En donnant suite à la demande de Pauline Jacob, je ne soupçonnais pas l’issue de cette réflexion proposée envers les femmes et leurs ministères au matin pascal. Coanimatrice des baptêmes dans ma paroisse, je suis témoin de grâces spéciales reçues lors des baptêmes des petits-enfants. Observant depuis quelques années comment ces moments particuliers vécus en Église, au sein de ma vie de famille, m’incitaient à y demeurer malgré les diverses possibilités offertes par d’autres Églises chrétiennes déjà engagées envers les ministères des femmes: prêtresses – évêques – chanoinesses. À point nommé, des dimensions nouvelles s’offraient à ma vie de foi. Il en est ainsi de la présente réflexion. Elle permet de saisir comment l’« expérience première » et les travaux des réformateurs du XIXe siècle conduit Vatican II vers les mouvements de réforme biblique et liturgique. Expérience spirituelle et/ou redécouverte archéologique! Ce qui signifie, chez mon maître à penser Hans Urs von Balthasar, qu’on ne saurait dissocier l’évidence subjective de l’évidence objective de l’expérience de foi: « l’Évangile, écrit-il, demande constamment une intelligence de ce que l’on croit. Elle ne peut être une pure contemplation désintéressée sans liaison avec la pratique chrétienne ». De ces lieux initiaux de transformation, deux femmes interpellent et soutiennent les réformateurs au XIXe siècle de l’ère chrétienne: sainte Marie-Madeleine et l’expérience première du fondateur de l’Institut biblique et archéologique de Jérusalem; sainte Cécile, fondatrice d’une église au IIe siècle au coeur du renouveau liturgique. Dès lors, il sera plausible d’affirmer que la femme dans la société et la vie de l’Église constitue l’une des questions fondamentales du concile Vatican II (G.S). De là découle le titre de mon article: ces chrétiennes anonymes qui transforment la pensée des réformateurs.
Sainte Marie-Madeleine et l’expérience première du fondateur de l’Institut biblique et archéologique de Jérusalem
Questionner les sources d’une oeuvre dévoile parfois des lieux insoupçonnés. Telle l’intention d’un auteur ou l’expérience première qui guide son action. Au coeur de la méthode historico-critique de la Bible, une source nouvelle jaillit. Cette source permet de comprendre les récits bibliques non plus uniquement à partir de l’oeuvre littéraire ou de la culture d’un peuple, mais aussi du motif imprégné au coeur des réformateurs. Pour ma part, constamment en quête de compréhension des fondements, je suis étonnée de découvrir comment les biographies deviennent lieu de révélation. J’apprécie ces moments de grâce où l’expérience première se dévoile et se justifie. À cet égard, la vie spirituelle du fondateur de l’Institut biblique et archéologique de Jérusalem ouvre des voies nouvelles. Or, afin de mieux comprendre l’expérience première du père Marie-Joseph Lagrange, il est intéressant de découvrir le lieu de culte et la spiritualité qui le convie vers le ministère de la prêtrise. En 2003, le père Dominique Rey, évêque de Fréjus-Toulon, décrit ce lieu non seulement comme lieu de prières, mais comme lieu de recherche, de compréhension du message de la sainte ci-nommée. « La basilique de la Madeleine à Saint-Maximin la Sainte Baume, dit-il, recueille la mémoire de Marie-Madeleine. L’aventure spirituelle de cette femme dont parlent les Évangiles est la raison d’être de ce prestigieux édifice gothique de Provence. L’Ordre dominicain, depuis le Moyen-Age, s’est chargé de promouvoir le culte de ‘l’Apôtre des apôtres’, témoin passionné de la com-passion du Christ ».
Dès lors, dans cet essai de compréhension de son message, il est fort intéressant de dévoiler l’oeuvre du fondateur de l’École biblique et archéologique de Jérusalem. Tel que le décrit la biographie et le récit vocationnel du père Marie-Joseph Lagrange, dominicain (1855-1938), celui-ci reçoit l’appel au ministère sacerdotal au jour consacré à sainte Marie-Madeleine: « le jour de la sainte Madeleine (22 juillet), dit-il, j’écrivais à un ami: il me vient des idées de religiosité ». Quelques jours plus tard, plus spécifiquement le 15 août suivant, il confiait à son confesseur, « je veux devenir prêtre ». Le 8 septembre, il était à saint Maximin la Sainte Baume. Toutefois craintif, il sera accompagné dans sa vie spirituelle par celle qu’il vénère en ce lieu, car dit-il, « entrer dans un Ordre dont les saints ont été si purs m’effrayait; sainte Marie-Madeleine m’encourageait doucement. » Par la suite, autorisé à suivre la grande retraite qui le conduira vers le ministère, il revint à Saint-Maximin: « Le 6 octobre, je prenais l’habit, dit-il. On me donna le nom de Marie-Joseph ». Appelé à choisir le lieu de sa mission, entre Rome et Jérusalem, celui-ci choisit Jérusalem. À cet égard, et cela par fidélité envers sainte Marie-Madeleine et en communion avec d’autres saints, il pose la première pierre de l’École biblique, accompagnée des médailles protectrices. En ce jour du 5 juin 1891, l’inscription composée par le père Lagrange inaugurait cette fondation de l’École biblique et archéologique de Jérusalem (1890), de la création de la Revue biblique (1892) et de la collection des Études bibliques (1900). Toutefois et cela est déplorable, décédé le 10 mars 1938, le père Lagrange ne verra pas la reconnaissance officielle de sa méthode exégétique tant de fois refusée (1905/1937). L’autorisation fut donnée le 30 septembre 1943 par le pape Pie XII (1939) dans l’encyclique Divino afflante Spiritu . « À lire ce document libérateur pour le travail exégétique, écrit l’orientaliste et exégète Guy Couturier, on se rend bien compte que les récits élaborés par le père Lagrange et son École reçoivent leur pleine approbation. » 20 ans, se seront écoulés lorsque le concile Vatican II présente la constitution dogmatique Dei Verbum, sur la Révélation divine.
Au XIXe siècle en d’autres lieux, la redécouverte du corps de sainte Cécile devient le lieu initial de la recherche historique et archéologique chez Dom Guéranger et Jean-Baptiste Rossi, archéologue.
Sainte Cécile fondatrice d’une église au IIe siècle, au coeur du renouveau liturgique
Une étude sur la réforme liturgique de Vatican II publiée en 1985 par la Nouvelle Revue Théologique énonce les travaux de Dom Prosper Guéranger (1805-1875), initiateur de la réforme bénédictine féminine et masculine. Tout en reconnaissant le travail du moine et de l’historien, il est essentiel d’évoquer la collaboration de l’archéologue J.-B. Rossi (1822-1894). « Le travail du Concile fut préparé par un renouveau liturgique à la base dont les premières manifestations à l’époque moderne remontent au XIXe siècle avec dom P. Guéranger, abbé de Solesmes. En Belgique au début de ce siècle, les bénédictins de Louvain donnaient le branle d’un mouvement liturgique de type pastoral (1945) ». C’est pourquoi, je crois nécessaire d’indiquer le lien essentiel entre l’archéologie et l’histoire, lieu-source de ces mouvements de renouveau. Cette collaboration unique entre dom Guéranger et Jean-Baptiste Rossi, démontre comment la rédécouverte du corps d’une femme dans les catacombes romaines transformait la modernité par une attention nouvelle envers l’engagement des femmes aux deux premiers siècles de l’Église romaine. Fussent-ils dans l’égalité entre les sexes ou dans les fondations d’églises! « En 1849, écrit l’historien, nous avions osé entreprendre de traiter l’épisode romain de sainte Cécile, que nos études sur les antiquités de la ville sainte nous avaient révélé déjà comme un point central » . À cet effet, « un guide était nécessaire dans cette marche si fructueuse, et la même Providence l’a fourni à notre temps en la personne de M. le commandeur J.-B. Rossi. » En ce lieu, l’archéologie romaine transforme nos certitudes. Dans cette quête de compréhension des tenants et des aboutissants qui ont conduit vers la réforme liturgique de Vatican II, peu évoque la collaboration entre ces deux experts. Constamment réécrite suite aux découvertes, Dom Guéranger stipule que la redécouverte de sainte Cécile devînt le point central de leurs travaux: Sainte Cécile et la société romaine aux deux premiers siècles, telle sera l’orientation de ces études qui indiquaient l’égalité des hommes et des femmes aux fondements des églises du IIe siècle romain. La découverte du cimetière (catacombe) de saint Callixte, de la crypte des papes et du tombeau de sainte Cécile donnait ainsi l’accès « aux sources » de l’Église chrétienne. Retrouvant son corps intact, on y discerne la brutalité et la violence de sa mort. Dans la catacombe, une copie de la sculpture en révèle les motifs. Située près de la crypte des papes, lieu de la première découverte en 822 par le pape Pascal, l’original sera placé sous l’autel dans l’église Sancta Cecilia du Trastevere. L’artiste Stefano Maderno sculpte la sainte dans la position retrouvée lors de la rénovation de l’église en 1599. Le sculpteur fait ressortir l’entaille faite par l’épée sur le cou de la sainte et la foi de Cécile dans l’unité et la trinité divine (manifestée par le geste des doigts de la main). Toutefois, si l’existence de la martyre ne fait aucun doute, on ne sait pas précisément sous quelle persécution elle fut mise à mort, étant donné que les archives de l’Église furent détruites sous Dioclétien.
Dès le Ve siècle, un concile romain authentifiait le don d’une église par une femme : « sainte Cécile, fondatrice d’une église au IIe siècle » (Mansi, 499). De nos jours, l’Église honore toujours cette femme. Le 2 février 1983, au jour de la fête de la Présentation-de-Jésus-au-Temple, l’archevêque de Milan recevait la pourpre cardinaliste par le pape Jean-Paul II. Près de 200 ans après la redécouverte du corps de sainte Cécile, le cardinal Carlo Maria Martini (1927-2012) recevait le titre de Cardinal-prêtre de S. Cecilia du Trastevere.
En cette semaine pascale, je n’énoncerai qu’un voeu. Que l’Action de sainte Marie-Madeleine et de sainte Cécile, soutenue par la recherche des réformateurs et la réforme liturgique de Vatican II favorise la reconnaissance pleine et entière des femmes au sein de tous les ministères ecclésiaux!
Margo Gravel-Provencher, Dorval
Le 12 avril 2014
NOTES
1- La Présentation-de-la-Vierge, Dorval, QC.
2- Hans Urs von Balthasar, la Gloire et la Croix, DDB, 1961, p. 509. 
3- Vatican II, L’Église dans le monde de ce temps (Schéma XIII), 07-12-1965. 
4- En 1994, je devenais ‘ministre extraordinaire du baptême de mon petit-fils,né le 22 juillet 1994. Tel que souligné précédemment, ces moments forts de ma vie familiale et spirituelle sont mon soutien et ma force dans les moments de difficultés. 
5- Lauzier, p. Ephrem, La basilique de la Madeleine. « à Saint-Maximin en Provence », éd: Mgr Jean-Pierre RAVOTTI, 2003. 
6- Bernard Montagnes, Marie-Joseph Lagrange, une biographie critique, Cerf, 2004, p. 84. 
7- Ibid, 46. 
8- Ibid, 48. 
9- Ibid, 84 
10- Ibid. 
11- cf. Guy Couturier, « En commençant par Moïse et les prophètes…», études vétérotestamentaires, Fides, 2008, p. 19-20. 
12- Ibid. 
13- Animatrice de pastorale au secondaire au diocèse de Valleyfield, je deviendrai « ministre de la Parole » lors du baptême de mon petit-fils, né en l’année centenaire du diocèse, au jour de la fête liturgique de sainte Cécile, protectrice du diocèse (22-11-1991).
14- ‘lui donner la première impulsion’ 
15- NRT, 1985 
16- Dom Guéranger, Sainte Cécile et la société romaine aux deux premiers siècles, 10e édition, Paris, Pierre Téqui,1833. 
17- Ibid, chap. VII. 
18- Ibid, cf. Antonio Baruffa, Les catacombes de Callixte, Éditions Vaticanes, 1994. 
19- On retrouve une copie de sculpture de la sainte, sous le maître-autel de la basilique-cathédrale du diocèse de Valleyfield. 
20- fr. wikipedia.org/wiki/Carlo_Maria_Martini, 26-02-2014.
- L’Oeuvre commune d’Adrienne von Speyr et de Hans Urs von Balthasarcomme interpellation des nouveaux ministères ecclésiaux - 19 février 2015
- Ces chrétiennes anonymes qui transforment la pensée des réformateurs - 11 avril 2014
- À l’école de Marie, la femme« eucharistique » – La transformation du rôle de Marie chez le pape Jean-Paul II - 15 mai 2010
C’est avec grand plaisir que je recevais ce mot. L’Association des amis du père Lagrange ont publié l’article : Sainte Marie Madeleine et l’expérience première du fondateur de l’Institut biblique et archéologique de Jérusalem afin de le partager avec leurs lecteurs.
Margo Gravel-Provencher, théologienne
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