Virage 2000 – Les fondements théologiques de la résistance dans l’Église

Quelques précisions

Avant d’aborder la lecture de ce texte, nous aimerions rappeler à la mémoire des « anciennes » et à la connaissance des « nouvelles » le contexte dans lequel il a été élaboré. Nous l’admettons sans problème, à la fois le contenu, le style et le ton demandent à être justifiés. Voici donc, très brièvement, quelques précisions :


1)   La conclusion du colloque Virage 2000 (mai dernier) a été marqué par la proposition, la discussion et le vote (indicatif) d’un plan d’action qui préparait la réalisation d’un geste public impliquant une certaine radicalité (l’idée d’une grève a alors été soulevée sans cependant faire l’unanimité ni l’objet d’une décision ferme). Certaines interventions ont alors souligné l’importance de réfléchir aux fondements chrétiens d’un tel type de « geste » dans l’Église.

2)   Ayant la responsabilité des suites du colloque, le comité Virage a repris le tout en recentrant les 7 problématiques étudiées à ce rassemblement (pauvreté, violence, pouvoir, droit, prise de parole, alliance, spiritualité) autour de 3 d’entre elles pouvant contenir les autres, c’est à dire la pauvreté, la violence et le pouvoir. Il existe bien sûr des fondements théologiques pour chacune de ces  problématiques mais le texte présenté ici se situe à un autre niveau.

3)   Le présent texte a pour objectif de soutenir la réflexion sur les fondements du geste de résistance lui même, de quelque teneur qu’il soit. Autrement dit, il tente de répondre à la question suivante: Existe t il des bases théologiques sur lesquelles des chrétiennes et des chrétiens puissent fonder un geste « politique » de contestation, de dénonciation, de revendication, bref de résistance, dans l’institution ecclésiale elle même ?

4)   Cette réflexion s’adresse d’abord et avant tout aux leaders du projet, en l’occurrence les membres du groupe Femmes et Ministères. Il pourrait aussi servir aux groupes alliés qui collaboreront avec nous. À moins que le Groupe le décide autrement, il n’a pas été conçu pour être largement distribué dans les diocèses, les paroisses ou les communautés religieuses. À cet effet, un outil  pédagogique de sensibilisation et de conscientisation pourrait en être tiré. Mais auparavant, l’essentiel est que le fond de la question soit débattu franchement, sans détour ni précaution excessive, entre les membres de notre Groupe.

5)   Ceci précisé, il importe grandement de reconnaître à chacune des membres la liberté qu’elle possède face à ce texte. Quelques personnes ont déjà fait connaître leurs questions, voire leur désaccord. Devant l’importance de ces premières réactions le comité Virage a décidé de soumettre le texte à l’ensemble du Groupe. 

On l’a dit à plusieurs reprises : “Nous avons été élevées à genoux” et quand on est une femme, on a été doublement élevé à genoux. Nous croyons cependant que Dieu nous a mis debout; mais être debout, cela peut causer des dégâts, non seulement autour de nous, mais en nous: il faut assumer son insécurité, il faut assumer les bouleversements que cela peut produire dans l’institution, dans les structures et dans les fonctionnements. [1]

 

Les fondements théologiques de la résistance dans l’Église

par Lise Barone et Yvonne Bergeron

La résistance est un acte de liberté. Il lui est constitutif de s’opposer à toute action qui contraint, soumet, affaiblit, opprime. Résister c’est refuser d’acquiescer servilement aux commandes d’autorités qui tels des  marionnettistes, compromettent la liberté humaine. Un jour ou l’autre, toute  institution peut abuser de son pouvoir; nulle n’est à l’abri, l’Église y compris. Au moment de poser un geste public de résistance, il importe de réfléchir aux fondements chrétiens de notre action sans pour autant préjuger de la forme ni de la nature qu’elle empruntera. Trois dimensions seront ici abordées : la résistance dans la Tradition judéo chrétienne, la résistance dans l’Église catholique et notre acte de résistance propre. Nous tentons de relever le défi d’une pensée à la fois abordable, succincte et fondée.

 

1.  À propos de la Tradition judéo chrétienne

Dans tous les cas où l’injustice est manifeste, durable et effectivement exercée, il existe un droit à la résistance d’où qu’elle provienne. Ce droit est reconnu théologiquement : le Dieu du christianisme a toujours refusé et refusera éternellement « la misère de son peuple » (Ex 3,7). L’aliénation de l’être humain lui est insupportable. Les quelques éléments présentés ici ont été retracés dans la bible et dans la grande tradition historique de la foi.

a)  L’Ancien Testament

Déjà dans l’Ancien Testament, on peut trouver une longue suite de récits qui racontent les aventures de ceux et celles que Dieu choisit pour guider son peuple vers la libération. Sans cesse, ils commenceront, re commenceront et re re commenceront les incontournables étapes qui conduisent à la liberté. Plus d’une « Égypte » se dresseront sur la route des patriarches, des sages et des prophètes. De Moïse à Jésus, en passant pas Ruth, Judith, Esther, Isaïe, Ezéchiel, Osée et Amos, la résistance sera réponse à l’appel du Dieu des Pères : « Rassemble les tiens (Ex 3,16)… va trouver Pharaon (3,10a)… fais sortir mon peuple (3,10b)… ». Mais les forces de ténèbre ont la vie dure : « Je sais bien que le Roi ne vous laissera pas partir (3,19)… son coeur s’endurcira (4,21)… Qu’on augmente le travail de ces gens (5,9)… Pharaon s’entêta (8,11)… ». L’Exode souligne les très nombreuses fois où Dieu recommande à Moïse de se poser en résistant devant l’autorité suprême : « Pharaon est têtu, va le trouver demain matin (7,14)… Lève toi de bon matin et dresse toi sur le passage de Pharaon (8,16)… Tu le prends de bien haut avec mon peuple en t’opposant à sa libération. Aussi demain à pareille heure je ferai s’abattre la grêle avec une violence inconnue jusqu’alors (9,17 18)… ». Pour être brisé, l’entêtement a parfois besoin de violentes secousses. Pour les juifs exilés et persécutés, la résistance était considérée et vécue comme une exigence de leur fidélité à l’Alliance. C’était une façon d’affirmer leur foi et de se laisser inspirer par elle dans leur marche vers la libération. Le combat des juifs résistants était à la fois spirituel et politique. Cela leur permettait de sortir du sentiment d’impuissance, d’introduire du neuf dans la situation et d’initier par là même des changements encore impossibles à préciser.

b)  Le Nouveau Testament

Dans le Nouveau Testament, Jésus prend la tête du mouvement libérateur. Plus que tout autre, il a exercé ce droit à la résistance confrontant même les autorités religieuses de la synagogue. L’homme de Nazareth a eu à réconcilier en lui même l’intuition fondatrice d’une communauté fidèle au Dieu des Pères et la nouvelle manifestation de Dieu telle qu’il la voyait se déployer autour de lui : « Les aveugles voient, les boiteux marchent, la Bonne Nouvelle est annoncée aux pauvres (Mt11,4 5 et Lc4,13 17)… ». Dénonçant la désintégration des conditions faites à son peuple, il défend la vie contre les maux qui la détruisent ou la menacent. Il impressionne par ses gestes et par la vigueur de sa critique sociale, économique, politique et religieuse. Il remet en question certaines idées reçues sur la compréhension de la loi, de la justice, du péché, sur le rôle social attribué à Dieu. S’opposant aux divisions créatrices d’injustice (prochain et non prochain, pur et impur, saint et pécheur, lieu sacré et lieu profane, temps sacré et temps profane…), il invite plutôt les personnes à se définir par rapport à l’amour, à la liberté, à l’égale dignité des enfants de Dieu. S’il refuse le messianisme politique, il fait face au politique et prend position à cet égard. Son projet, son message et sa pratique dérangent les règles du jeu par leurs répercussions sur le vécu individuel et collectif.

L’Homme de Nazareth manifeste également son désaccord avec l’idéologie de la religion officielle qui autorisait les leaders religieux à contrôler la vie du peuple et à bloquer eux mêmes l’entrée du Royaume (Mt 23,13). Très présents au sein du Sanhédrin, les sadducéens voient leur situation privilégiée mise en péril et leur scepticisme religieux attaqué par la prédication du prophète de Galilée. Quant aux pharisiens, sa critique d’une religion faite essentiellement d’observances extérieures les confronte radicalement (Mc,2,16,27; 3,4; 7,1 23 et Mt11,28). Il a dû apprendre à se situer à la fois en rupture et en continuité. En rupture avec la royauté politique et sa caste sacerdotale et en continuité avec l’orientation plus révolutionnaire de la prophétie. Fidèle à la tradition prophétique, Jésus réclame l’authenticité du culte et donc l’exigence d’une fraternité vraie et d’un engagement concret au service des autres, prioritairement des plus délaissés (Mt, 5,23 24; 25,31 45). Sa prise de position claire en faveur des pauvres est lourde de conséquence : « l’attitude que l’on prend à leur égard décide de la validité de tout comportement religieux; c’est pour eux, avant tout, qu’est venu le Fils de l’homme ». [2]

c)  Quelques faits historiques

À la suite du prophète galiléen, d’autres jusqu’à nous ont pris la relève. Beaucoup de ceux là et de celles là ont été finalement reconnus par l’Église. François d’Assise et Thérèse d’Avila, pour ne citer que ces exemples, se sont fortement opposés aux autorités religieuses de leur temps. Leur cause était juste car la motivation de leur résistance ne se fondait pas sur la réussite personnelle (bien que les deux aient vu leurs oeuvres s’accomplir), mais sur la certitude  profonde que l’Évangile et son incarnation dans l’histoire étaient en connivence spirituelle avec leurs revendications. Plus près de nous, Yves Congar et Marie Dominique Chenu ont résisté aux positions anti modernistes de l’Église jusqu’à voir leur enseignement condamnée par elle. Ils furent finalement réhabilités à l’occasion du concile Vatican II dont ils ont été des inspirateurs importants. Dernièrement encore l’évêque Jacques Gaillot, les théologiens Küng, Drewerman, Boff et les religieuses Evone Gebara et Teresa Kane ne représentent que la fine pointe du mouvement de résistance qui grenouille présentement dans l’institution ecclésiale. Aucune de ces personnes ne rejette l’Évangile ou les fondements de la Tradition chrétienne; bien au contraire, seul un attachement vital à la foi et à l’Église les incite à résister malgré la souffrance et la honte de l’exclusion.

Cette même interpellation nous aurait elle rejointes ? Et pourquoi nous, femmes  des terrains pastoraux ?… Mais pourquoi pas nous ? Ne désirons nous pas entrer dans ce mouvement de libération, à la suite du Nazaréen qui, incapable d’accepter tranquillement la détresse, la pauvreté et l’injustice, fut assassiné pour y avoir résisté de toutes ses forces ? [3] Ce prophète de Galilée, devenu Christ toujours vivant, ne résiste t il pas encore en  nous, avec nous et par nous ? Parce qu’il habite notre présent et notre histoire, il est et sera toujours le critère décisif de tout projet de changement dans l’Église, que celui ci émerge des plus hautes sphères de l’institution ou d’un mouvement  ecclésial comme le nôtre. Aucun acte de résistance aussi justifié soit il ne sera au dessus de cette vérité théologique fondamentale. L’espérance nourrit notre résistance. Une espérance têtue qui nous pousse à explorer de nouveaux chemins pouvant prendre la forme de comportements, de pratiques, de politiques et de structures au service de la vie. Notre foi en l’être humain et en Dieu y est en cause de façon inséparable : « Croire, espérer et résister, cela fait un ».[4]

2. À propos de l’Église

Toute institution a sa personnalité propre mais l’Église possède une singularité qui rend toute tentative de changement fort complexe. À la fois mystère (dynamisme de communion) et réalité institutionnelle, elle est appelée à composer avec de multiples forces plus ou moins ambiguës, dont celles du  pouvoir et de l’argent qui ne sont pas les moindres. C’est le prix exigé par son inculturation à chaque époque de l’histoire. Mais la frontière entre ces deux ordres de réalité étant ténue, il est difficile de ne pas tomber dans la perversion.

a)   Où en sommes nous présentement ?

Or, inutile de l’occulter, en Amérique du Nord comme dans tout l’Europe de l’Ouest, l’organisation ecclésiale connaît présentement une perte vertigineuse de crédibilité. L’Église est en procès. Comme le dit Paul Valadier « quelque chose quelque part est survenue qui n’aurait pas dû avoir lieu. Une déchirure quelque part s’est produite qu’il s’agit de réparer ».[5] La blessure est profonde, elle atteint tout le monde. Le Québec particulièrement, et au Québec, les femmes surtout, sans oublier celles des minorités françaises du Canada qui vivent sensiblement la même réalité. La situation étant sérieuse, nous ne pouvons plus en rester aux réformes organisationnelles d’ajustement ou de réorientation, il nous faut opérer une conversion radicale, une transformation sans complaisance de la culture, du droit, des structures, des statuts et des normes qui régissent la quotidienneté ecclésiale de nos pratiques.

N’ayons pas peur des mots : il s’agit bien de révolution.[6] Elle ne sera pas facile. Elle sera même dangereuse. Certains évêques, théologiens et théologiennes ont déjà payé le prix. Et l’acte de résistance qui sera le nôtre, quel qu’il soit, ne prétend aucunement renverser, à lui seul, la situation ? Mais voir globalement ne dispense pas, bien au contraire, de réaliser avec courage une action locale. Il s’agit donc humblement, sans fausse prétention mais sans dépréciation non plus, d’apporter une contribution réfléchie au changement espéré.

b)   Avons nous le choix ?

Par ailleurs, avons nous le choix de ne rien faire ? Pour répondre à cette question, il faut nous rappeler que, s’il existe un droit à la résistance dans l’Église chrétienne, il existe aussi un devoir de résistance. À partir du moment où nous jugeons, en notre âme et conscience, que la Mission de l’Église est compromise, ne rien faire en contre partie c’est travailler à la détérioration de la situation. Comme le dit un canoniste allemand réputé : « Quiconque minimise l’importance des problèmes structuraux doit se voir demander s’il n’est pas éventuellement un profiteur du statu quo ».[7] Au nom du christianisme, le devoir de résistance conduit au refus de l’immobilisme mortifère, à la protestation face aux inégalités, à la colère devant les injustices. Bref, il canalise la révolte en ressaisissant le droit de résister devant ce qui apparaît intolérable. Oui, il existe un devoir chrétien de révolution, car toutes les filles et les fils de Dieu ont été crées libres et appelés à la liberté (Galates 5,13). Réclamer ou faire advenir la liberté, l’égalité et la justice c’est faire oeuvre d’Évangile. Et la crédibilité de celui ci ne dépend elle pas aussi de la façon dont l’institution ecclésiale exerce le pouvoir et respecte ou non les droits des personnes ?

c)   À quelles conditions ?

Mais comment savoir que l’on vit une situation telle, que ce droit et ce devoir de résistance deviennent indispensables à la cohérence chrétienne ? Inspirées par Jürgen Moltmann[8] nous posons trois conditions; la situation considérée injuste compromet de façon durable :

1) des principes évangéliques de base (la liberté, l’amour, la justice, la dignité, le respect…).

2) le mystère communionnel de l’Église (le service de la Mission, la préséance de la communauté, la liberté de l’Esprit, le sens des fidèles, la reconnaissance des charismes…).

3) les droits humains tels que libellés dans les sociétés démocratiques modernes (les droits de parole, de participation, de vote, de revendication, de défense…)

On objectera peut être que l’Église n’est pas une institution comme les autres  et que le développement des sociétés humaines n’a rien à voir avec la constitution de son Mystère de foi. Certes les concepts ecclésiologiques de Communion et de Mission ne sont pas les produits d’une théorie sociale; loin de nous d’affirmer une telle chose. Pourtant rien ne défend que ces réalités s’appuient sur les principes d’équité, de partenariat, d’élection[9] et de responsabilité collective qui régissent les sociétés démocratiques contemporaines. D’ailleurs, la Tradition chrétienne ne parle t elle pas du sens des fidèles, de la subsidiarité, de la synodalité et de la réception ? Fondée théologiquement, chacune de ces réalités pourrait servir de base à une rencontre fructueuse entre la Démocratie et l’Église[10] . Nul besoin de fusionner; il s’agit de s’enrichir mutuellement.

3. À propos de notre action elle même

Si nous posons collectivement et publiquement un acte radical de résistance politique face aux autorités religieuses de l’Église catholique, ce sera inévitablement reçu comme une action de rébellion ecclésiale. Même s’il est à prévoir qu’en certains lieux on cherchera à en minimiser sinon à en ridiculiser l’impact, on ne pourra nier qu’il y aura là une démonstration de force de la part de celles qui assurent fidèlement la majorité des services offerts présentement par l’organisation ecclésiale.

Or, un jour ou l’autre, l’exercice de la force exige une explication. Quelle que soit l’action posée, Il est impérieux pour nous de réfléchir à cette question. En effet, entrer dans un rapport de force c’est avoir l’intention de recourir soi même à une « certaine » force; il serait inutile et quelque peu étonnant de ne pas l’admettre. Mais il faut aussi savoir que refuser le risque incontournable d’un acte de résistance, c’est accepter que d’autres forces mènent le jeu et annulent tous nos efforts de renouvellement. Car il importe de le reconnaître, ce que nous réclamons implique une radicale redistribution du pouvoir dans l’Église. En termes théologiques, cela se traduit par une demande de reconnaissance officielle qu’il existe des femmes possédant les charismes nécessaires au ministère du gouvernement de l’Église et dans l’Église et que celle ci, pour mener à bien sa Mission, devra remettre en question sa position de réserver certains ministères à des hommes uniquement.

Cette manifestation de force refusera catégoriquement tout recours à une certaine forme de violence. Cependant, établir une résistance concertée et manifester clairement notre indignation aux représentants officiels d’un système qui nous exclut, et par là même nous fait violence, pourra nous situer dans une action de contre violence. N’ayons pas peur des mots mais ne sortons jamais de l’option évangélique. Thomas d’Aquin n’affirme t il pas que « la tyrannie (le mot n’est pas faible) est tantôt autorité dégénérée, tantôt usurpée; l’une et l’autre sont contraires aux valeurs de paix, de justice et d’ordre »[11] . Si nous posons un acte radical de dénonciation publique qui, bien que fondé théologiquement, relève également du niveau politique, nous devrons en  porter la responsabilité et faire en sorte que jamais le but ultime ne soit perdu de vue. Ni pour chacune de nous, ni pour nos communautés, ni pour notre groupe, ni pour les autorités que nous défierons, il ne faudra oublier cette vérité essentielle : Réclamer une part égale du ministère de gouvernement dans l’Église, c’est désirer oeuvrer de plein droit, sans restrictions injustifiées et injustifiables, sans blocage juridique désuet, sans condescendance paternelle, à l’avancement du Royaume de justice dans le Monde, dans notre société et dans l’Église.

Et s’il nous faut, pour un moment « révélateur », démontrer toutes ensemble notre solidarité, notre résistance, notre intention collective de changer la situation, le reste du temps, la grande majorité d’entre nous travaillera au service de la Mission à travers les activités pastorales quotidiennes. Seule une petite minorité, choisie par l’ensemble, se consacrera au suivi « politique » nécessaire à tout projet de transformation structurelle. Il s’avère impératif qu’il en soit ainsi pour ne pas aliéner nos convictions et nos discours. Toujours la Mission sera première.

Concluons en re situant ce geste de résistance (quel qu’il soit) dans une connivence avec toutes les luttes sociales de femmes que nous avons rencontrées depuis le début de notre action : femmes syndiquées, artistes, politiciennes, femmes des groupes communautaires, du monde des affaires…).

Le combat est le même parce qu’il implique une lutte contre toutes les formes d’injustice et d’inégalité, d’où qu’elles proviennent.

Étroitement associées au mouvement de libération sociale, les femmes engagées dans l’Église pourraient bien se charger de lui renouveler la mémoire et lui rappeler qu’elle a été elle même composée en ses débuts d’une horde d’exclus, de hors la loi, de pauvres et de marginaux de toutes sortes. Seule une survivance active de la mémoire chrétienne contrera les politiques d’enroulement qui existent présentement. Comme le disait une femme assistée sociale : “Dieu, c’est quand il y a quelque chose de juste qui arrive”.[12]

Mars 2001


NOTES

[1] Alice GOMBAULT,  Autorité et résistances dans les Églises. Témoignages Réflexions Questions ouvertes, Actes du 4e colloque, Droits et libertés dans les Églises et Femmes et hommes en Église, Paris, 1997, p. 133.

[2] Gustavo GUTIÉRREZ, Théologie de la libération, Paris, Lumen Vitae, 1974, p. 234.

[3]   Martin Hengel voit dans le procès et la mort de Jésus l’aboutissement de malentendus politiques. On peut parler de malentendus si on se réfère aux motifs immédiats et apparents qui ont inspiré la conspiration des pouvoirs en place. Mais le malentendu s’estompe si on se rapporte à une perception instinctive, en profondeur, faite par le « démon du pouvoir ». Celui ci avait bien raison de craindre la venue du « Royaume de Dieu ». Car entre le règne de Jésus et un certain « ordre établi » l’opposition est irréductible. Affirmer cela ce n’est pas nier qu’il y ait aussi des motifs religieux au procès de Jésus. En effet, pour condamner Jésus le Sanhédrin a des raisons à la fois d’ordre religieux (prétention à être le fils de Dieu) et d’ordre politique (remise en question du privilège et du pouvoir du Sanhédrin…). Voir sur cette question Jean BOTÉRO, Marc Alain OUAKNIN et Joseph MOINGT, La plus belle histoire de Dieu. Qui est le Dieu de la Bible ?, Paris, Seuil, 1997, spécialement p. 123 127.

[4] Guy  CÔTÉ,  Résister, le combat d’une espérance têtue, Montréal, Éditions Paulines et Centre de Pastorale en milieu ouvrier, 1993, p. 68.

[5] Paul VALADIER, L’Église en procès. Catholicisme et société moderne, Paris, Calmann Lévy, 1987, p. 8.

[6] Le mot « révolution » est trop souvent relié à  la violence sanglante, à  la guerre ou aux prises d’armes. Que l’on pense plutôt  à la Révolution Tranquille des années 60 au Québec. Aucune violence et pourtant après rien ne fut semblable à ce qui existait avant. Une transformation radicale sur le plan des institutions, des rapports de pouvoir, des statuts, des valeurs, des mentalités et des habitudes s’est opérée. Faire la révolution, c’est arriver à réaliser un changement profond et irréversible.

[7] Werner BÖCKENFÖRDE, « Quand le droit de l’Église bat en brèche la synodalité voulue par Vatican II » dans Synodalité et Démocratie, les réseaux des PARVIS, chrétiens en liberté pour d’autres visages d’Église, hors série no 2, Paris, édit. la fédération “ Réseaux du parvis” et Temps Présent, p. 24.

[8] Jürgen MOLTMANN, L’espérance en action. Traduction historique et politique de l’Évangile, Paris, Seuil, 1973, p. 76.

[9] Savons nous que jusqu’en 1829, le choix des évêques se faisait généralement par la communauté ecclésiale de base ?

[10] À ce sujet, on peut consulter dans Lise BARONI, Yvonne BERGERON, Pierrette DAVIAU, Micheline LAGUË, Voix de femmes. Voies de passage. Pratiques pastorales et enjeux ecclésiaux, Montréal, Paulines, 1995, les chapitres 5 et 6 particulièrement. Voir aussi Une déclaration européenne des droits et libertés dans l’Église catholique, texte de la  Déclaration et Table ronde, Paris, Édit. Droits et libertés dans les Églises, 1995, surtout p. 39 44.

[11] Cité par Jürgen Moltmann dans L’espérance en action, p. 74.

[12] Lise BARONI et Yvonne BERGERON, « Le mouvement des femmes : pour une politique “autre” », dans Michel BEAUDIN, Guy PAIEMENT, Florent VILLENEUVE, À nous le politique : donner des mains à l’espérance, Actes des IVe Journées sociales du Québec (tenues à Hull, 7 9 mai 1999), Montréal, Fidès, 2001.

Lise Baroni

A propos Lise Baroni

Théologienne spécialisée en théologie pratique et en travail social et cofondatrice du réseau Femmes et Ministères, Lise Baroni a été successivement directrice d’un centre de jour pour familles défavorisées, d’une école de formation au diocèse de St-Jérôme et professeure à la Faculté de théologie et de sciences des religions de l’Université de Montréal. Elle est coauteure de « Voix de femmes, voies de passage » et de « L’utopie de la solidarité au Québec ».
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