Élue à l’Académie française en décembre 1980, Marguerite Yourcenar y fut reçue par celui qui s’était battu pour qu’elle fût la première femme à y occuper un fauteuil : Jean d’Ormesson. Il s’empressa de lui dire que « les traditions – comme les femmes – sont faites pour être à la fois respectées et bousculées [1] »… Un peu gaulois, il n’avait pas tout faux.
Un an plus tôt, Ginette Boyer était entrée au comité de rédaction de Relations : sans discours de réception, sans statut d’immortelle, sans épée et sans fauteuil… Elle n’en était pas moins la « première venue » dans ce qui avait été jusque-là – ne disons pas un cénacle, ce serait hausser Ginette un peu vite au niveau de la Vierge à la Pentecôte, ni non plus un club, car les entrailles nationalistes de maints rédacteurs jésuites en seraient révulsées – parlons d’un cercle de jongleurs unisexe.
Jongleurs car ils tentaient, ces clercs, de suivre l’actualité sans se laisser happer par l’idéologie dominante – qu’elle fût de droite fascisante comme en 1941 ou de gauche bientôt désenchantée comme en 1979 –, d’actualiser la foi chrétienne dans une société en voie de sécularisation galopante et de faire valoir la modernité démocratique dans une Église qui en était encore à régler ses comptes avec le XVII e siècle, bref, ils essayaient de combiner « la justice et la charité », pour citer le liminaire du premier numéro.
Pourquoi des femmes au comité de rédaction de Relations… et je pense en première ligne à Ginette Boyer, Gisèle Turcot, Francine Tardif ou – du côté de Québec – à Annine Parent-Fortin et à une certaine Carolyn Sharp ? En un mot, parce que la revue ne pouvait s’en passer.
Pour écrire ? Sans doute. Et pourtant, dès le premier numéro de la revue, on trouve un texte d’Annette Labonté. Allez voir. Une page et quatre tableaux à la limite du soutenable sur une misère, à Montréal, qui paraît venir directement du XIXe siècle.
Pour traiter de la situation des femmes dans la société et dans l’Église ? Assurément. Mais en décembre 1941, celle qui fondera l’Alliance française de Montréal [2] signe un article étonnant sur « La guerre et la législation du travail féminin » où elle compare les droits des travailleuses en Angleterre et dans l’Allemagne nazie.
En fait, il ne s’agissait pas seulement d’écrire. Si le comité de rédaction de Relations ne pouvait se passer des femmes en 1979, c’était pour penser l’actualité en stéréo. Pour « tenir tête » : quelques « Monsieur Tête » avaient grand besoin, en face d’eux, d’une ou plusieurs « Madame Tête » pour décoder un monde qui ne serait plus jamais ce que leurs études classiques et théologiques les avaient préparés à affronter.
Y avait-il un plafond de verre ? Il fallait en tout cas traverser les premières séances de travail avec les monstres sacrés que représentaient – pour elles comme pour moi – les Irénée Desrochers, Karl Lévêque, Julien Harvey, Guy Paiement… Or j’ai toujours pensé que le génie féminin saurait harnacher l’agressivité sublimée qui propulse la joute intellectuelle masculine.
Oui, « tenir tête »… pour faire vivre une tradition d’acharnement à penser et à s’engager. Et, de fait, les Madame Tête ont redonné vie, en les bousculant, aux traditions de la revue qui – entre vous et moi et de moi à vous – a quand même plus de gueule aujourd’hui qu’en 1979. Continuez, mesdames, à bousculer les traditions.
Dans le cadre de la Soirée soulignant le 70e anniversaire de la revue Relations le 14 mars 2011, plusieurs thèmes ont été abordés dont celui de la présence des femmes dans la société, dans l’Église et à la revue Relations.
Ce texte est présenté sur le site du Centre Justice et Foi et reproduit avec les permissions requises.
NOTES
[1] Discours de réception de Madame Marguerite Yourcenar à l’Académie française et Réponse de Monsieur Jean d’Ormesson, Paris, Gallimard, 1981; p. 56.
[2] Geneviève de la Tour Fondue
- Bousculeuses… - 14 mars 2011