À l’époque où je fréquentais une autre paroisse, il y a deçà une quinzaine d’années, le curé avait l’habitude d’inviter les membres de la communauté chrétienne à porter un vêtement rouge pour célébrer la fête de la Pentecôte. Le dimanche venu, répondant complaisamment à l’appel, nombreuses étaient les femmes qui arboraient, qui une veste, qui un chemisier, qui un manteau, qui un foulard, tous bien empourprés en harmonie avec les langues de feu. Les hommes, quant à eux, se présentaient dans une tenue plus sobre. Cette invitation du pasteur, nous semble-t-il, avait pour objectif d’ouvrir les cœurs de ses ouailles à l’esprit de la fête, à discerner l’imperceptible derrière le perceptible et à saisir le sens profond de cette manifestation de l’Esprit dans la vie de l’Église naissante.La Pentecôte : un événement puissant dans l’histoire de l’Église.
À ce sujet, reportons-nous aux Actes des apôtres:
« Tous, unanimes, étaient assidus à la prière, avec quelques femmes, dont Marie la mère de Jésus, et avec les frères de Jésus » (Ac 1, 14).
Et plus loin :
« Quand le jour de la Pentecôte arriva, ils se trouvaient réunis tous ensemble. Tout à coup il y eut un bruit qui venait du ciel comme le souffle d’un violent coup de vent : la maison où ils se trouvaient en fut toute remplie; alors leur apparurent comme des langues de feu qui se partageaient et il s’en posa sur chacun d’eux. Ils furent tous remplis d’Esprit Saint et se mirent à parler d’autres langues, comme l’Esprit leur donnait de s’exprimer » (Ac 2, 1-5).
De toute évidence, personne n’est exclue dans cet événement. L’Esprit Saint a répandu ses dons à tous ceux et celles qui étaient réunis, sans distinction sexuelle.
Si le rédacteur des Actes a jugé bon de rapporter ici la présence de Marie la mère de Jésus et de quelques femmes dans une manifestation aussi importante, et cela en dépit de la discrimination sexuelle culturelle ambiante, c’est que cette dérogation à la religion yahviste faisait partie du mystère de Dieu.
Comme l’a écrit Suzanne Tunc (1998, p. 16) :
« La tendance des évangélistes, qui n’était pas d’accorder grande importance aux femmes, ne pouvait que les pousser à minimiser ce qui les concernait et certainement pas à inventer quoi que ce soit en leur faveur! »
Enflammée par le souffle de l’Esprit, toute l’assemblée exultait et proclamait à la face du monde sa foi en Jésus le Ressuscité. La peur avait disparu, les langues se déliaient, la parole se libérait. Même si le texte demeure silencieux quant à la participation des femmes à cette exaltation générale, il est facilement permis d’imaginer que « Marie la mère de Jésus et les quelques femmes » ont dû, elles aussi, se joindre à l’enthousiasme général des disciples et prendre la parole pour proclamer la gloire de Dieu « comme l’Esprit leur donnait de s’exprimer. »
La parole des femmes
Dans les Évangiles, la présence des femmes est notable, remarquable et impressionnante. Leur parole l’est tout autant. Non seulement ont-elles accompagné Jésus, mais elles se sont entretenues avec Lui, ont discuté avec Lui, l’ont accueilli dans leur demeure et soutenu de leurs biens.
Animées par l’Esprit elles aussi, et malgré la culture qui les excluait de la sphère publique, elles se sont exprimées avec une parole libre et une parole prophétique. Marie, une femme comme les autres, mais particulièrement bénie par Dieu, en est un bel exemple.
Parole libre
L’Esprit Saint, Marie, elle connaît.
Il l’a habitée bien avant le jour de la Pentecôte.
Lors de l’Annonciation, Marie dans la solitude de sa foi prononce le fiat qui va changer le cours de sa propre histoire et celui de l’histoire du monde. Ce oui, elle l’articule avec sa pleine liberté, sans recourir à aucune tutelle, ni maritale, ni paternelle, ni fraternelle, et cela en dépit de l’obligation pour les femmes juives de passer par la médiation des hommes pour aller à Dieu. Une parole certainement libre.
Une autre circonstance va se présenter au cours de laquelle Marie prendra la parole en ne craignant pas de passer outre à l’assujettissement des femmes décrété par la loi.
Lors du voyage annuel de la famille à Jérusalem, Jésus, ce Fils déjà dérangeant, se fait interpeller dans le Temple, non par son père suivant la règle, mais par sa mère qui, prenant la parole, lui reproche sa fugue. « Mon enfant, pourquoi as-tu agi de la sorte avec nous? Vois ton père et moi, nous te cherchions tout angoissés) » (Lc 2, 48).
Marie démontre, dans ce récit, la place qu’elle prend dans la communauté familiale. Aucune trace de subordination au chef de famille dans l’expression ton père et moi mais plutôt un « nous » collectif, un « nous » d’égalité. Encore une fois, une parole libre.
Rappelons-nous aussi les noces de Cana au cours de laquelle Marie prend la parole. Elle ne demande pas à son Fils de faire un miracle, mais plutôt de se mettre en route. Dans une démarche responsable elle décide librement de passer à l’action et donne des ordres aux serviteurs. Pour Jésus, était venue l’heure de manifester le règne de Dieu. Pour Marie, le moment était arrivé d’enfanter le Christ. Une parole certainement libre.
Parole prophétique
Il est vraiment impressionnant de constater la place importante qu’a prise la parole prophétique chez certaines femmes dans les Évangiles.
En effet, n’était-elle pas inspirée par l’Esprit Saint, Marthe la sœur de Lazare, quand elle prononce sa confession trinitaire de foi : « Moi, je crois que tu es le Christ, le Fils de Dieu, Celui qui vient dans le monde? » (Jn 11, 27). En ajoutant sa qualité de Messie, la profession de Marthe est même plus intense que celle de Pierre qui, lui, confessera simplement à Jésus: « Tu es le Christ, le Fils de Dieu vivant » (Mt 16, 16).
Il faut également tenter de se représenter ce que fut l’entretien théologique de Jésus avec la Samaritaine . À cette triplement exclue : femme, Samaritaine et de mauvaise vie, Il révèle son titre messianique qu’il semblait jusqu’à ce moment soigneusement caché, même aux douze. « La femme lui dit : “Je sais qu’un Messie doit venir – celui qu’on appelle Christ. Lorsqu’il viendra, il nous annoncera toutes choses.” Jésus lui dit : “Je le suis, moi qui te parle.” » (Jn 4, 25-26)
Notons en passant cette petite remarque légèrement impertinente de la part de la Samaritaine qui prend Jésus en flagrant délit d’incohérence : « Seigneur, tu n’as même pas un seau et le puits est profond; d’où la tiens-tu donc cette eau vive? » (Jn 4, 11)!
Aussi comment ne pas s’émerveiller à la lecture du récit si troublant de l’apparition de Jésus Ressuscité à Marie de Magdala? « Pour toi, va trouver mes frères et dis-leur » (Jn 20, 17). Ainsi Jésus l’investit d’une autorité qui n’avait pas été définie par les hommes.
Marie de Magdala vint donc annoncer aux disciples : « J’ai vu le Seigneur, et voilà ce qu’il m’a dit » (Jn 20, 18).
Jésus a choisi Marie de Magdala comme tiers révélateur pour témoigner de sa résurrection. Et a contrario de ce qu’écrit Paul (1 Co 15, 5), elle devient ainsi, elle une femme, la messagère initiale et officielle, auprès des apôtres, de la résurrection du Christ. Difficile à accepter pour des hommes infatués de leur supériorité sur les femmes.
Que sont devenues les langues de feu?
Les Évangiles nous ont rapporté l’accueil et l’écoute que Jésus a réservés à la parole des femmes qui l’ont accompagné ou rencontrées sur sa route. Mais, depuis le lendemain de son Ascension au ciel, malheureusement, cette parole nous ne l’entendons plus. Bien sûr, dans les écrits il est fait mention de la présence des femmes à la Pentecôte et dans les lettres de Paul mais ces femmes, étrangement, sont toutes silencieuses.
Cependant Paul n’hésite pas à les présenter comme ses collaboratrices dans le Seigneur, des personnes qui se dépensent pour les autres. Il emploie même des mots pleins de tendresse et d’affection à l’endroit de certaines d’entre elles.
Ce qui ne l’a pas empêché d’utiliser des paroles très sévères pour les femmes. Entre autres : « Que les femmes se taisent dans les assemblées » (1Co 14, 34).
Même s’il s’agissait de conseils pratiques applicables à un problème particulier dans une communauté déterminée, le patriarcat misogyne a fait une lecture littérale de cette directive disciplinaire et, de ce fait, n’a pas raté l’occasion d’en faire un absolu. C’est ainsi que le Code de droit canonique a muselé toutes les femmes par décret. Depuis deux millénaires, il a réussi à faire taire toutes les Marthe, les Samaritaines, les Marie de Magdala et de tant d’autres, cela au nom de Dieu, et même à leur proposer comme modèle à imiter le présumé silence de Marie.
A-t-on le droit, ainsi, de priver nos communautés chrétiennes du charisme du langage féminin, d’une parole renouvelée dans l’énoncé d’une théologie de proximité créatrice de sens, donc de vie?
À l’évidence, il ne sied pas encore aux clercs du Vatican que la parole de Dieu soit proclamée par des femmes dans les églises. Désolant!
L’attitude de Jésus envers les femmes révèle que leur exclusion, qu’elle soit culturelle ou religieuse, lorsqu’elle est décrétée au nom de Dieu, conduit inévitablement à une exclusion de Dieu.
Décidément nous sommes en deuil des langues de feu de la Pentecôte!
Édith Richard
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