C’est pour moi un honneur, un privilège et une grande joie que de vous accueillir et de vous souhaiter la bienvenue en cette soirée d’ouverture de Virage 2000 mis sur pied par le regroupement Femmes et Ministères.
Aux yeux des organisatrices de cet événement, les questions dont nous débattrons ensemble, durant ces trois jours, revêtent un indéniable caractère d’urgence. Le choix du titre : « Virage », est loin d’être anodin : car qui dit « virage » dit « changement de cap ». Ce n’est pas rien !
Considérons un moment la documentation qu’on nous a remise. On y voit que des chrétiennes, agentes de pastorales, théologiennes, femmes profondément engagées dans leur Église, en sont venues à identifier leur situation à celle de « captives » qu’il faudrait libérer et même – selon leurs propres termes – soustraire à la « violence ». On peut imaginer que ces chrétiennes ont bien pesé leurs mots : « captives », « violence » sont des substantifs lourds de sens et qu’on n’emploie pas à la légère. Devant pareil constat, le moment est donc depuis longtemps passé de leur parler de « patience » et de leur prêcher la « confiance en l’évolution ». Quand on parle de « captivité » et de « violence » dans l’Église, chacun en conviendra, c’est qu’il faut agir, et agir vite avant qu’il ne soit trop tard !
Les chrétiennes de ma génération ont sans doute pratiqué trop longtemps cette vertu de patience. Adolescentes, nous avons lu Simone de Beauvoir en même temps que toutes nos contemporaines. À la lecture du Deuxième sexe, nous avons facilement reconnu l’aliénation spécifique dont nous étions l’objet du seul fait de notre adhésion à l’institution religieuse catholique romaine. Dans la cité séculière – plus spécifiquement dans la province de Québec – on nous avait reconnu le droit de vote depuis 1940. Mais dans notre Église, nous demeurions sans voix et privées d’accès aux postes décisionnels réservés aux ministères ordonnés.
Lorsque, vingt ans plus tard, l’État québécois achevait de nous émanciper totalement en amendant le Code civil (par la loi 40) pour nous accorder la plénitude de nos droits de citoyennes, nous avons doublement ressenti cette sorte de schizophrénie mentale à laquelle nous vouait encore notre appartenance à la communauté des croyants. À nos yeux, il paraissait déjà évident, à l’orée des années ‘60, que la génération de nos filles, nées libres et égales dans la société civile, accepteraient très mal cette dichotomie qui avait été le lot de leurs mères.
Déjà, à cette époque, une Simone Monet-Chartrand et ses contemporaines disaient haut et fort qu’il fallait agir et agir vite! L’Église, qui avait perdu la classe ouvrière au X1Xe siècle risquait fort de perdre les femmes au XXe. La désaffection féminine massive qui devait suivre la publication d’Humanae vitae, en 1968, allait leur donner en partie raison.
Plus de trente ans après Humanae vitae, force nous est de constater que très peu de pas décisifs ont été franchis dans la voie de la démocratisation des prises de décisions et du partage réel du pouvoir avec les femmes. On a certes multiplié les instances consultatives à tous les niveaux et rendu une multitude d’hommages aux travailleuses d’Église! Mais, après les années prophétiques de Vatican II, l’Institution s’est à nouveau cramponnée aux anciennes façons de faire génératrices de marginalisation pour les femmes.
Or, les femmes engagées en Église assurent actuellement en grand nombre, dans nos communautés chrétiennes, la relève pastorale que les séminaires diocésains ne sont plus en mesure de fournir, suite au tarissement des vocations.
Dans un grand nombre de diocèses du Québec, – et cela doit se vérifier ailleurs – un nombre impressionnant – sinon la majorité – de communautés chrétiennes privées de responsable prêtre, sont animées et prises en charge par des femmes religieuses ou laïques. L’âge de ces femmes oscille autour de la cinquantaine. Mais nous savons tous que cette génération de femmes familières du bénévolat ne sera probablement pas remplacée, à moins qu’un virage considérable ne soit pris à l’égard de leur statut au sein de l’institution ecclésiale. L’avenir pastoral de nos communautés chrétiennes, nous le voyons, est étroitement, sinon indissociablement lié à une transformation profonde du rôle des femmes dans l’Église.
Les résistances systémiques auxquelles se heurte la volonté de changement des femmes sont fort anciennes. Très souvent elles échappent à la conscience même de décideurs formés dans un système de références de type monarchique. Aussi – ne nous y trompons pas – la cause des femmes dans l’Église est-elle liée à l’instauration de la démocratie dans nos pratiques ecclésiales. Notre cause n’évolue pas en vase clos. Elle chemine en parallèle, par exemple, avec la cause des théologiennes et théologiens dont les recherches sont actuellement restreintes, où la parole muselée par des procédures arbitraires et autocratiques que désavouerait sans doute le moindre tribunal civil d’une contrée démocratique.
Au tournant du millénaire – on le voit – l’Église-institution n’a pas encore liquidé le contentieux qui l’avait opposée – au cours des XVIII et XIXème siècle – à l’avènement des nouvelles républiques européennes. Cette Église, construite sur le modèle des monarchies qui lui étaient contemporaines, répugne encore à intégrer dans son fonctionnement les pratiques démocratiques qui sont pourtant entrées aujourd’hui dans les mœurs d’une écrasante majorité de ses fidèles. Cette Église est demeurée crispée sur le modèle pyramidal hérité de l’époque constantinienne. Et il n’est pas indifférent, pour les femmes, de se rappeler que ce modèle historique consacrait le principe de la suprématie héréditaire des mâles.
Or les femmes sont présentement à la recherche de l’égalité dans leur Église. Elles éprouvent le désir légitime d’être partenaires à part entière des décisions qui les concernent – non seulement comme femmes – mais aussi comme croyantes. Elles veulent pouvoir accéder un jour aux ministères qui leur permettent de ne plus scinder parole et sacrements dans leur pratique pastorale. Toutes ces requêtes des femmes tirent leur fondement de la lecture évangélique qu’elles font de l’agir du Christ à leur égard. Quant à la source de leur argumentaire, on la retrouve dans l’expérience des pratiques démocratiques et des valeurs républicaines que les femmes expérimentent depuis longtemps dans la société civile. « Liberté, égalité fraternité, est-ce là un idéal rassembleur auquel il faudrait ajouter des bémols du seul fait qu’on franchisse le seuil de l’Église du Christ? » Telle est la question à laquelle nous nous sentons renvoyés. Mais l’Église- institution a opposé jusqu’ici une fin de non-recevoir aux requêtes de plus en plus pressantes des femmes. Et ce faisant, elle se réfère, moins à une ecclésiologie privilégiée par le Christ, son fondateur, qu’à un modèle de gouvernement temporel révolu et de moins en moins compatible avec le respect des droits de la personne laquelle proscrit – on le sait – toutes formes de discrimination basée sur le sexe.
Certes, en les reconnaissant comme personne pour la première fois, l’Église des premiers siècles, s’était montré prophétique et libératrice à l’endroit des femmes assujetties à la loi juive, puis au droit romain. Selon le mot de saint Paul, elle les avait reconnues comme enfants de Dieu et, à ce titre, indistinctes et égales des hommes. Aujourd’hui cependant, cette même Église se retrouve, au contraire, à la remorque de la société civile quant à leur pleine reconnaissance comme partenaires d’inspiration et d’évangélisation. C’est bien ce que les organisatrices de cette rencontre ont voulu signifier, lorsqu’elles ont choisi d’inscrire la démarche de Virage 2000 dans le même sillon ouvert par le projet de la Marche mondiale des femmes pour l’élimination de la pauvreté et de la violence.
L’invitation lancée par le colloque à diverses personnalités impliquées dans cette démarche mondiale de conscientisation et d’action féministes indique assez clairement la voie privilégiée par les femmes en Église. Cette voie sera celle de la solidarité féminine à l’égard de tous les combats qui se livreront, cette année dans le monde, dans l’Église et hors de l’Église, contre toutes les formes physiques ou psychologiques de pauvreté et de violence. « La libération des captives » pour employer les mots de Femmes et Ministères adviendra grâce au phénomène des vases communicants qui relient désormais, en une même fraternité de destins, réalité ecclésiale et réalité citoyenne.
En retour, les femmes en Église puiseront dans cette expérience rassembleuse, une lucidité et une énergie nouvelles pour travailler à l’élimination de pratiques discriminatoires sources d’immenses souffrances pour leurs sœurs chrétiennes, et obstacle certain – pour les temps présents – à l’évangélisation des jeunes femmes du second millénaire.
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