L’accès des femmes au sacerdoce ministériel, un débat toujours d’actualité

C’est avec un peu d’espoir et une certaine appréhension que j’ai accepté, en avril 1971, de participer, avec quelques autres invitées, à une consultation sur la situation des femmes dans l’Église. La rencontre se tenait à Ottawa dans le cadre de la Conférence des évêques catholiques du Canada [CECC]. J’avais été interpelée, dans les années 1950, par cette problématique alors que j’œuvrais comme permanente à la Jeunesse indépendante catholique féminine. J’avais pu observer, dès ce moment, certaines formes de discrimination à l’égard des femmes engagées en Église.

Cette constatation s’est accentuée au moment où je poursuivais, de 1959 à 1968, des études en vue de l’obtention d’un baccalauréat, puis d’une maîtrise et enfin d’un doctorat en sciences religieuses. Des interventions en vue d’une reconnaissance effective de l’action des femmes me sont alors apparues nécessaires. D’où ma participation à un groupe de réflexion sur cette problématique.

Des interventions préconciliaires

Après avoir parcouru la littérature pertinente sur la question, ce groupe a émis des hypothèses et formulé des recommandations pouvant être remises aux évêques canadiens qui participaient, à ce moment, aux travaux du concile Vatican II. Pour que le contenu en soit connu du public, le document a été, au préalable, diffusé, en quatre tranches, dans Le Devoir et a donné lieu à des prestations dans divers médias. Selon les informations officieuses sur le déroulement du Concile et ce que les documents conciliaires ont diffusé, il y a tout lieu de croire que les évêques canadiens ont tenu compte, dans leurs délibérations, des propositions qui leur avaient été remises.

En 1971, j’étais aussi membre du Groupe théologique de la Commission d’études sur les laïcs et l’Église (Commission Dumont) qui se préoccupait, d’une façon toute particulière, de l’apport des femmes au sein de cette institution. La perspective d’une Église communauté dans laquelle les ministères, dont celui du sacerdoce, peuvent être assumés, pour des périodes plus ou moins longues, en raison d’une délégation à cette fin, avait retenu notre attention. Il était évidemment entendu que cette délégation pouvait être confiée à une femme autant qu’à un homme.

La consultation de la CECC (1971)

La question des ministères féminins était donc bien présente dans les débats qui se tenaient, à ce moment, dans les milieux ecclésiaux et dans bon nombre de groupes de femmes. C’est d’ailleurs pour faire suite à un mémoire présenté, en mars 1970, par un groupe de femmes catholiques d’Edmonton que la Conférence des évêques catholiques du Canada avait invité une délégation féminine francophone et anglophone dans le cadre de sa session régulière de travail. Le mémoire demandait aux évêques canadiens de déclarer que les femmes sont membres à part entière de l’Église, au même titre que les hommes, de reconnaître, en conséquence, leur accès aux ministères diaconal et presbytéral et de réformer le Code de droit canonique pour corriger les discriminations fondées sur le sexe. Les auteures appuyaient leurs demandes sur les déclarations conciliaires, sur une requête de l’Union mondiale des organisations féminines catholiques [UMOFC] et sur les recommandations de laCommission royale d’enquête sur la situation de la femme au Canada (rapport Bird, 1970).

L’invitation de femmes canadiennes dans le cadre d’une session plénière de la Conférence des évêques catholiques du Canada semblait donc manifester une volonté des évêques tout au moins de dialoguer avec des femmes engagées en Église. Les personnes invitées ont dû cependant se rendre compte rapidement que l’ère d’une réflexion commune des pasteurs et des fidèles n’était pas encore arrivée. Les évêques tenaient leur réunion dans les locaux de la Conférence catholique canadienne. Les femmes francophones et anglophones étaient regroupées, selon leur langue, dans un bâtiment autre. C’était le secrétaire des évêques qui était chargé de transmettre, par étape, les recommandations formulées par chacun des groupes de femmes.

Dès la première journée, les femmes francophones ont exprimé leur vif désaccord à l’égard de cette procédure et demandé qu’il y ait tout au moins, une rencontre au cours de laquelle elles pourraient présenter leurs recommandations à des membres de la conférence épiscopale. Après de multiples démarches, dont une visite surprise de quelques-unes d’entre elles à l’hôtel où des évêques du Québec prenaient leurs repas, cette éventualité a enfin été acceptée.

Lors de cette rencontre avec quelques évêques, les femmes francophones ont pu alors faire part de discriminations dont elles étaient fréquemment les témoins ou les victimes. Elles ont questionné la législation qui les gardait exclues des fonctions liturgiques et des différents ministères ecclésiaux. Elles ont demandé que soient redéfinies, dans des perspectives nouvelles, des institutions comme le mariage, le célibat ecclésiastique, le sacerdoce ministériel.

Dans le mémoire qui a été préparé et remis aux évêques, suite à cette rencontre, les femmes francophones ont demandé explicitement que soit rendu possible pour les femmes l’accès à des ministères (incluant le diaconat et le sacerdoce) pouvant s’exprimer par des vocations personnelles et à partir de besoins des communautés diocésaines particulières.

Suivis à la consultation de 1971

Suite à cette rencontre, la Conférence des évêques catholiques du Canada a adopté une résolution qu’elle a présentée lors d’un synode tenu à Rome en 1971. Cette résolution réclamait la formation immédiate d’une commission mixte (formée d’évêques, de prêtres, de laïcs et de religieux des deux sexes) afin d’étudier en profondeur la question des ministères féminins dans l’Église. C’est le cardinal George B. Flahiff, alors président de la Conférence, qui a été le porteur de cette recommandation.

Des demandes semblables seront renouvelées, lors des synodes de 1980, 1983, 1985, 1987 par les évêques Robert Lebel, Louis-Albert Vachon, Bernard Hubert, Jean-Guy Hamelin. Une commission internationale a, de fait, été créée en 1972. Cette commission a présenté des recommandations en 1974 mais a pris fin en 1976 sans donner lieu à aucune décision concernant l’accès des femmes à des ministères ecclésiaux.

Un refus catégorique de la Curie romaine

À compter de ce moment, c’est d’ailleurs un refus catégorique qui est exprimé par la Curie romaine à tout ce qui touche la participation des femmes à des fonctions liturgiques et à des tâches reliées au service de l’autel. Le motu proprio Ministeria quaedam de Paul VI rappelle avec force, dès 1972, que les ministères du lectorat et de l’acolytat sont réservés aux hommes. Le document de la Congrégation pour la doctrine de la foi précise pour sa part, en 1976, que l’Église ne se considère pas autorisée à admettre les femmes à l’ordination sacerdotale. C’est enfin ce que confirme, la lettre Ordinatio sacerdotalis de Jean-Paul II, en 1994, en déclarant que l’ordination sacerdotale est exclusivement réservée aux hommes et que cette position doit être tenue par tous les fidèles. Pour appuyer ce refus, un document de la Congrégation de la doctrine de la foi, publié le 13 juillet 2010, qualifie toute tentative d’ordonner une femme de « délit grave contre la foi » et d’« atteinte à l’ordre sacré »

En dépit de ce refus catégorique de la hiérarchie romaine de reconnaître la possibilité pour des femmes d’accéder à diverses formes de ministère, c’est cependant de plus en plus à des femmes que l’on confie des responsabilités importantes dans l’Église. En beaucoup de lieux, elles sont souvent le seul soutien à la vie paroissiale. On compte toujours et plus que jamais sur leur apport cela dans la mesure où elles exercent ces tâches en tant que servantes dociles sous la responsabilité « sacerdotale » masculine.

Un apport des femmes possible seulement sous responsabilité sacerdotale masculine

C’est le constat que fait Joseph Moingt[1], en 2011, alors qu’il s’interroge sur les femmes et l’avenir de l’Église. C’est ce que j’ai pu observer moi-même dans le cadre de recherches poursuivies, en collaboration avec des groupes de femmes[2] au cours des années 1980 et 1990. Au Québec, plusieurs de ces groupes ont d’ailleurs contribué à conserver vivant le débat sur l’accès des femmes à des ministères dont elles ont toujours été officiellement exclues. Parmi ces groupes, on trouve L’autre Parole qui, depuis 1976, s’applique à reprendre l’ensemble du corps dogmatique et pratique de la foi chrétienne pour le réinterpréter à partir de l’expérience des femmes.

On trouve également l’Association des religieuses pour la promotion des femmes qui est devenue en 2010 l’Association des religieuses pour les droits des femmes. On trouve également, à compter des années 1980, le Réseau des répondantes diocésaines à la condition des femmes et leréseau Femmes et Ministères.

C’est, en quelque sorte, pour donner suite à leurs demandes qu’en juin 1982, la Conférence des évêques catholiques du Canada a mis sur pied un comité ad hoc chargé de faire des recommandations sur le rôle de la femme dans l’Église. Ce comité sous la présidence de madame Élisabeth Lacelle était composé de dix femmes provenant de diverses régions et de différents milieux. Deux évêques membres de l’équipe pastorale d’étude et d’action participaient aux travaux du comité qui avait pour mandat de faire des recommandations concernant la collaboration des femmes au développement de leur participation à la vie ecclésiale.

Les recommandations du comité Lacelle (1984)

Le comité a remis son rapport à la fin d’octobre 1984. Les recommandations acheminées à la Conférence des évêques catholiques du Canadaétaient plutôt modérées. En ce qui concerne l’accès des femmes à des ministères ecclésiaux, le rapport se limitait à proposer la formation d’un groupe d’étude ayant pour mandat d’établir un dossier sur cette problématique. C’est avec beaucoup d’hésitation et après avoir effectué de nombreuses corrections que la Conférence épiscopale a finalement adopté ce rapport. Il s’en est fallu de peu d’ailleurs pour que les recommandations formulées par le groupe de travail ne soient pas retenues par l’Assemblée des évêques.

Presque toutes les recommandations ont été modifiées par l’ajout ou le retrait de quelques mots. Ces ajouts et ces retraits sont d’ailleurs révélateurs d’une mentalité. On veut bien faire une place aux femmes au sein de l’institution ecclésiale mais dans la mesure où le contrôle de la hiérarchie est assurée. Les recommandations réclamant la constitution de groupes de femme, entre autres, ont toutes été remplacées par un encouragement à créer des comités ad hoc représentatifs; l’adoption du rapport rappelant, entre autres, qu’il revenait à la CECC et non à des groupes de femmes de poursuivre une réflexion théologique et pastorale sur leur situation dans l’Église.

Il apparaît donc qu’en dépit d’une affirmation répétée de vouloir contribuer à la promotion de la femme[3], l’Église ne continue pas moins à considérer celle-ci comme « l’Autre » dans des cadres préétablis par des hommes. C’est en effet dans une perspective masculine et par uneÉglise cléricale que l’on entend définir son statut et son rôle. L’expérience vécue par le comité ad hoc de la CECC témoigne éloquemment de la situation de dépendance dans laquelle on veut maintenir les femmes dans l’Église. Dans leur corps et à cause de leur corps, celles-ci demeurent, aujourd’hui comme hier, démunies de célébrations, de parole et de gestion, de même que de participation dans l’égalité.

Cet événement, comme beaucoup d’autres vécus antérieurement et encore au début de ce XXIe siècle, illustre éloquemment l’impasse d’un dialogue homme/femme dans l’institution ecclésiale. Que l’on pense à la réponse donnée par Jean-Paul II à sœur Theresa Kane, présidente d’un regroupement de religieuses américaines alors qu’elle rappelait que, dans les perspectives de ses propres appels au respect de toutes les personnes, l’Église se devait d’accorder aux femmes l’accès à tous les ministères. Le pape se contenta alors de rétorquer, sur un ton d’autorité, qu’elle et les cinq mille autres religieuses qui l’appuyaient devraient plutôt se re-conformer au modèle de la Vierge Marie en « son rôle librement consenti de mère et de servante de Dieu » et « vouer leur vie à une disponibilité totale à servir selon les besoins de l’Église ». Le même accueil froid et résistant a été, nous le savons réservé à soeur Odette Léger, une religieuse acadienne, lors de la visite de Jean-Paul II en terre canadienne en 1984.

On comprend, dès lors, que la question des ministères féminins ait, pour ainsi dire été évacuée de la pratique ecclésiale. N’est-ce pas ignorer que fondamentalement c’est l’ensemble des fidèles qui constitue le sacerdoce royal dont il est fait maintes fois mention dans l’Ancien et le Nouveau Testament. Et, pour prendre toute sa signification, ce sacerdoce universel requiert que chacun des membres de la communauté exerce ses droits et fonctions de prêtre, c’est-à-dire, entre en communion avec le Christ, offre le sacrifice spirituel, proclame les merveilles du Seigneur, coopère activement au pardon des péchés, manifeste et rende efficaces les œuvres de Yahvé. Les femmes, pas plus que les hommes, ne sauraient être exclues de ces fonctions qui appartiennent au Christ, et par la suite à toute la communauté croyante.

Ces fonctions peuvent être permanentes ou provisoires. Les limites n’en sont pas toujours précises. Ces ministères doivent être considérés comme des services et rien n’indique qu’on doive concevoir certaines formes de service comme appartenant de droit aux hommes et d’autres aux femmes. Par ministère, il faut en effet entendre, précise un document préparé en 1973 par le groupe parisien Hommes et femmes en Église, « une fonction reçue d’une communauté chrétienne et fruit d’un charisme appelant une compétence et revêtant une certaine stabilité »[4].

Un débat à poursuivre

Pareille vision des ministères, il faut malheureusement le constater, n’a pas encore donné lieu à l’adoption de mesures législatives en permettant une mise en œuvre institutionnelle. Elle a toutefois inspiré les travaux et les interventions de groupes tels Femmes et ministèresL’autre Parole, le Réseau des répondantes diocésaines à la condition des femmes, l’Association des religieuses pour les droits des femmes.

Une journée de réflexion tenue sous l’égide du Groupe des partenaires[5], le 11 mars 2011, à laquelle participaient des animatrices de pastorale en paroisse, a été l’occasion de prendre conscience que le débat sur les femmes ministères était plus que jamais d’actualité.


NOTES 

[1] Joseph Moingt, « Les femmes et l’avenir de l’Église », Études, no 4141, janvier 2011, p.70.

[2] Cf, entre autres, Les femmes et leur participation au pouvoir dans l’Église (1986-1988); Groupes de femmes et participation au pouvoir dans l’Église (1989-1991); Femmes, fonction théologique et emplois (1990-1992).

[3] Cf. entre autres, l’encyclique Pacem in Terris (Jean XXIII) qui place au deuxième rang la promotion de la femme parmi les signes du temps, immédiatement après la promotion du monde ouvrier.

[4] Document soumis aux Évêques de France et reproduit dans Effort diaconal, 30 / Dossier pour de nouvelles formes de ministères, mars 1973, p. 58.

[5] Groupe formé de représentants et représentantes des groupes suivants : la collective L’autre Parole, le Centre justice et foi, le Centre St-Pierreet le réseau Femmes et Ministères 

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