De par leur mission,
les répondantes sont appelées
à faire preuve d’imagination créatrice,
et à inventer, au jour le jour,
une réponse évangélique
aux aspirations des femmes de notre temps.
Le 24 septembre 1981, dans l’atmosphère un peu feutrée d’une salle au 1215 boulevard Saint-Joseph Est, à Montréal, s’ouvre à dix heures une rencontre au caractère inusité. Vingt femmes venues de seize diocèses du Québec et membres de trois comités épiscopaux ont répondu à l’invitation du Comité des affaires sociales [CAS] de l’Assemblée des évêques du Québec. Depuis quelques mois seulement, voire quelques semaines, elles portent le titre de « répondantes à la condition des femmes » (CAS, 1978-1981, 24 septembre 1981). Cette journée inaugure une longue marche dans une Église soudainement interpellée par le mouvement des femmes dans la société.
Comment et par quels chemins en est-on arrivé là? Le but de ce texte est d’exposer les événements qui ont précédé la création de cette responsabilité en les replaçant dans leur contexte social et ecclésial. Une rapide évocation des mouvements sociaux dans lesquels émerge le mouvement des femmes au Canada et au Québec précédera l’exposé des faits internes à la vie de l’institution ecclésiale. Pour terminer, nous offrirons quelques éléments de relecture de cette expérience qui demeure à ce jour spécifiquement québécoise. Ainsi, on sera en mesure de mieux saisir la valeur d’un geste qui peut se réclamer du prophète Isaïe : « Voici que moi je vais faire du neuf qui déjà bourgeonne; ne le reconnaîtrez-vous pas? » (Is 43, 19).
La création du poste de répondante à la condition des femmes se situe, en effet, dans le cadre organisationnel d’une institution qui a ses règles, ses coutumes et ses pratiques comme toute autre institution, à cette exception près que l’Église catholique prend ses décisions à la lumière d’une Tradition fondée sur les Écritures et interprétée par le magistère, appelé lui-même à se mettre à l’écoute de la Parole de Dieu. Ce rappel veut tout simplement aider à voir et à comprendre le cheminement des questions nouvelles à l’intérieur d’une institution deux fois millénaire, habituellement plus sensible à la tradition qu’à l’innovation.
Quatre précisions s’imposent à propos des conditions historiques et organisationnelles dans lesquelles le Réseau voit le jour. Elles portent sur les événements précurseurs à son origine, sur les regroupements d’évêques au Canada, sur les sources d’information et sur la situation d’un Québec francophone et catholique dans un Canada anglophone.
La genèse de l’instauration des répondantes diocésaines à la condition des femmes se situe dans la décennie 1971-1981. Dès 1971, la Conférence des évêques catholiques du Canada [CÉCC] inaugure une série d’interventions aux différents synodes tenus à Rome depuis le concile Vatican II, en faveur de la participation des femmes à la vie, au gouvernement de l’Église et à proprement parler à l’exercice des ministères (CÉCC, 2000 : 37-65).
Mentionnons au passage qu’au plan organisationnel tous les évêques de rites latin, melkite, maronite et ukrainien sont membres de la Conférence des évêques catholiques du Canada [CÉCC], instance de dialogue national et international au plan civil et ecclésial fondée en 1943 et officiellement reconnue par le Saint-Siège en 1948. Dans cet ensemble canadien, l’Assemblée des évêques du Québec [AÉQ] qui existait comme association depuis la moitié du xixe siècle, a vu se structurer ses rôles et ses responsabilités, lorsque la CÉCC a décidé, en 1973, de s’organiser en quatre régions pastorales : l’Ouest, l’Ontario, le Québec et l’Atlantique. Les questions reliées à l’éducation chrétienne, à la pratique pastorale et à l’animation des mouvements relèvent de ces régions, tandis que les sujets d’ordre sacramentel, liturgique et canonique sont du ressort de la CÉCC. Les questions sociales sont traitées à l’un ou l’autre échelon, selon les cas.
Dans cette étude, les sources consultées et citées proviennent principalement des archives du secrétariat de l’épiscopat du Québec, complétées par une publication de la Conférence des évêques catholiques du Canada [CÉCC] qui relate ses interventions au sujet des femmes : Rappel historique des interventions de la cécc concernant les femmes : historique des initiatives de la CÉCC en faveur des femmes dans l’Église et dans la société 1971-2000 (2000). À cela s’ajoute mon témoignage personnel. Je suis entrée au secrétariat de l’épiscopat en septembre 1976, à titre d’adjointe aux affaires sociales, puis je fus nommée secrétaire générale de l’Assemblée des évêques du Québec [AÉQ] au printemps de 1980; ce qui m’a permis d’être témoin d’un moment charnière de la réflexion qui a conduit à la création du poste de répondante.
Cet ancrage dans les débuts de l’histoire des répondantes diocésaines à la condition des femmes donnera une couleur particulière au récit de l’expérience ecclésiale qui va suivre. Cette expérience s’inscrit d’emblée dans les rapports complexes entre le Canada, État fédéral, héritier des traditions parlementaires britanniques, et le Québec, seule province de culture francophone coexistant avec neuf autres provinces de langue et de culture anglaises. Le catholicisme est également plus représenté au Québec que dans chacune des neuf autres provinces (un catholique canadien sur deux y habite) et l’épiscopat y a longtemps exercé une influence sociale considérable.
1. À la rencontre d’un signe des temps
1.1. Un contexte social turbulent
Au tournant des années 1970, maintes sociétés éprouvent les soubresauts de profondes transformations. Les États-Unis, déjà fortement secoués par l’affirmation des Noirs, connaissent comme l’Europe la fougue du mouvement étudiant de 1968. Le processus de décolonisation s’accentue et s’accélère en Afrique. L’Amérique latine prend conscience de sa dépendance et de son sous-développement économique.
À la même époque, au Canada, les peuples autochtones s’organisent en vue d’obtenir un gouvernement territorial sur la base de leurs droits ancestraux. Les militants des droits économiques et sociaux font entendre leur voix principalement par l’entremise des mouvements communautaires et syndicaux pour dénoncer les problèmes de pauvreté et d’inégalités sociales.
Sur cette même lancée, une multitude de groupes de femmes soulignent en traits rouges les inégalités dont elles font les frais. Le mouvement féministe, qui émerge à l’horizon d’un océan à l’autre, finit par obtenir du gouvernement fédéral la mise sur pied d’une Commission royale d’enquête sur la situation des femmes au Canada, sous la présidence de Florence Bird. Publié le 8 février 1970, le rapport Bird est diffusé à travers tout le pays. Ses recommandations vont amener les gouvernements fédéral et provinciaux à réviser des politiques, des législations et des réglementations pour rétablir l’équité entre les sexes et, au besoin, adopter de nouvelles mesures concernant, entre autres, l’emploi, l’éducation et l’administration de la justice (Le Collectif Clio, 1982 : 458-467). Les autorités gouvernementales rendront des comptes de cette évolution à la Conférence mondiale pour l’égalité, le développement et la paix, organisée par l’onu en 1975, dans le cadre de l’Année internationale de la femme. Par la suite, le Canada sera l’un des signataires de la Convention sur l’élimination de toutes formes de discrimination à l’égard des femmes (adoptée par l’Assemblée générale des Nations Unies le 18 décembre 1979; en vigueur le 3 septembre 1981). Il deviendra un acteur important dans la lutte contre la violence à leur égard.
Parallèlement à cet ensemble de changements sommairement évoqués, la province de Québec poursuit depuis 1960 l’aventure de la démocratisation des services publics et de la modernisation de l’État, qualifiée de « Révolution tranquille » et inspirée par un fort courant d’émancipation culturelle et politique. Parmi les transformations effectuées, il est nécessaire de souligner un déplacement majeur des responsabilités en matière de services sociaux et d’éducation de la sphère religieuse à la société civile.
En regard de l’individu, soulignons la reconnaissance des droits et libertés fondamentaux. Une nouvelle philosophie à la base du Rapport du Comité d’étude sur l’assistance publique (Rapport Boucher, 1963) tire les conséquences de la citoyenneté en affirmant, par exemple en matière de politiques sociales, que le versement de prestations sociales par l’État n’est plus un privilège ni l’objet d’une « charité », mais un droit de toute personne en situation de pauvreté, de manque d’emploi ou de handicap permanent.
À son tour, la Commission d’enquête sur la santé et le bien-être social, instituée en 1966, réaffirmera ce principe en recommandant la mise en place d’un système universel et gratuit d’accès aux soins médicaux et à l’hospitalisation. On met en place l’État-Providence, au nom d’une nécessaire redistribution de la richesse dans une société qui veut vivre selon les principes de justice sociale. Le rapport de cette Commission, appelé Rapport Castonguay-Nepveu du nom de Claude Castonguay, président, et de Gérard Nepveu, secrétaire, fut publié en sept volumes, au cours de 1967 à 1972. Le 1er volume porte sur l’Assurance-maladie (1967). C’est le 10 juillet 1970 que fut adopté, au Québec, le projet de loi sur l’assurance-maladie.
En 1961, le gouvernement met sur pied la Commission royale d’enquête sur l’enseignement dans la province de Québec (Commission Parent, du nom de son président, Mgr Alphonse-Marie Parent). Les premières recommandations de cette Commission conduisent, en 1964, à l’adoption du projet de loi 60, remplaçant le Département et le Conseil de l’instruction publique par un ministère de l’éducation comportant deux sous-ministres associés, un de foi catholique et un de foi protestante, et un organe consultatif, le Conseil supérieur de l’éducation, auquel on greffe, pour l’enseignement religieux confessionnel, un comité catholique et un comité protestant. C’est ce ministère qui réalisera les recommandations subséquentes de la Commission Parent sur la réforme de l’éducation au niveau secondaire (en 1965) et au niveau postsecondaire (en 1968). Cette réforme, inscrite en cinq volumes parus de 1963 à 1966, lors de la durée du travail de la Commission, modifie radicalement le cadre institutionnel et même les programmes d’enseignement, notamment en philosophie et en littérature au niveau collégial (Linteau, 1989 : 651). Le temps des séminaires tenus par des prêtres et des écoles normales tenues par des religieuses est bel et bien révolu, même si le système public des écoles primaires et secondaires demeure de type confessionnel, catholique ou protestant.
Le Québec sort du régime de chrétienté pour entrer dans le monde moderne où il aspire à jouer un rôle significatif. En témoignent les luttes pour les droits linguistiques qui occuperont une place prépondérante pendant les années 1960 jusqu’au vote de la Charte de la langue française (ou Loi 101) visant à assurer la qualité et le rayonnement de la langue française. Adoptée le 26 août 1977, cette Charte fait du français la langue de l’État, de l’enseignement des communications, du commerce et des affaires ainsi que la langue normale et habituelle du travail.
Témoigne aussi de la mutation du Québec, la fondation du mouvement politique Souveraineté-association par René Lévesque, le 19 novembre 1967, qui deviendra parti politique en 1968 sous le nom de Parti québécois et prendra place sur la scène électorale quelques années plus tard.
Il n’y a pas à se surprendre que, dans ces bouleversements, le mouvement des femmes connaisse un second souffle. Celui-ci prend corps, entre autres, à la faveur de l’adoption de la fameuse Loi 16 par l’Assemblée législative du Québec.
Entrée en vigueur en 1964, cette législation reconnaît enfin à la femme mariée la capacité juridique – que lui déniait jusqu’alors le Code civil – et lui reconnaît les moyens d’acquérir son indépendance économique. C’est la ministre libérale Claire Kirkland-Casgrain qui a fait adopter cette Loi 16 qui apporta d’importantes modifications au Code civil.
Plus largement, c’est la fondation de la Fédération des femmes du Québec [FFQ], en 1966, qui va baliser le chemin de nouvelles réformes et favoriser l’émergence d’un leadership féministe dans toutes les sphères d’activités (Le Collectif Clio, 1982 : 450-451). Désormais, le mouvement des femmes devient l’un des acteurs sociaux les plus vigoureux au Québec (Le Collectif Clio, 1982).
1.2. Une Église qui se veut fidèle au concile Vatican II
1.2.1. Le concile Vatican II
Un autre vent de renouveau souffle sur le monde. Il vient cette fois de l’Église catholique. Le concile Vatican II (1962-1965), annoncé le 25 janvier 1959, convoqué le 25 décembre 1961 et ouvert le 11 octobre 1962 par le pape Jean XXIII, fut continué après la mort de celui-ci le 3 juin 1963 et clos le 8 décembre 1965 par le pape Paul VI. Cet aggiornamento invite toutes les Églises locales à un véritable renouveau biblique, liturgique et missionnaire. Il encourage aussi l’ouverture au dialogue avec les autres Églises chrétiennes, avec le judaïsme et avec les autres grandes religions (Prudhomme, 1992 : 155).
Toutefois, de l’avis du théologien allemand Karl Rahner, un des plus grands intérêts du Concile, « c’est le courage qu’a eu l’Église de regarder en face le monde moderne d’une façon qui n’avait jamais existé auparavant […], un passage d’une idée plutôt négative, défensive, à une attitude plus ouverte et positive » (Rahner, 1985 : 63). Entre autres signes de cette nouvelle attitude, le texte de la constitution pastorale L’Église dans le monde de ce temps : Constitution pastorale Gaudium et spes endosse, bien qu’indirectement, les principes de la Déclaration universelle des droits de l’homme (1948), comme l’atteste le passage suivant :
Assurément, tous les hommes ne sont pas égaux quant à leur capacité physique, qui est variée, ni quant à leurs forces intellectuelles et morales qui sont diverses. Mais toute forme de discrimination touchant les droits fondamentaux de la personne, qu’elle soit sociale ou culturelle, qu’elle soit fondée sur le sexe, la race, la couleur de la peau, la condition sociale, la langue ou la religion, doit être dépassée et éliminée, comme contraire au dessein de Dieu. En vérité, il est affligeant de constater que ces droits fondamentaux de la personne ne sont pas encore partout garantis. Il en est ainsi lorsque la femme est frustrée de la faculté de choisir librement son époux ou d’élire son état de vie, ou d’accéder à une éducation et une culture semblable à celles que l’on reconnaît à l’homme.
Au surplus, en dépit de légitimes différences entre les hommes, l’égale dignité des personnes exige que l’on parvienne à des conditions de vie justes et plus humaines. En effet, les inégalités économiques et sociales excessives entre les membres ou entre les peuples d’une seule famille humaine font scandale et font obstacle à la justice sociale, à l’équité, à la dignité de la personne humaine ainsi qu’à la paix sociale et internationale. (Vatican II, 1968 : 46.)
1.2.2. Les suites du concile Vatican II au Canada et au Québec
Les catholiques du Canada ne veulent pas demeurer en reste et s’engagent à fond dans la mise à jour proposée par le Concile. Ils attendent des évêques que ceux-ci encouragent la mise à jour demandée. Mais la lettre encyclique La régulation des naissances Humanae vitae, publiée en 1968 par le pape Paul VI, est reçue avec stupéfaction par l’opinion publique et par une majorité de catholiques pourtant soucieux d’une fécondité responsable. Le message de Paul VI ne concorde pas avec les espoirs d’ouverture au monde moderne que Vatican II avait semés. Les femmes, en particulier, prennent de plus en plus conscience que leur expérience humaine et spirituelle n’est pas prise au sérieux. Nombreuses parmi elles quittent alors l’Église sans faire de bruit.
Un autre défi de taille attend l’Église catholique du Québec. Des tensions entre la hiérarchie et les leaders des mouvements de l’Action catholique obligent l’épiscopat à former une commission d’étude pour chercher à résoudre cette crise. Cette voie de sortie s’impose d’autant plus que le Concile a défini l’Église comme « peuple de Dieu » et reconnu aux personnes laïques un rôle essentiel à l’exercice de sa mission dans le monde. En 1969, paraît en cinq volumes le rapport de la commission d’étude sur les laïcs et l’Église intitulé L’Église du Québec : un héritage, un projet. Il balise l’horizon du renouveau de l’ensemble de l’Église québécoise et propose des stratégies pastorales pour un monde en pleine mutation.
Sur le terrain, les responsables diocésains peuvent compter sur la collaboration compétente des prêtres, des religieux et des religieuses désormais libérés de responsabilités institutionnelles grâce à la réforme de l’éducation. Ils pourront s’appuyer bientôt sur un personnel diplômé des facultés universitaires de théologie ouvertes aux femmes depuis 1966. En effet, la Faculté de théologie de l’Université Laval – aujourd’hui Faculté de théologie et de sciences religieuses – fut la première au Québec à ouvrir ses portes aux femmes en 1966 (Roy, 2001 : 343-344). À partir des années 1970, elles seront des centaines à s’y inscrire, agrandissant ainsi le cercle des ouvrières formées dans les mêmes milieux supérieurs d’éducation que les futurs prêtres.
Enfin, pour l’ensemble canadien cette fois, notons, entre autres, l’impulsion donnée par la lettre encyclique Le développement des peuples Populorum Progressio, publiée par le pape Paul VI, en 1967. Les évêques du Canada répondent à ce vibrant appel en faveur de la solidarité internationale par la mise sur pied de l’Organisation catholique canadienne pour le développement et la paix, communément appelée Développement et Paix. Cet organisme de promotion de la justice sociale les oriente et les prépare en vue de leur participation en 1971 au synode sur la justice dans le monde et sur le ministère des prêtres (Conférence des évêques catholiques du Canada [CÉCC], 2000 : 38).
2. Une brèche dans le mur de l’exclusion des femmes
2.1 L’appel des femmes d’Edmonton
Par leur démarche audacieuse et convaincante,
les femmes d’Edmonton inauguraient
une nouvelle ère de dialogue en Église,
autour d’une table
où les femmes baptisées
ne sont pas habituellement convoquées.
Dans la foulée du synode de 1971, se produit au pays un événement déclencheur qui va marquer la trajectoire canadienne sur la question des femmes dans l’Église. Comme ce fut le cas au début du XXe siècle, à propos de l’obtention du droit de vote des femmes aux élections provinciales, un vent venu de l’Ouest s’engouffre dans la conscience des catholiques et de l’épiscopat du Canada. Un groupe de femmes catholiques du diocèse d’Edmonton (Alberta), appelé Edmonton Catholic Women’s Group [EWG] saisit l’occasion du synode de 1971 pour réclamer plus de justice pour les femmes dans l’Église (CÉCC, 2000 : 7).
Ces femmes ont rédigé Brief on the Status of Women in the Church, Mémoire sur le statut des femmes dans l’Église. Ce document contient 23 articles exposant les convictions du groupe et dix recommandations adressées à la Conférence des évêques catholiques du Canada (CÉCC, 2000 : 12). Il s’appuie explicitement sur les déclarations conciliaires, sur les recommandations du rapport Bird et sur une requête au Synode préparée par l’Union mondiale des organisations féminines catholiques [UMOFC]. L’argument central du mémoire repose sur l’affirmation de la dignité de toute personne humaine. En conséquence, refuser aux femmes la reconnaissance de leurs droits humains fondamentaux revient à renier leur humanité.
Stratégiquement, ce groupe d’Edmonton avait demandé à la Conférence des évêques catholiques du Canada [CÉCC], dès juin 1970, d’inscrire à l’ordre du jour de son assemblée plénière de l’automne 1971, immédiatement préparatoire au Synode, la question du statut des femmes dans l’Église. Il s’agissait d’inciter la délégation canadienne à rappeler que les femmes sont membres de l’Église à part entière, au même titre que les hommes, et à demander de procéder à une réforme du Code de droit canonique de 1917 pour y supprimer les discriminations fondées sur le sexe (CÉCC, 2000 : 12).
Par leur démarche audacieuse et convaincante, les femmes d’Edmonton inauguraient une nouvelle ère de dialogue en Église, autour d’une table où les femmes baptisées ne sont pas habituellement convoquées.
2.2 La réponse de l’épiscopat canadien
Cette requête fut effectivement présentée à l’épiscopat et suivie d’une consultation élargie à d’autres groupes. Le président de la Conférence des évêques catholiques du Canada [CÉCC] et archevêque de Winnipeg, le cardinal George Bernard Flahiff, s’adressant aux évêques réunis en synode, recommanda, au nom de l’épiscopat canadien, que le Saint-Siège mette sur pied un groupe d’étude ayant pour but de préciser le rôle des femmes dans les ministères de l’Église (Flahiff [1971], dans CÉCC, 2000 : 13).
La délégation canadienne commençait alors sa série d’interventions à chacun des synodes romains sur la participation des femmes à la mission et au gouvernement de l’Église. Cependant, la requête de 1971 demeure le document qui a porté le plus directement sur la question de l’accès des femmes aux ministères. En effet, dans son intervention, le cardinal Flahiff évoque la déception et l’impatience des femmes face à la lenteur de l’Église à appliquer les recommandations du concile Vatican II.
Il fait remarquer que, parmi les situations à considérer, il retient la question « de la possibilité d’une place pour la femme dans le ministère, ou mieux dans les ministères, de l’Église » (Flahiff [1971], dans Conférence des évêques catholiques du Canada [CÉCC], 2000 : 39). La double évolution, celle des femmes et celle des ministères, fait en sorte que, devant ces changements, nous « […] [sommes] obligés, [dit-il,] comme représentants de toute l’Église, de poser deux questions concernant les ministères possibles des femmes » :
[…] [Devons-nous ou non soulever la question de leur rôle possible dans les nouveaux ministères?
[…] [Pouvons-nous déjà prévoir quels seraient les nouveaux ministères qui seraient plus adaptés à la femme, à sa nature, à ses dons et à sa préparation, dans le monde de ce temps […]? (Flahiff [1971], dans CÉCC, 2000 : 40.)
Désirant une réponse pratique à ces questions, le cardinal Flahiff présente la proposition suivante, presque unanimement adoptée, souligne-t-il, par les évêques du Canada :
Que les représentants de la Conférence catholique canadienne prient leurs délégués de recommander au Saint-Père la formation immédiate d’une commission mixte (c’est-à-dire formée d’évêques, de prêtres, de laïcs des deux sexes, de religieuses et de religieux) afin d’étudier en profondeur la question des ministères féminins dans l’Église. (Flahiff [1971], dans CÉCC, 2000 : 41.)
Puis il termine son intervention en rappelant que
les signes des temps (dont le moindre n’est pas le fait que déjà des femmes exercent avec succès des tâches apostoliques et pastorales), […] nous pressent d’entreprendre l’étude de la situation présente et des possibilités pour l’avenir. (Flahiff [1971], dans CÉCC, 2000 : 41.)
Au cours des années 1970, plusieurs communications de la Conférence des évêques catholiques du Canada [CÉCC] avec des instances romaines, porteront sur la participation des femmes dans l’Église. Ainsi, en 1975, Mgr Gerald Emmett Carter, évêque du diocèse de London (Ontario), président de la CÉCC (1975-1977), demandait au cardinal Jean Villot, secrétaire d’État, que le Saint-Siège envisage la possibilité d’admettre les femmes aux ministères non ordonnés, l’acolytat et le lectorat, jusqu’ici réservés aux hommes en vertu du décret Ministeria Quaedam de Paul VI (1972) (CÉCC, 2000 : 14). Quelques mois plus tard, Mgr Carter intervenait à nouveau auprès du cardinal Villot, « lui exprimant le désir du Conseil d’administration qu’une étude théologique approfondie soit faite sur la question de l’ordination des femmes » (CÉCC, 2000 : 15)
2.3 La réponse du Saint-Siège
Dans un premier temps, le pape Paul VI met sur pied, en 1973, une Commission internationale d’étude sur le rôle de la femme dans la société et dans l’Église, excluant toutefois la possibilité de conférer les ordres sacrés aux femmes, faisant de ce sujet une question réservée. Le rapport de cette Commission, publié en 1975 pendant l’Année internationale de la femme, promeut la nécessaire participation des femmes dans tous les domaines de la vie sociale, ainsi que sa collaboration à la mission évangélique et à l’exercice de certaines responsabilités dans l’Église, incluant la formation des futurs prêtres. Paul VI n’ouvre nullement la porte à l’exercice d’un ministère ordonné (Paul VI, 1976 : 153-155).
À l’automne de 1976, une autre réponse arrive de Rome : la Congrégation pour la doctrine de la foi publie « Inter insigniores » : déclaration de la Congrégation de la doctrine de la foi sur la question de l’admission des femmes au sacerdoce ministériel (1976). Cette déclaration refuse l’ordination sacerdotale » aux femmes, parce que, arguments bibliques à l’appui, « l’Église ne se considère pas autorisée » à modifier la tradition continue depuis près de vingt siècles de n’ordonner que des hommes. On apprendra plus tard, par les témoignages oraux de certains membres de la Commission biblique internationale consultée à ce sujet, qu’une majorité de membres de cette Commission avait répondu « non possumus » (nous ne le pouvons pas) à une question qu’on peut résumer ainsi : est-il possible, d’après le Nouveau Testament, de prouver que Jésus n’a pas voulu ordonner des femmes?
2.4 La contestation de l’exclusion par d’autres chemins
La réponse de Rome mettra-t-elle un terme à la démarche entreprise par les évêques du Canada? On aurait pu le penser, vu l’assentiment demandé aux enseignements du magistère. Pourtant, on observe quelques signes indicateurs d’une recherche qui révèlent le souci des autorités catholiques du Canada de maintenir, malgré le refus du Vatican, une certaine ouverture face à la condition des femmes. En effet, des groupes d’étude formés dans chacune des quatre régions pastorales s’approprient les recommandations de Paul VI contenues dans le rapport de la Commission internationale d’étude (Paul VI, 1976 : 153-155); les facultés de théologie sont invitées à stimuler la recherche sur le rôle des femmes dans la société et dans l’Église; de nouveaux groupes de féministes chrétiennes voient le jour.
Dès 1977, la Conférence des évêques catholiques du Canada [CÉCC] elle-même entreprend de réaliser une étude qui aboutira, en 1979, à la publication des résultats du Sondage sur la participation des femmes dans le travail pastoral officiel de l’Église catholique au Canada (CÉCC, 1979; 2000 : 17). Demeurées jusque-là invisibles dans les statistiques des postes diocésains de responsabilité, des femmes émergent de l’ombre : elles occupent un tiers de certains postes de direction de services tels que la pastorale de la famille, l’éducation de la foi, l’animation missionnaire; en revanche, elles sont à peu près absentes des postes administratifs et financiers. Elles sont plus nombreuses dans des postes consultatifs que dans des postes de décision.
En 1978, le président de la Conférence des évêques catholiques du Canada [CÉCC] de l’époque, Mgr Gilles Ouellet, archevêque de Rimouski, invoquant les responsabilités des assemblées épiscopales régionales, invite alors les évêques à promouvoir, dans leurs diocèses et dans leurs régions, la collaboration des femmes à la vie de l’Église (Turcot, 1993 : 4). Ce geste marque un transfert de l’action de l’épiscopat du niveau national aux niveaux régional et local. Au Québec, il prépare le terrain à la nomination de répondantes diocésaines à la condition des femmes.
3 De la parole aux actes
3.1 Éviter l’esquive
Tous les évêques du Québec ont été partie prenante du cheminement et des interventions de la Conférence des évêques catholiques du Canada [CÉCC] dont il a été question jusqu’à maintenant. Quelle sera leur contribution spécifique dans l’action? Certains parmi eux ont commencé à agir par la voie de nominations : quelques femmes se voient ainsi confier la responsabilité d’une paroisse (les appellera-t-on vicaire ou curé?), d’un mouvement (le titre d’animatrice conviendra mieux que celui d’aumônier). Comme pour toute question nouvelle, les évêques qui s’engagent dans cette voie comptent sur l’Assemblée des évêques du Québec [AÉQ[ pour baliser le chemin.
Le Comité épiscopal des affaires sociales [CAS] va assumer cette tâche. Il se définit comme « l’antenne de l’épiscopat sur le monde ». À ce titre, depuis la restructuration de la CÉCC en 1973, il entretient des relations suivies avec des leaders de divers milieux, chefs syndicaux du monde ouvrier et du monde rural, mais aussi avec les chefs de file des associations féminines de masse comme l’Association féminine d’éducation et d’action sociale [AFÉAS] et la Fédération des cercles de fermières.
Lorsque paraît, en 1979, le sondage de la Conférence des évêques catholiques du Canada [CÉCC] sur la participation des femmes à la vie de l’Église, le Comité des affaires sociales de l’Assemblée des évêques du Québec [CAS] est surtout interpellé par le Livre vert sur la condition féminine au Québec que le Conseil du statut de la femme [CSF] a publié à la fin de 1978, sous le titre Pour les Québécoises : égalité et indépendance. Au même moment, le CAS mène des consultations sur l’évolution du peuple québécois qui devra se prononcer sur son avenir constitutionnel lors du référendum annoncé en 1980.
Comme il a l’habitude d’analyser d’autres documents de politiques sociales émanant de diverses instances gouvernementales ou d’organismes de la société civile, il se met donc à la tâche pour étudier le volumineux rapport du Conseil du statut de la femme [CSF]. Comment s’y prendra-t-il? Selon une méthode efficace employée en d’autres circonstances, il organise une consultation auprès de femmes qui exercent un leadership en milieu social ou ecclésial. Il convoque deux tables rondes, l’une à Montréal, animée par Mgr Bernard Hubert, évêque de Saint-Jean-Longueuil et président du Comité des affaires sociales [CAS] l’autre à Québec, animée par le cardinal Louis-Albert Vachon, archevêque de Québec et membre de ce même comité épiscopal (Turcot, 1993 : 4).
3.2 Donner la parole aux femmes
Le document du Conseil du statut de la femme [CSF] reposait sur un postulat initial : considérant que les rôles remplis par les hommes et les femmes sont le résultat d’un processus de socialisation, « nous aborderons l’étude de la condition féminine en privilégiant l’aspect de la socialisation des individus » (CSF, 1978 : 33). Il ne faut pas s’étonner que la première recommandation se lise ainsi : « Que le gouvernement du Québec établisse comme priorité l’élimination du sexisme chez tous les agents d’éducation et de socialisation auprès desquels il intervient. » (CSF, 1978 : 35.) On n’est pas surpris non plus que la conclusion du rapport commence en ces termes : « Pour les Québécoises : égalité et indépendance annonce à la fois un programme d’action […] et un but. » (CSF, 1978 : 331.) Un programme et un but développés en 306 recommandations, dont une seule concernait le rôle de l’Église.
Aux deux tables rondes sur la condition féminine qu’il avait convoquées en janvier 1979, le Comité des affaires sociales de l’Assemblée des évêques du Québec [CAS] invitait les participantes à répondre à trois questions portant sur une affirmation tirée de ce rapport. Soulignons cet extrait et rappelons les trois questions :
Extrait :
Notre analyse de la condition féminine repose sur l’hypothèse que les conflits dans les rapports entre les sexes proviennent de la division du travail fondée sur le sexe. Cette division consiste dans la répartition entre les hommes et les femmes des différentes fonctions sociales. On l’observe d’abord dans la famille où, d’une part, on confie à la femme la responsabilité affective, l’éducation des enfants et les tâches domestiques et, d’autre part, à l’homme la responsabilité économique. On la constate par la suite dans tous les domaines de la vie sociale.
[…] L’important pour nous est de reconnaître que l’inégalité qui découle de la répartition arbitraire du travail entre les sexes est un fait social et que c’est socialement qu’il nous faut l’expliquer dans le Québec d’aujourd’hui. […] (Conseil du statut de la femme, 1978 : 26.)
Questions :
- Quelle est votre réaction ou votre position personnelle devant cette affirmation centrale du rapport sur la condition féminine?
- En quoi cette analyse de la condition des femmes rejoint-elle votre conscience chrétienne?
- Selon la réponse que vous donnez aux questions précédentes, quelles conséquences voyez-vous pour l’Église comme agent de socialisation et source d’influence sur les mentalités? (CAS, 30 août 1979 : 81.)
De ces échanges se dégage un large consensus sur l’analyse de la condition des femmes exposée dans le Livre vert du Conseil du statut de la femme [CSF]. Les commentaires des participantes évoquent la discrimination dont les femmes sont souvent l’objet dans la société et dans l’Église et partagent la souffrance inhérente à de telles situations. Leurs suggestions vont du domaine de la socialisation des garçons et des filles sur le plan des rôles et de l’éducation sexuelle à la nécessité de revoir la théologie mariale comme la pratique pastorale entourant le sacrement de mariage, jusqu’à créer des espaces d’accueil et d’intégration des femmes à la vie et au gouvernement de l’Église. Autrement dit, tout statu quo devient impossible! (Comité des affaires sociales de l’Assemblée des évêques du Québec [CAS], 1979).
Le rapport de ces deux tables rondes, de type verbatim, fut ensuite envoyé à tous les évêques du Québec et aux divers comités épiscopaux de l’Assemblée des évêques du Québec [AÉQ], pour commentaires et suggestions. À la réunion plénière de septembre 1980, le Comité des affaires sociales remet aux évêques un rapport d’étape sur la consultation et suggère des pistes d’action en lien avec le synode sur la famille prévu à Rome en octobre de la même année (Turcot, 1993 : 5).
3.3 Inviter des femmes à une prise en charge de leur condition
Six mois plus tard, le Comité des affaires sociales de l’Assemblée des évêques du Québec [CAS] constate qu’il faut faire un pas de plus si l’on veut concrétiser les belles intentions d’ouverture manifestées dans l’Église. Au printemps de 1981, il invite chaque évêque à nommer une « répondante à la condition des femmes » qui sera chargée de suivre dans son diocèse l’évolution des questions sur la situation des femmes dans la société et, sur le plan national, de tenir le cas en état d’alerte. En prolongement de cette invitation, le cas réunira les répondantes pour la première fois le jeudi 24 septembre 1981(Turcot, 1993 : 5).
Pourquoi ce titre de répondante? Ce terme fait déjà partie du vocabulaire administratif et pastoral de l’Église; il correspond au statut d’autres personnes, habituellement des prêtres, à qui l’évêque confie la responsabilité d’une question particulière, par exemple en œcuménisme, incluant les relations avec les organisations ou les groupes liés à cette sphère pastorale. Il s’agit d’un mécanisme souple, connu des évêques, qui va faciliter l’introduction de la question des femmes dans les structures de l’Église. De plus, comme l’invitation provient du Comité épiscopal chargé des affaires sociales, on pressent que les répondantes relèveront le plus souvent du service de pastorale sociale ou de promotion humaine, là où existe un tel service. La question du rôle des femmes en Église se trouvait ainsi clairement située dans le champ social.
Conclusion
Relecture d’une expérience : quelques pistes de réflexion
Les répondantes ne sont pas seules
à bord du vaisseau ecclésial,
elles y rencontrent d’autres passagères
avec lesquelles
elles apprennent rapidement
à nouer des liens
et à développer des solidarités.
Les limites de ce texte nous interdisent toute évaluation d’une expérience qui ne fait que commencer en 1981. Nous pouvons tout de même nous arrêter un moment pour nous demander, à la manière de la parabole évangélique qui met en scène celui qui veut construire une tour (Lc 14, 28-30) : quelle sorte de chantier doit-on envisager? Et avec quels matériaux y travailler?
- Le prix du dialogue des évêques avec le Vatican et avec les femmes
Les premiers à relire le cycle des prises de parole des évêques furent les évêques eux-mêmes. En présentant le Rappel historique des interventions de la CÉCC concernant les femmes : historique des initiatives de la CÉCC en faveur des femmes dans l’Église et dans la société 1971-2000 (2000), Mgr Gérald Wiesner, omi, alors président de la Conférence des évêques catholiques du Canada [CECC], s’exprime en ces termes : « L’examen des interventions synodales montre clairement que c’est l’expérience d’un dialogue permanent avec les Canadiennes qui a servi de fondement aux communications des évêques. » (CÉCC, 2000 : 7.) Mais il ajoute que ces communications « trouvent leur fondement théologique – cela est tout aussi manifeste – dans une réflexion sur l’importance de bien interpréter les « signes des temps » » (CÉCC, 2000 : 8).
Ainsi, au pays, la réflexion croisée sur la justice envers les femmes et sur les signes des temps est-elle devenue le point de rencontre d’un véritable dialogue, dans l’espoir de voir l’Église universelle adopter un même type de communication. Grâce à ce procédé pastoral, les évêques ne participent-ils pas, avec les membres de l’Église locale, à la réception des enseignements du concile Vatican II? La circulation des discours entre la Conférence des évêques catholiques du Canada [CÉCC] et le Vatican a démontré de la part de la première un courage certain pour appliquer l’esprit conciliaire à la situation des femmes en Église.
On l’a déjà constaté, les recommandations de l’épiscopat canadien se sont heurtées à la décision romaine de ne pas autoriser l’ordination sacerdotale des femmes, comme l’affirme « Inter insigniores » : déclaration de la Congrégation de la doctrine de la foi sur la question de l’admission des femmes au sacerdoce ministériel (1976). Ce n’est pas le lieu ici de reprendre les arguments bibliques et théologiques invoqués. En revanche, un certain recul historique permet de réaliser le contexte œcuménique de cette prise de position. Plusieurs Églises de tradition protestante ordonnaient déjà des femmes pasteures depuis les années 1940-1960. Et voilà que la communion anglicane est entrée dans une phase décisive du débat sur cette question, en 1974, quand la province des États-Unis de cette Église (appelée Église épiscopale dans ce pays) a ordonné prêtre une première femme. Ce geste a amené la Conférence de Lambeth à reconnaître, en 1978, la légitimité de telles ordinations, dans le respect de la volonté des diverses provinces anglicanes (Turcot, 1993 : 4). Dix ans plus tard, la communion anglicane acceptera l’ordination des femmes à l’épiscopat. En pareil contexte, la déclaration Inter insigniores devient un avertissement non seulement aux catholiques, mais aussi aux autres Églises.
De son côté, l’intervention de la Conférence des évêques catholiques du Canada [CÉCC] au Synode de 1971, bien que réalisée sous la pression initiale d’un groupe de femmes d’Edmonton, paraît très audacieuse. Elle reste l’expression la plus directe et la plus claire de la possibilité de confier aux femmes de vrais ministères au service du peuple de Dieu. C’est une pierre précieuse sur le chemin de l’avenir.
Quant à la désignation de répondantes diocésaines en terre québécoise, là aussi, l’initiative est venue des évêques. Comme membres de la Conférence épiscopale canadienne, ces leaders religieux du Québec ont participé aux échanges entre l’Église locale et Rome. En posant ce geste, ils prenaient le risque d’ouvrir une piste prometteuse en matière d’organisation et de pratique pastorales.
Au terme de cette rétrospective, des questions demeurent en suspens au sujet de l’ouverture des évêques. Ont-ils envisagé d’autres manières de prendre en compte l’aspiration des femmes à la justice? Aucun indice ne permet de l’affirmer. Comment les prêtres, les chrétiennes et les chrétiens de la base vont-ils percevoir l’arrivée de nouvelles passagères dans le navire? En décidant de nommer des répondantes diocésaines à la condition des femmes, les évêques ont-ils mesuré la force du mouvement féministe qu’ils devront inévitablement rencontrer sous une forme ou sous une autre? Soupçonnaient-ils la profondeur des eaux et la force du courant de l’océan sur lequel ils conduisent la barque? Pour le moment, en 1981, ils agissent en pasteurs innovateurs, à la manière de nos ancêtres dans la foi, Abraham et Sarah, sans avoir entrevu les méandres ni l’aboutissement du chemin. Ils font confiance à l’imagination créatrice des répondantes qui vont inventer au jour le jour une réponse évangélique aux aspirations des femmes de notre temps.
- Le défi de l’innovation pour les répondantes diocésaines à la condition des femmes
Les répondantes ne sont pas seules à bord du vaisseau ecclésial; elles apprendront rapidement à nouer des liens, à développer des solidarités. Le Mouvement des femmes chrétiennes a commencé à sensibiliser les chrétiennes de la base aux valeurs du féminisme. Depuis 1975, la collective L’autre Parole réunit des théologiennes féministes qui concentrent leurs efforts sur la relecture biblique et théologique du discours ecclésial sur les femmes. En 1980, après cinq années de recherches, est née l’Association des religieuses pour la promotion des femmes [ARPF]. Cette association se propose de sensibiliser les membres des instituts religieux à la condition féminine dans la société et dans l’Église, afin qu’elles puissent assumer pleinement leur rôle spécifique dans l’édification d’un monde meilleur. Puis s’ajoutera, en 1982, le réseau Femmes et Ministères qui associera des enseignantes en théologie et des praticiennes de la pastorale, afin d’explorer divers aspects du statut des femmes en Église.
Ne pas être seules à bord amène des responsabilités. Qu’est-ce qui pèse exactement sur leurs épaules en ce mois de septembre 1981? Quelle conception de leur rôle va primer : jouer les médiatrices entre les aspirations des femmes qui appartiennent à divers courants féministes? Plaider coûte que coûte en leur faveur au risque de faire naître des résistances? Proposer aux femmes des démarches qui intègrent la mémoire dangereuse de leur oppression en vue d’une libération évangélique? Bref, quel modèle d’intervention ces répondantes vont-elles privilégier?
Aujourd’hui, c’est avec enthousiasme, détermination et fierté qu’elles commencent à préciser les composantes d’un mandat reçu de leur évêque, mais dont les contours n’ont jamais été clairement définis. Elles s’appliquent à cette tâche de clarification depuis le dialogue initial du 24 septembre 1981 avec le Comité des affaires sociales. Ces premiers balbutiements les feront sans doute sourire, lorsque cinq, dix et vingt-cinq ans plus tard, elles dresseront le bilan du chemin parcouru.
Laissons maintenant à d’autres observatrices le soin de nous dévoiler l’histoire des répondantes diocésaines à la condition des femmes.
Gisèle Turcot, sbc
Montréal, 2006
Article révisé, février 2021
Article préparé en 2006 à l’invitation de Denise Veillette, chargée de préparer une histoire des répondantes diocésaines à la condition des femmes. Les tomes V et IV ont été publiés sous sa direction aux Presses de l’Université Laval : Les répondantes diocésaines à la condition des femmes. 25 ans d’histoire, 1981-2006.
Désolé d’apprendre que les tomes ultérieurs ne seront pas publiés, le réseau Femmes et Ministères estime utile de diffuser, à l’occasion du 40e anniversaire de fondation du Réseau des répondantes diocésaines à la condition des femmes, l’article de Gisèle Turcot qui était destiné à faire partie de cette histoire.
(NDLR, février 2021)
Références
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- 40e : Hommage à Annine Parent par Gisèle Turcot - 28 octobre 2022
- Des femmes pour transformer l’avenir de l’Église - 3 novembre 2021
- Les répondantes diocésaines à la condition des femmes : enracinement et genèse (1971-1981) - 19 février 2021
Soeur Gisèle Turcot.,
Je suis bouleversée en vous lisant et je fais la découverte d’un PORTRAIT INACHEVÉ de la femme en Église bien vivante derrière son voile. Ce document, me raconte sans doute puisque, l’intérêt étant si fort, j’ai parcouru votre texte d’un seul trait, à haute voix, de la même façon que j’aimais proclamer un texte biblique devant l’Assemblée du peuple de Dieu. Oh oui, je vois les merveilles de Dieu de mon vivant et je vous en remercie Soeur Gisèle.
Jeannette Fournier (Femmes et ministères )
Votre propos illustre bien que la résonance d’un texte dépend de la lecture qu’on en fait et des expériences auxquelles il fait appel. Poursuivons le chemin commencé… Merci.