Une recension du roman de Rita Amabili-Rivet, Marguerite, prophète, Montréal, Carte blanche, 2014, 274 p.
par Gisèle Turcot
Rita Amabili-Rivet avait donné, chez Novalis en 2007, la mesure de ses connaissances biblico-historiques en publiant Saffia, femme de Smyrne, histoire d’une convertie au christianisme. Avec Marguerite, prophète, publié aux éditions Carte blanche en 2014, elle fait le saut dans l’univers séculier contemporain très moderne et québécois.
Marguerite, octogénaire réaliste et audacieuse, est au centre de la dizaine de personnages de ce roman qui se déroule dans un immeuble à logements situé à Montréal, près du grand parc et de la station de métro Angrignon. Le soir, avant de fermer l’œil, elle passe en revue ce qu’elle a compris des luttes et impasses de Julie, mère du petit Pascal, ou du couple Christiane et Jean-Sébastien, elle, designer de mode et lui, l’enseignant atteint d’un cancer; elle s’interroge sur l’avenir de Dyela venue se réfugier chez elle pour terminer une grossesse afin d’être moins seule, et sur les allées et venues d’un nouveau couple en formation.
L’auteure a touché au théâtre et cela se voit dans la structure du roman en trois parties. Le rideau se lève doucement sur l’histoire de chacun, comme on fait connaissance avec ses voisins de palier; l’action prend son envol au fur et à mesure que les individus dévoilent leurs besoins et leurs questions viscérales; puis le lecteur assiste à un dénouement à saveur dramatique dans la troisième partie. L’héroïne Marguerite s’en explique : « J’ai bien étudié mon entourage. Non pas pour juger mais plutôt pour me permettre d’accompagner ceux qui cherchent plus que la vacuité d’une existence consommatrice (p. 28). »
La dynamique des personnages se révèle au fur et à mesure qu’ils affrontent les défis ou problèmes de la vie courante. Les fils se dénouent quand de vraies relations commencent à se tisser autour de la table, chez Marguerite. D’une conversation à l’autre, ils apprennent à « dire » une parole plus authentique. Ils acceptent timidement la proposition que l’hôtesse ose leur présenter : lire ensemble le récit de la rencontre de Jésus avec la Samaritaine (Jean 4, 4-42) – récit qui ouvre la première partie du livre. Petit à petit, chacun est confronté à l’image de soi et à une démarche de vérité. Recommencer à parler de la foi devient un sujet de tension chez le couple Alexandre et Julie. Jean-Sébastien revient partager seul à seul ses interrogations sur le croire.
Un soir, pour faire face aux doutes et aux angoisses de chacun, le groupe se familiarise avec le récit du père prodigue (Luc 15, 11-32) qui ouvre la seconde partie du roman. Errances et cheminements décrits dans le chapitre intitulé « Tandis que je suis en route » mettent en lumière le ressort de ce roman : la compassion aux couleurs de Marguerite – et de l’auteure – qui nous fait cette confidence : « Certains soirs, j’imagine presque la chaîne humaine que nous formons. Elle s’allonge, dépassant les guerres fratricides… L’unique voie pour aller au-delà de toute animosité est celle de la compassion. Avoir un réel souci de l’autre… qui à son tour, cherchera à semer l’entraide… » (p. 130) Le marocain musulman Zakaria, qui a demandé de prier avec le groupe, sera un personnage emblématique de l’ouverture et de la compassion.
La troisième partie est pleine de rebondissements éclairés par la rencontre inattendue des disciples d’Emmaüs (Luc 24, 13-35). Pour mieux traverser l’épreuve de la maladie de son conjoint, la designer de mode organise un défilé au profit d’une œuvre charitable. Magali, l’infirmière, vit le retour inattendu de Josip, un frère adoptif dont elle devient amoureuse et qu’elle ira retrouver à Sarajevo, même après avoir appris qu’il a été victime d’une mine antipersonnel dès son arrivée. Marguerite elle-même décide d’affronter « Lui », mystérieux personnage anonyme, un homme tourmenté par d’étranges pulsions après avoir été le prêtre rigide et autoritaire qui représente « la religion » à laquelle elle a tourné le dos. Puis le retour de son petit-fils, après des années de drogue pour guérir d’une enfance malheureuse, vient mettre une fleur sur la table de cette Marguerite, aux allures féministes et progressistes.
Un peu déroutant à première vue, ce roman de la solidarité au quotidien permet d’entrer dans les ressorts profonds de la libération des prisons intérieures qui empêchent la vie d’éclater. Rita Amabili-Rivet est théologienne et ne s’en cache pas; elle nous donne accès à toutes les sources qui nourrissent sa pensée, depuis Leonardo Boff et Tariq Ramadan, en passant par Elisabeth Schussler-Fiorenza, André Myre et Anne Soupa. Elle croit au pouvoir de guérison par l’écoute compatissante assortie d’une proposition judicieuse du message évangélique.
En parcourant ce roman, on se prend à souhaiter qu’il soit lu par un large public, entre autres par des gens qui exercent une fonction pastorale, ou par des créateurs qui y trouveraient les éléments d’une mise en scène. Le style alerte intègre les personnages dans le décor rythmé des saisons. La sensibilité de l’auteure, son immense capacité d’empathie que trahissent les réflexions de Marguerite, nous rendent solidaires de ce voisinage si semblable à ceux des condos et des appartements urbains. En refermant le livre, on est prêt à entrer dans le mouvement de générosité sans naïveté qui fait dire : partagez, au suivant!
Montréal, le 3 mars 2015
Blogue de l’auteure : http://www.ritaamabili.com/
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Ce roman me fait drôlement penser au remarquable volume d’André Myre dont le titre est LUI et de cet autre du même auteur VOIR DIEU DE DOS.
Merci pour la fine recension!