et reproduit avec les permission requises.
Qui es-tu, Marie-Madeleine? Que savons-nous vraiment de cette femme mentionnée quelques fois dans les évangiles? La culture populaire l’a transformée tantôt en amante de Jésus, en femme aux mœurs légères ou en figure mystique qui a contribué à répandre la foi chrétienne. Qu’en est-il vraiment? Ce texte nous amène sur quelques pistes pour clarifier les faits (lorsque possible) et redécouvrir Marie-Madeleine pour notre spiritualité actuelle.
Dans le Nouveau Testament
Les quatre évangiles mentionnent Marie-Madeleine. Ceux de Matthieu, Marc et Jean indiquent que Marie-Madeleine était présente à la crucifixion de Jésus. Matthieu, Marc et Luc situent Marie-Madeleine et une autre Marie (mère de disciples, soit Jacques, José ou Joseph, selon l’évangéliste) au sépulcre, le troisième jour. Elles étaient venues embaumer le corps de Jésus selon le rituel juif.
Chez Matthieu (28, 1-11), Jésus ressuscité apparaît aux femmes tandis qu’elles courent annoncer le tombeau vide aux disciples. Chez Marc (16, 1-11), les femmes sont avisées par « le jeune homme vêtu de blanc » au tombeau que Jésus est ressuscité. Cependant, c’est seulement à Marie-Madeleine que Jésus apparaît et c’est alors qu’elle part l’annoncer aux disciples, qui ne la croient pas. Chez Luc (24, 1-11), les femmes sont avisées de la résurrection par deux hommes en habits éblouissants, puis elles partent l’annoncer aux apôtres, qui ne les croient pas. Toutefois, Jésus ressuscité se manifeste seulement aux disciples sur la route d’Emmaüs.
L’évangile de Jean (20, 1-18) est l’unique qui raconte que Marie-Madeleine alla seule au tombeau porter les aromates. Jésus ressuscité lui apparait et l’envoie annoncer aux disciples qu’il monte vers son Père.
Marie-Madeleine, appelée aussi Marie de Magdala, est donc sans aucun doute témoin de la résurrection, première au tombeau, première messagère de cette Bonne Nouvelle aux apôtres. C’est pour cela que dans la tradition chrétienne, elle est surnommée « Apôtre des Apôtres », selon Hippolyte de Rome (4e siècle). En 2016, le pape François a élevé Marie-Madeleine au rang des apôtres par un décret de la Congrégation pour le culte divin et les sacrements, faisant du 22 juillet non juste une « mémoire obligatoire », mais une fête liturgique1.
Enfin, c’est frappant : les Actes des apôtres et les lettres de saint Paul ne mentionnent jamais Marie-Madeleine. Aurait-elle été écartée (et volontairement?) de la mémoire de l’Église primitive?
Confusion, culture et amalgames
Pourquoi y a-t-il de la confusion autour de Marie-Madeleine, appelée aussi Marie de Magdala ou la Magdaléenne? Cela dérive de mentions dans les évangiles d’une femme qui verse du parfum sur les pieds de Jésus, selon des récits variables. Matthieu et Marc (Mt 26, 6-13 et Mc 14, 3-9) racontent une femme anonyme qui entre chez Simon le lépreux et verse un flacon d’albâtre sur la tête de Jésus. Les disciples s’indignent de ce gaspillage, mais Jésus relie son geste à son futur ensevelissement. La femme de ce récit n’est pas qualifiée de pécheresse.
Chez Luc (7, 37-50), la femme est qualifiée de pécheresse et Jésus se trouve chez un pharisien. La femme anonyme pleure aux pieds de Jésus et verse dessus le parfum de son flacon. Jésus lui pardonne ses péchés et dit : « Ta foi t’a sauvée. Va en paix! ».
Luc mentionne aussi « Marie, appelée Madeleine de laquelle étaient sortis sept démons » (8, 2). Luc cite aussi une Marie, et sa sœur Marthe, qui reçurent Jésus chez elles. Cependant, dans l’évangile de Jean (12, 1-8), Marthe, Marie et leur frère Lazare reçoivent Jésus chez eux, et c’est Marie qui verse un parfum sur les pieds de Jésus, qui parle alors de son ensevelissement.
Bref, c’est l’amalgame de ces femmes anonymes, parfois citées comme pécheresse ou possédée-délivrée, qui a rajouté une couche de confusion sur la figure de Marie-Madeleine, notamment à cause d’œuvres culturelles populaires. Pensons au film controversé La dernière tentation du Christ de Martin Scorsese (1988), qui s’est voulu une exploration des désirs de Jésus, déchiré entre son humanité et la volonté divine, jusque sur la croix. Marie-Madeleine y est présentée comme une prostituée que Jésus sauve de la lapidation (assimilée à la femme coupable d’adultère, pourtant sans nom dans le récit de Jean 8, 2-11). Sur la croix, Jésus est tenté par Satan et entraîné dans une vie (illusion ou réalité?) où il épouse Marie-Madeleine… Dans le roman Le Code Da Vinci et le film, Marie-Madeleine est présentée comme l’amante de Jésus, de qui il aurait eu un enfant – une idée ne reposant sur aucune source2.
La bibliste Chen Bergot et la théologienne Lauriane Savoy soulignent un fait important dans Une bible des femmes. Normalement, les femmes de l’époque étaient nommées en lien avec un homme (mari, père, frère) : par exemple, « Marie, femme de Cléophas ». Lorsqu’on lit Marie de Magdala, le nom probable de sa ville d’origine, il faut comprendre que c’est une façon de révéler « son indépendance, qu’elle soit célibataire, veuve ou divorcée; de même que son choix de rejoindre au groupe itinérant de disciples suivant Jésus, en transgression des normes sociales de l’époque. On pourrait se demander si cette indépendance est une condition pour devenir l’intermédiaire d’une parole divine3. » De fait, indépendante de lien familial, indépendante de fortune peut-être, Marie-Madeleine peut suivre Jésus, potentiellement financer son ministère, et être libre pour devenir témoin privilégiée de la résurrection.
L’évangile de Marie-Madeleine?
Qu’en est-il des évangiles apocryphes (signifiant « cachés, secrets » en grec), ces écrits rejetés du canon biblique, c’est-à-dire des livres admis dans la Bible en 1546 au concile de Trente? Il existe en effet un codex – un ensemble de papyrus reliés – en dialecte du copte appelé « l’évangile de Marie », référant à la Magdaléenne. Découvert à la fin du 19e siècle en Égypte, il a été effacé de l’histoire jusque-là. Selon Dietmar Pieper, les écrits apocryphes ont été disqualifiés : « pour des raisons politiques, parce que des hommes puissants entendaient décider de ce que les fidèles devaient croire. […] On ne sait donc guère que, durant les premiers siècles, un autre christianisme s’est esquissé, peut-être plus pacifique et tolérant, et qu’il y eut des communautés où les femmes étaient autorisées à enseigner, à prêcher et à diriger des assemblées. Au nom d’une religion unique et unifiée, ces communautés furent réprimées, interdites, persécutées et finalement oubliées4. »
Pieper souligne que Marie-Madeleine continue de fasciner. « C’est une sainte […] aussi devenue un objet de fantasmes masculins et un symbole de l’oppression des femmes par les instances du pouvoir religieux. Aucune figure biblique n’a sans doute subi au fil du temps une transformation aussi brutale que Marie Madeleine. »
Dans la tradition chrétienne, Marie-Madeleine et Marie, la mère de Jésus se sont retrouvées aux antipodes. « Ces deux femmes […] ont été hypersexualisées par la tradition, de manière opposée. » C’est le constat de l’historienne Sara Parks, du Nouveau-Brunswick, chercheure à l’Université de Nottingham (Angleterre). Elle soutient qu’il faut considérer la construction du genre féminin dans les textes et la tradition : « Si les textes du Nouveau Testament étaient nos seules sources pour ces femmes, il n’y aurait aucune raison d’accepter l’un ou l’autre récit, aucune raison de définir l’une ou l’autre femme conformément à sa sexualité et, en fait, il y aurait lieu de rejeter les deux points de vue. » En somme, la chercheure croit qu’il faut continuer à élucider les manuscrits anciens et interroger la complexité historique, culturelle et religieuse du développement du christianisme, pour éclairer nos questions actuelles5.
Marie-Madeleine pour aujourd’hui
Difficile d’élucider une figure bien définie de Marie-Madeleine. Je souhaiterais proposer de se laisser inspirer par la dévotion populaire, en pensant au Sanctuaire de la Sainte-Baume, dans le Var, en France, qui accueille des pèlerins depuis des siècles. Les reliques de Marie-Madeleine y seraient, car elle y aurait résidé après avoir évangélisé la Provence. Fait intéressant, ce site de pèlerinage animé par les Dominicains avoue assimiler les divers récits entourant Marie-Madeleine dans la dévotion proposée6.
Marie-Madeleine est une femme en marche. Si nous devons croire en une conversion, c’est au moins celle où elle remanie sa vie pour suivre Jésus. Vivons-nous de ce même esprit de conversion totale? Marie-Madeleine marche vers la croix, sans trahir comme Judas ou renier comme Pierre. Elle marche vers le tombeau pour oindre le corps de Jésus, dans la tendresse jusqu’au dernier adieu. Elle court pour annoncer la résurrection!
Marie-Madeleine peut-elle nous inspirer d’aller au bout des chemins de souffrance et de deuil dans nos vies, et d’accompagner nos sœurs et frères? Courrons-nous comme elle, pour être témoin d’espérance, de bonne nouvelle, de résurrection, aujourd’hui?
Marie-Madeleine, à mon sens, est la plus fidèle. Saurons-nous être fidèles comme elle?
Sabrina Di Matteo
NOTES
1 Voir le décret en ligne : http://www.vatican.va/roman_curia/congregations/ccdds/documents/articolo-roche-maddalena_fr.pdf, page consultée le 10 mars 2020.
2 Chen Bergot et Lauriane Savoy, « Paroles de femmes, discours de Dieu », dans Une bible des femmes, Labor et Fides, 2018, p. 110-115
3 Une bible des femmes, p. 111.
4 Dietmar Pieper, « Marie Madeleine, vraie apôtre, fausse prostituée », Books n° 103, décembre 2019/ janvier 2020.
5 « La Vierge et Marie Madeleine, une hypersexualisation aux antipodes », entrevue réalisée par Philippe Vaillancourt, Présence – information religieuse, le 5 mai 2019. Page consultée le 8 juillet 2021. http://presence-info.ca/article/academique/la-vierge-et-marie-madeleine-une-hypersexualisation-aux-antipodes
6 Voir https://www.saintebaume.org/sainte-marie-madeleine/, page consultée le 8 juillet 2021.
- Marie-Madeleine, Apôtre des apôtres - 8 juillet 2021
- Sœurs rebelles, grâce radicale - 17 mars 2018
- Femmes ordonnées? Quel espoir? - 5 avril 2017
Merci pour cette réflexion sur Marie-Madeleine
À cette réflexion j’ajouterais la tradition orthodoxe et au saint patriarche Modeste, patriarche de Jérusalem de 630 à 634, mort à Sozos le 17 décembre. Son corps repose à l’Eglise du Pater Noster de Jérusalem. Ce saint patriarche présente sainte Marie-Madeleine, la myrrophore comme la “cheffe des disciples féminines“ et l’apôtre égale aux apôtres. Voir le ‘synaxaire’, à cet effet. À Jerusalem, le tsar Alexandre fit construire une église dédiée à sainte Marie-Madeleine Égale aux Apôtres.
Margo Gravel-Provencher, théologienne.
Merci beaucoup Sabrina. J’ai toujours trouvé Marie-Madeleine courageuse et audacieuse et fidèle jusqu’au bout. Très inspirante. Je vais trouver l’Évangile de Marie. Je trouve mon Église institutionnalisée tellement loin des pratiques de Jésus…