Marie Granger, cnd, membre du réseau Femmes et Ministères de 1988 à 2003, est décédée à Montréal, le 3 juillet 2014. Les funérailles ont eu lieu le mercredi 9 juillet.
Trois de ses consoeurs, Yvonne Bergeron, Brigitte Hudon et Denise Morin, lui rendent hommage.
HOMMAGE À MARIE GRANGER
Un animateur de pastorale, au Mont Notre-Dame, disait de Marie qu’elle avait « de grandes oreilles et un grand cœur ». À cela j’ajouterais que ses yeux étaient tout près de son cœur ». C’est peut-être de là que venait ce regard si lumineux, intense et parfois suppliant qui souvent, à l’infirmerie, lui a permis d’exprimer quelque chose de ce qu’elle n’arrivait plus à verbaliser. Pour Jean Giono, ce qui nous reste à la fin, c’est ce que nous avons donné. Aujourd’hui Marie est riche de tout ce qu’elle a donné. Et devant le don, la mort ne recule-t-elle pas comme le rappelle à sa façon le livre de Tobit (4, 10)?
En entrant à la Congrégation de Notre-Dame, Marie a vécu à la suite de Marguerite Bourgeoys une vie branchée sur les personnes dans le besoin. La prière qu’elle portait dans son cœur et qu’elle partageait régulièrement avec nous en était une démonstration vivante : « Sainte Marguerite Bourgeoys, toi qui n’es jamais passée à côté d’une misère sans t’employer à la soulager, sois encore le réconfort des pauvres, des malades et des affligés. Aide-moi à conformer ma volonté à la volonté de Dieu et, comme toi, à lui rendre grâce dans l’épreuve comme dans la joie ». Et cela, elle l’a fait humblement et bellement en témoignant par ses paroles et ses engagements quotidiens de l’amour infini de son Dieu pour les femmes et les hommes de notre temps. Dans notre petite communauté, par ses convictions profondes, par sa façon d’être et d’intervenir, elle facilitait l’unité du groupe dans un immense respect des autres avec qui elle partageait des relations vécues dans l’égalité. Permettez-nous de faire ici quelques rappels qui nous paraissent particulièrement significatifs.
La femme pédagogue. Comme professeure ou comme directrice des services pédagogiques, elle est demeurée une femme avec « de grandes oreilles et un grand cœur ». Comment ne pas souligner son aisance avec les jeunes, sa joie de les accompagner dans leurs découvertes et dans la conscience de leur responsabilité? Au Mont Notre-Dame, par exemple, nous avons pu apprécier avec quel doigté elle encourageait les élèves à prendre en mains leur école et à lui donner un visage de modernité qui leur ressemblerait. Dans un esprit de grande ouverture, avec lucidité et courage, elle a su avec une équipe assurer les transformations nécessaires permettant le passage du Mont Notre-Dame au statut de corporation.
Une solidarité concrète avec les femmes. Nous ne pouvons taire le profond souci de Marie à l’endroit des femmes de toutes origines et prioritairement de celles dont les conditions de vie étaient plus vulnérables. Assurées d’être toujours accueillies, celles-ci appréciaient son approche réconfortante et elles avaient l’assurance qu’elle porterait leur cause. Nous ne pouvons davantage passer sous silence l’importance que Marie a apportée à la place des femmes dans l’Église. Membre pendant plusieurs années du réseau Femmes et Ministères et très active dans l’équipe pastorale de la paroisse, elle n’a pas reculé devant les obstacles qui auraient pu lui barrer la route. Elle a su patiemment « questionner » des mentalités, « modifier » des habitudes et « entraîner » vers des changements libérateurs. Auprès de l’évêque, lui-même préoccupé par la réalité des femmes dans l’Église, elle a insisté sur la nécessité de créer un service à la condition des femmes pour le diocèse et cela fut fait.
La proximité des gens « maganés ». Marie se préoccupait des autres jusque dans leurs misères, leurs lassitudes et leurs inquiétudes. Cela se manifestait particulièrement dans ses rencontres avec les « mal pris » de la vie. Sa compassion concrète et active créait facilement entre elle et ces personnes une « relation d’égalité » très stimulante. Pour Marie, comprendre ce que vivent les gens rejetés, maganés, exclus, chercher avec eux des solutions et porter leur cause, tout cela fut un choix décisif. Choix qui l’a amenée constamment à travailler avec d’autres pour que notre monde devienne plus juste, plus habitable et plus humain. Qu’il s’agisse des personnes du quartier, des réfugiés asiatiques, latino-américains ou autres, qu’il s’agisse des groupes laissés pour compte ou des peuples appauvris, cette solidarité a marqué non seulement ses prises de paroles mais aussi sa pratique et sa prière. Son engagement pendant plus de 40 ans à Développement et Paix n’en demeure-t-il pas une illustration éloquente?
Vous l’aurez compris, vivre avec Marie c’était d’abord vraiment « plaisant ». C’était une grâce quotidienne. Une exigence aussi, car c’était une invitation à apprendre. Apprendre à être là au bon moment pour écouter profondément, aimer concrètement et agir sur le champ de façon créative. Apprendre à aller au bout d’un appel, d’une responsabilité, d’une question… Apprendre aussi l’importance de laisser vivre en soi l’univers de l’enfant (son émerveillement, sa fantaisie, son imaginaire…) et celui de l’artiste (son regard, sa nouveauté, son horizon…). Apprendre à vivre debout souvent à contre-courant et malgré la controverse. Apprendre à marcher à la suite du Prophète de Nazareth libre et solidaire qui était son inspiration ultimeet la Source de son espérance. Le psaume 63, Le désir de Dieu, n’était-il pas son préféré?
« Dieu mon Dieu
C’est toi que je cherche
J’ai soif de toi
Ma chair t’attend (…)
Tout mon être s’attache à toi
Ta main me tient (…) ».
C’est tout cela qui l’a inspirée. Et le Fou de Bassan, un oiseau qu’elle affectionnait singulièrement, symbolisait quelque chose de cette recherche de transcendance, de cette soif de Dieu. Un jour, après avoir côtoyé Marie pendant plusieurs mois, un jeune Laotien lui a dit : « Parle-moi de ton Dieu… ». Et quand elle lui a demandé pourquoi, il a répondu : « Parce que ta façon d’être présente avec nous me dit qu’il y a probablement un Dieu dans ta vie ».
Dans son autobiographie, en référant à sa première communion, elle écrit : « Quelle douce intimité dans cette première rencontre avec le Jésus de l’Eucharistie ». Aujourd’hui, Marie goûte enfin une « vie si abondante qu’elle avale même la mort » selon les mots de Christian Bobin. Quant à Joseph MOINGT, s.j., il affirme : « Ce qui mérite de ressusciter, c’est ce qui porte la marque de l’esprit et de la liberté (…); tout cela vivra en Dieu, et dans le Christ (…). Nous travaillerons, nous serons dans l’envers, dans l’invisible du monde, liés à tous nos frères de ce monde dont nous partageons la vie, à qui nous donnons de notre vie comme nous recevons de la leur : tel sera le corps de la résurrection universelle, c’est ce que nous appelons la communion des saints ». Oui, Marie reste et restera avec nous présente et agissante. D’ailleurs, n’est-ce pas justement entre l’absence et la présence, dans cet « étroit passage », (…) imperceptible et fragile », dira Gabriel Ringlet, que brille la lumière des êtres et des choses, que loge ce grand mystère et que se nomme notre espérance?
MERCI, MARIE, D’AVOIR ÉTÉ ET DE DEMEURER CETTE FEMME AIMANTE, SAGE, HUMBLE, COURAGEUSE, PLEINE DE VIE ET SI INSPIRANTE! NOUS CONTINUERONS NOUS AUSSI DE T’AIMER.
Denise, Brigitte et Yvonne
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J’ai rencontré Sr. Marie Granger au début des années 70, au Mont. À la première rencontre, j’ai su qu’elle serait un phare pour moi, ce qu’elle a été sans le savoir et à distance, comme le font les phares.
Votre texte, mesdames, lui rend un très bel hommage. Merci.
Nicole Roy