Des déplacements de pratiques prophétiques par des femmes d’Église, audacieuses et fidèles au Souffle de Vatican II… La « libération féministe » poursuit sa route.
Parmi les dernières vagues de fond qui ont traversé la société et l’Église, la libération féministe est sans doute celle qui a le plus viscéralement marqué l’identité socioreligieuse québécoise. Une nouvelle manière de voir, de comprendre, de créer est apparue avec elle. Depuis la Révolution tranquille surtout, chaque génération de femmes a opéré une étape singulière dans l’évolution de la révolution féministe. Jusqu’à aujourd’hui, je perçois quatre grandes étapes : les années 1950- 1960, celles du « non, ça suffit! »; les années 1970-1980, celles des grandes batailles sociopolitiques; celles de 1990-2000 qui ont réinterprété les notions de sujet, de genre, de corporalité, de sororité, de divinité. Quant à la décennie 2010, elle semble amorcer un mouvement qui va du social (axé sur les revendications politiques) au culturel (axé sur une nouvelle façon d’être, de penser, d’agir). Cette évolution n’est pas sans atteindre la pastorale ecclésiale.
À l’évidence, la qualité et l’ingéniosité de certaines pratiques exercées par des travailleuses de l’institution s’avèrent remarquables. L’itinéraire relaté ici est à cet effet particulièrement significatif… presque incompréhensible, à première vue. Car, on l’observe aussi bien au Québec que partout ailleurs, l’ouverture suscitée par Vatican II s’est hermétiquement refermée. L’idéologie romaine donne une telle prédominance au déjà-dit, au déjà-écrit, au déjà-proclamé par les papes et les déclarations officielles précédant le dernier Concile que l’Église en vient à ne plus être en contact avec la nouveauté de l’expérience, les pratiques concrètes des communautés et le dynamisme de leurs projets. Sorte de corps sans âme, l’organisation cléricale sèche et se dégrade. La création de voies prophétiques se butte souvent à un système figé qui s’acharne à mettre au pas une Église devenue, paraît-il, un peu trop délinquante. Tout se passe comme si la tête (l’autorité magistérielle) avait perdu son corps (le peuple de Dieu)… et croyait pouvoir continuer à aimer et à se reproduire sans sa chair, sans ses membres pour toucher, embrasser et mettre au monde les Bonnes Nouvelles réelles, effectives et salutaires qui nourrissent la vie de tous les jours.
Or, au beau milieu de ce contexte démobilisant, en relation avec des confrères prêtres et laïcs, des femmes tentent de redonner naissance à leur Église. Certes, leur positionnement suscite de l’étonnement; il n’en demeure pas moins clair, déterminé et en prise sur le dernier tournant féministe où la défense d’une cause politique objective n’occupe plus la première place. Il ne s’agit nullement d’indifférence, ou pire, d’inconscience, mais d’un déplacement devant le type de réactions auquel la première génération d’agentes de pastorale nous avait habitués… un déplacement des sensibilités, des énergies, des intérêts, et donc des analyses et des priorités.
Être considérées, par l’idéologie cléricale, comme des chrétiennes de seconde zone, des substituts temporaires ou des bouche-trous, ne semble absolument pas décourager leurs actions. Non pas qu’elles soient stupides, bornées ou apeurées; bien au contraire, elles sont ancrées dans une liberté intérieure têtue et n’entendent plus se laisser définir par l’institution, mais par ellesmêmes, par leurs communautés et par leur Dieu/e.
Autant, il n’y a pas si longtemps, on reprochait aux femmes d’être trop dociles devant les discours et les exigences des clercs, autant l’audace des femmes qui, avec leurs partenaires masculins, sont fortement parties prenantes de l’initiation, de l’organisation et de l’animation de cette expérience au diocèse de Chicoutimi, démontre un entêtement, une débrouillardise, un non-conformisme que d’aucuns qualifieraient d’insolents. En fait, une seule chose préoccupe véritablement la majorité des travailleuses en Église, et ce ne sont pas les structures en lesquelles elles n’espèrent plus rien, mais uniquement et essentiellement la transmission d’un Évangile qui fait vivre. Ces femmes sont des accoucheuses de vie : l’écoute attentive de chaque personne prend le dessus sur le préjugé facile… l’appel qui conduit à l’engagement prévaut sur les codes institutionnels… l’arrimage avec les valeurs contemporaines, la famille, le couple, les enjeux sociaux sont pris en compte… l’accompagnement et le discernement prennent la place du jugement et de l’exclusion… Bref, il ne m’apparaît pas exagéré d’affirmer que, si la révolution ecclésiale ardemment souhaitée par tant de catholiques à travers le monde voit enfin le jour au Québec, elle aura commencé dans le quotidien, dans la proximité, dans d’humbles communautés de croyantes et de croyants, et des femmes en auront été les pionnières.
Cet article a été publié dans la revue Sentiers de foi Vol. 6 no 1 du 15 septembre 2010 et est reproduit avec les permissions requises.
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