Jamais n’aurais-je, de ma déjà longue carrière, tant hésité à choisir un titre pour mes quelques propos ! J’en avais trouvé un beau que je roulais dans ma tête, pour vous dire merci et exprimer mon enthousiasme à fêter ensemble deux anniversaires : l’un, le Concile – 50 ans !- qui n’a cessé d’inspirer l’autre qui, depuis 30 ans, avec conscience, conviction, intelligence et « espérance tranquille » comme le dit bien Rolande Parrot, s’efforce d’en cueillir les fruits et d’en soigner l’arbre et ses repousses….
Hélas, m’est survenue alors la lecture, dans un hebdomadaire catholique de qualité d’un grand reportage : « 50 ans après Vatican II, La révolution inachevée ». Il présentait un glossaire et, sous le mot Femmes, ceci : « À l’image de la Curie, le Concile reste très masculin, même si de rares religieuses et laïques purent y assister. Mais les documents conciliaires leur manifestent une bienveillante attention. ». La bienveillante attention m’a stupéfaite avant de me conduire vers une sainte colère. J’ai donc repris mes classiques et étudié de plus près quelques citations auxquelles souvent nous nous référons sans les avoir épuisées évidemment et j’ai ouvert quelques livres et bulletins.
Signes des Temps pour l’Église et pour l’humanité : les déclarations majeures.
C’est pour elle-même -son intégrité et son message- que l’Église déclare aussi explicitement pour la première fois « La communauté des chrétiens se reconnait donc réellement et intimement solidaire du genre humain et de son histoire » (Gaudium et Spes, préambule 1).
Et c’est dans la même référence aux Signes des Temps que se place le refus comme contraire au dessein de Dieu de l’esclavagisme, du racisme et du sexisme (Gaudium et Spes 29, ou Lumen Gentium 32, comme, déjà, Pacem in Terris 41, 44 ). Ces déclarations soulignent le caractère reconnu inséparable de ces trois étapes de l’humanisme que saluait déjà prophétiquement Paul dans la lettre aux Galates (3, 28).
Bien sûr que nous nous sommes réjouies de cette théologie des Signes des Temps ! Mais y voir une bienveillance spéciale pour les femmes? Certainement pas : tout d’abord, rien de fondamentalement nouveau, le principe était acquis et ce n’est pas là que nous attendions l’institution Église.
Interrogeons donc ce qui toucherait plus spécialement à la question des femmes : déclarations que l’institution aurait, depuis, soigneusement tenues en jachère et que nous-mêmes, avec trop de bienveillance, aurions laissées en patience …
En Gaudium et Spes 29,2 : « Assurément tous les hommes ne sont pas égaux, quant à leur capacité physique, qui est variée, ni quant à leurs forces intellectuelles et morales qui sont diverses. Mais toute forme de discrimination touchant les droits fondamentaux de la personne, qu’elle soit sociale ou culturelle, qu’elle soit fondée sur le sexe, la race, la couleur de la peau, la condition sociale, la langue ou la religion doit être dépassée et éliminée comme contraire au dessein de Dieu. En vérité il est affligeant de constater que ces droits fondamentaux de la personne ne sont pas encore partout garantis. Il en est ainsi lorsque la femme est frustrée de choisir librement son époux ou d’élire son état de vie, ou d’accéder à une éducation et une culture semblables à celles que l’on reconnaît à l’homme »…. »( C’est nous qui soulignons ). Et encore ceci qui a concerné et concerne encore tant de jeunes femmes marquées par « l’appel vocationnel » qu’analyse si bien Pauline Jacob : « Que les enfants soient éduqués de telle manière qu’une fois adultes, avec une entière conscience de leur responsabilité, ils puissent suivre leur vocation, y compris une vocation religieuse, et choisir leur état de vie… ». (Gaudium et Spes, 52,1)
Sans prétendre être exhaustives ici, nous pourrions encore citer bien d’autres affirmations et déclarations restées lettre morte alors qu’elles nous avaient paru devoir être suivies d’effets, à tel point du reste que plusieurs jeunes m’en contestaient dernièrement l’origine ecclésiale officielle ne voulant pas croire que le Concile avaient relevé déjà, il y a 50 ans, ce qui fait leur conviction et leur objectif aujourd’hui : « …. Les femmes, là où elles ne l’ont pas encore obtenue, réclament la parité de droit et de fait avec les hommes… » (Gaudium et Spes, 9).
Des signes de désespérance : écart qui se creuse ou déjà ruptures?
Qu’en est-il en effet de la parité ? On voit bien que les sociétés civiles s’équipent en lois et dispositions, nationales et internationales, pour la faire entrer dans les lois et les mœurs (exception faite pour les sociétés qui n’ont pas ratifié la Convention contre toutes les formes de discrimination à l’égard des femmes).
Mais on constate que l’institution vaticane ne se considère pas obligée par ses déclarations solennelles ni de refuser le sexisme dans ses propres dispositions, ni d’enrichir la communauté chrétienne en mettant en œuvre la parité entre les sexes, de par son propre exemple, dans son organisation cléricale, sa pastorale, sa liturgie. On la voit au contraire se cramponner à ses raisons qu’elle considère comme les fondements de son ecclésiologie.
Puis-je donner ici un témoignage personnel : ce dernier samedi j’ai animé un atelier lors des Semaines Sociales qui avaient pris pour thème Hommes et Femmes, la nouvelle donne (87e session de cette institution qui a mérité encore cette année ses 3000 participant/e/s, de milieux divers, souvent de province, engagé/es dans l’Église, d’âge certain pour la plupart mais avec un rafraîchissement de jeunes grâce aux mouvements d’action catholique dont par exemple les Scouts et Guides de France qui ont lancé tout un processus de réflexion et d’éducation sur le thème).
J’avais retenu pour notre atelier de travail collectif : Nécessaire rééquilibrage des statuts et des rôles des hommes et des femmes dans la société et l’Église. Or me voici plus que troublée…. 20 personnes, toutes nouvelles pour moi, hommes et femmes, âge moyen ou mûr, toutes engagées- et parfois missionnées- dans l’Église depuis longtemps (paroisse, diocèse etc…), allures bien élevées et bien pensantes, mais vigoureux témoignages de foi! Je n’ai jamais entendu une charge pareille contre l’institution romaine… plusieurs fois, ai-je tenté de rappeler que notre atelier ne se bornait pas à des considérations sur l’Église…rien à faire : « dans la société cela se transformait peu à peu et on y pourvoyait. Et l’Église par rapport à cela ? Non, pas en retard mais en rupture, en fracture … » Et sur ce point personnes jeunes ou âgées toutes d’accord pour dire leur tristesse et leur inquiétude, leur impossibilité de faire aimer la pratique catholique à leurs propres enfants… et ne sachant plus ce qu’elles pouvaient encore transmettre de leur foi chrétienne autre qu’une référence positive à l’Évangile.
Je retiens le témoignage d’un homme consacré membre des Focolari qui, sans réfuter les critiques, évoquait des congrégations chrétiennes et communautés « spirituelles » où l’on vit un autre rapport hommes/femmes que dans l’institution cléricale. Il plaidait pour tous les petits déplacements possibles sur le terrain, selon les conseils du Père Moingt. Mais les avis sur ces déplacements furent sans ambages : « pas moyen… vétos immédiats des évêques et des prêtres nommés spécialement pour remettre de l’ordre… Quant aux jeunes prêtres, pires que les anciens, aucune éducation à la question des femmes… raideur, cléricalisme de pouvoir et non pas de service… » On objectait qu’il ne s’agissait plus d’aménagements, mais d’une réforme fondamentale et structurelle de l’Église.
Les pistes que l’on nous demandait de noter pour le rapport ? Je ne peux que les résumer ainsi : elles visaient la fin de ce cléricalisme de pouvoir, une éducation nouvelle des prêtres, une participation effective des femmes à tous les niveaux des responsabilités baptismales, le droit à leurs paroles et aux ministères. Nous retrouvions là une discussion connue sur le danger de raffermir ainsi la cléricalisation, mais on plaidait surtout que « sans une ordination des femmes, leur participation ne serait jamais ni reconnue ni effective… »
Je dois à la vérité de témoigner que je n’avais jamais entendu s’exprimer dans un milieu aussi engagé et bien pensant, un consensus aussi sérieux de charges contre l’institution romaine, de convictions croyantes et bien argumentées pour s’y opposer, et d’inquiétude pour la transmission chrétienne.
C’est à se demander désormais si les membres de la hiérarchie romaine, ainsi que ces nombreux prêtres intelligents, formés et généreux, ne veulent pas ou ne peuvent plus voir la réalité ? Comment l’institution/Église peut-elle accepter de faire ainsi rupture de sens et de références de valeur avec la société civile ?
De faire rupture de sens et de références évangéliques avec d’autres Églises et traditions chrétiennes ?
Et, en son propre sein, de scandaliser des communautés chrétiennes qui, aujourd’hui, pour notre temps présent, veulent vivre et témoigner autrement du message évangélique…
Soulever le couvercle de plomb posé sur la conscience et les paroles des femmes
J’aimerais que nous ouvrions ensemble encore un chapitre de mémoire pour soulever le couvercle de plomb qui fut mis sur les expressions et manifestations des femmes croyantes, celles qui ont préparé le Concile et qui n’ont cessé de se manifester depuis, relayées heureusement de plus en plus largement par des hommes et des communautés partenaires.
Dans la société civile on évoque un plafond de verre qui barre la promotion des femmes. Nous n’en sommes pas encore à cette expérience, nous les femmes chrétiennes, tenues en dehors de la maison ou sur les parvis. C’est un couvercle de plomb qu’il nous faut soulever!
Mais un intérêt des jeunes semble s’éveiller pour cette histoire de la parole des femmes, de leurs analyses, de leurs attentes conciliaires, de leurs requêtes, de leurs créations liturgiques nouvelles. Tant de pages trop souvent éparses ou retenues cachées dans des archives sont à relier pour en faire reconnaître d’une part la valeur et, de l’autre, pour enfin soulever le couvercle qui les annihile, pour oser dire et publier de quoi est fait ce couvercle, qui le pose, le maintient et pourquoi ?
On ne peut pas citer ici tant de travaux précurseurs, recommandations, affirmations bien argumentées telles que celles qui formulèrent le vœu de voir accorder à la femme tous les droits et toutes les responsabilités du chrétien au sein de l’Église catholique… Le congrès demande en outre que des femmes compétentes fassent partie de toutes les Commissions Pontificales …( Troisième Congrès Mondial pour l’Apostolat des laïcs, 1967).
Ni, malheureusement, ces conclusion d’un colloque sur le Droit canon en 1969 : « l’Union Mondiale des organisations féminines catholiques (UMOFC) estime de son devoir de formuler les vœux suivants :
Que les droits fondamentaux de la personne humaine qui impliquent que la femme est sur un pied d’égalité avec l’homme dans l’accomplissement de sa vocation humaine, dans la vie familiale, civique, sociale et ecclésiale, soient insérés et appliqués dans la législation de l’Église….
Que soient supprimées toutes prescriptions ou mesures qui supposent ou indiquent une discrimination au détriment de la femme…
S’y ajoutent évidemment, tout à l’honneur des théologiennes et de l’Association des Femmes Catholiques du Canada, ainsi que de l’Assemblée des Evêques, les cinq propositions qui soulevèrent l’espérance (et un intérêt tout neuf des médias !) lorsque Mgr Flahiff les porta devant le synode -étonné !- des évêques du monde entier à Rome en 1971 :
« Que l’on déclare clairement et sans équivoque que les femmes sont des membres à part entières de l’Église, avec les mêmes droits, privilèges et responsabilités que les hommes.
Que le prochain Synode écarte toutes les barrières dressées contre les femmes.
Que les femmes qualifiées aient accès au ministère.
Que l’on encourage la présence et l’activité des femmes dans toutes les organisations de l’Église.
Que des mesures soient prises pour que l’attitude du clergé envers la sexualité et le mariage respecte la dignité de la femme. »
Je terminerai par la résolution d’une dizaine de théologiens au Congrès de la revue Concilium à Bruxelles, en 1970, pour répondre à la première manifestation du groupe Femmes et hommes dans l’Église ainsi qu’à l’initiative du théologien Jean-Marie Aubert :
« Il faut dénoncer la discrimination qui est pratiquée dans l’Église comme souvent dans la société. Il est temps d’envisager sérieusement la place des femmes dans les ministères ».
Ardente, compétente, créative et enfin publique la parole des femmes pour dire l’Évangile et faire Église avec les hommes, autrement.
Au terme de ce périple, j’ai encore des regrets… D’abord le couvercle dont je n’ai pas suffisamment pu parler parce que cette histoire à elle seule mérite et demande une étude ultérieure ( et il existe des couvercles de différents métaux, bois béni ou poids moral…) : il serait intéressant par exemple de connaître la note de minorité qu’ont écrite cinq des 15 femmes (sur 25 membres) de la Commission d’Étude sur la Femme dans la Société et dans l’Église, créée par le Pape en 1973 puisque, avec souffrance mais conscience, elles tenaient à se désolidariser de la note officielle qui allait être lue au Synode de 1974 par Mgr Bartoletti, président, entouré de 2 femmes muettes qui n’avaient pas droit à la parole…
Utile aussi de savoir pourquoi et comment ces 5 femmes ont obéi difficilement mais pieusement à la recommandation faite –par Qui ?- de n’en rien dire aux médias qui attendaient les conclusions sur place. Utile encore de connaître enfin le contenu de la lettre privée qu’elles ont alors adressée au pape pour dire leur désarroi, et qui n’a jamais reçu réponse….
Ont donc été étouffées jusqu’ici, et dans tous les pays sans doute, de nombreuses initiatives de femmes compétentes et consciencieuses, des analyses critiques qui n’ont pas pris une ride …Relevons aussi ces décisions arbitraires pour interrompre sans fournir de raisons des créations, même officielles, jugées dangereuses, comme ce fut le cas, par décision romaine unilatérale, du jeune Groupe de liaison féminine œcuménique WELG, créé conjointement après le Concile par le Dicastère romain pour l’Unité des Chrétiens et par le Conseil Œcuménique des Église.
Il est plus que temps qu’historiennes et historiens recherchent activement ces archives et les publient honnêtement pour retracer un des chapitres importants non seulement de l’histoire des femmes et de la pensée sur les sexes et le genre, mais tout simplement de l’histoire de l’Église.
Pour conclure enfin ces bâtons rompus avec mes amies de Femmes et Ministères, auxquelles nous devons tant, je fais un vœu : si nous pouvions ensemble, avant le prochain Concile -et peut-être avec d’autres groupes-, publier un recueil qui réunisse des témoignages de notre histoire collective : nos analyses et critiques, nos frustrations, souffrances, révoltes et convictions de conscience, participations à la pastorale sur le terrain, engagement civique et recherches éthiques, créations liturgiques, théologie féministe, bref nos affirmations croyantes de femmes chrétiennes. Ce serait là le cadeau de deux anniversaires fêtés ensemble avec une exigence et une espérance renouvelées, comme un relais proposé pour l’avenir.
Saint-Julien-du Sault, France
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