction qui signifie l’établissement dans un ordre mineur.  La confusion peut se comprendre, puisque les deux termes étaient parfois employés indistinctement, mais d’autres spécialistes sont également convaincus que les femmes étaient ordonnées à l’ordre majeur du diaconat. La preuve se retrouve dans la liturgie employée présentement par les évêques.  Actuellement, il n’y a qu’une seule liturgie et une unique tradition pour créer une femme diacre dans le rite byzantin, et c’est indéniablement un rituel d’ordination pour la « servante qui doit être ordonnée à la fonction de diaconesse ».

Même le document sur le diaconat publié par la Commission théologique internationale du Vatican en 2002 admet que « le canon 15 du concile de Chalcédoine (451) semble confirmer le fait que les diaconesses étaient réellement “ordonnées” par l’imposition des mains (cheirotonia) ».  Malgré l’usage péjoratif des guillemets, ici et ailleurs dans le document quand les ordinations historiques des femmes diacres sont mentionnées, cette commission vaticane ne semble pas disposée à rejeter les racines historiques auxquelles l’Église de Grèce est récemment retournée. De plus, le document du Vatican fait remarquer que la pratique d’ordonner des femmes diacres selon la liturgie byzantine a duré au moins jusqu’au VIIIe siècle. Il ne revoit pas la pratique orthodoxe après 1054.

La restauration de l’ordre de diaconesse dans l’Église de Grèce est prévue pour l’hiver 2004-2005. L’ordination (cheirotonia) actuelle de femmes fournit encore davantage d’évidence et d’appui pour le rétablissement du diaconat féminin dans l’Église catholique, laquelle a reconnu la validité des sacrements et des ordres orthodoxes. Malgré la distinction au canon 1024 –« Seulement un homme baptisé reçoit validement l’ordination sacrée » – on peut présumer de la possibilité d’une dérogation de la loi, tel que suggéré par la Société du  droit canonique d’Amérique en 1995, pour permettre l’ordination diaconale des femmes. (L’histoire du canon 1024 est clairement une des tentatives pour limiter l’accès de la prêtrise aux femmes, et non au diaconat).

De fait, l’Église catholique a déjà indirectement reconnu valides les ordinations des femmes par l’Église apostolique arménienne, une des Églises de l’Est qui ordonne des femmes diacres. Il y a deux déclarations récentes d’unité – accords de reconnaissance mutuelle dela validité des sacrements et des ordres – entre Rome et l’Église arménienne, une signée par Paul VI et Catholicos Vasken I en 1970, et une autre entre Jean Paul II et Catholicos Karekin I en 1996.

Ces accords sont significatifs, car l’Église apostolique arménienne a gardé le diaconat féminin jusqu’aux temps modernes. Le catholicossat arménien de Cilicie a au moins quatre femmes ordonnées. Une d’elles, Soeur Hrip’sime, qui vit à Istanbul, est répertoriée comme suit dans le calendrier officiel de l’Église, publié par le patriarcat arménien de Turquie: « Mère Hrip’sime, protodiacre sasunien, née à Soghukoluk, Antioche, en 1928, devint religieuse en 1953; protodiacre en 1984; Mère supérieure en 1998. Membre de l’Ordre Kalfayian ».  Mère Hrip’sime a travaillé à rétablir le diaconat féminin comme un ministère social actif et, pendant plusieurs années, a été directrice générale de Bird’sNest [Nid d’Oiseau], une oeuvre regroupant un orphelinat, une école etun centre de service social près de Beyrouth, au Liban.  Son diaconat, et celui des trois autres femmes diacres, est loin d’être monastique.

La réaction future de l’Église catholique aux documents passés et aux changements actuels sur la question promet d’être intéressante. Le ton du document de la Commission théologique internationale révèle une tentative d’éliminer les femmes diacres, mais la question demeure tout de même très ouverte : « Il appartient au ministère de discernement que le Seigneur a établi dans son Église de parler avec autorité concernant cette question. » Il devient de plus en plus clair que, en dépit de la réticence de l’Église catholique à dire oui au rétablissement du diaconat féminin comme ministère ordonné de l’Église catholique, elle ne peut dire non.

Prière pour l’ordination d’une femme diacre

O Dieu éternel, Père de Notre Seigneur Jésus Christ, Créateur de l’homme et de la femme,
toi qui as rempli de l’Esprit Miriam, Deborah, Anne et Houldah;

toi qui n’as pas dédaigné faire naître ton Fils unique d’une femme;
toi qui, dans la tente du témoignage et dans le temple, as aussi ordonné des femmes
pour 
être les gardiennes de tes saintes portes

– abaisse maintenant aussi ton regard sur ta servante qui doit être ordonnée au diaconat,
et accorde-lui ton Esprit Saint,
qu’elle puisse s’acquitter dignement de la tâche qui lui est confiée pour ta gloire,

et la louange de ton Christ, pour que gloire et adoration lui soient rendues
avec l’Esprit Saint pour toujours.
Amen.
*Constitutions apostoliques no 8 (vers la fin du 4e siècle).

 
Publié dans America, vol. 192, no 4, 7 février 2005[en ligne][http://www.americamagazine.org/content/article.cfm?article_id=3997](23 juin 2010)


NOTE

Iconostase : cloison couverte d’icônes, entre la nef et le sanctuaire.

Phyllis Zagano
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A propos Phyllis Zagano

Titulaire d'un poste de recherche et professeure adjointe de religion à l'Université Hofstra (Hempstead, NY), Phyllis Zagano, Ph. D., est lauréate de nombreux prix. Membre de la Commission pontificale pour l'étude du diaconat des femmes, conférencière reconnue, elle est l'auteure de plusieurs livres et articles, entre autres, « Femme diacres. Hier, aujourd’hui et demain » (Novalis, 2018) écrit en collaboration. Elle a une chronique dans le « National Catholic Reporter ».
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