[…] Un personnage du Second Testament dont j’ai assez souvent entendu parler à l’église comme sur les bancs de l’école est Marie de Magdala, mieux connue sous le nom de Marie Madeleine, une déformation probable du mot « Magdaléenne ».
On l’a longtemps considérée comme la « prostituée repentie ». Mais le récit biblique nous en présente un portrait bien différent. Nulle part dans l’Écriture elle n’est identifiée comme une pécheresse publique ou une prostituée.
Elle avait été guérie d’esprits mauvais, c’est vrai. On parle de « démons ». Mais, dans la Bible, on évoque des démons quand on n’est pas capable d’expliquer l’origine du mal. Les « démons » seraient responsables de nombreuses maladies tant psychiques que physiques. S’il était sorti sept démons de Marie la Magdaléenne, c’est le signe qu’elle était, non pas une grande pécheresse, mais une grande malade. Le nombre sept, symbole de la plénitude, pouvait vouloir dire que sa maladie était très grave ou incurable.
Mais au fil des siècles, on a transformé Marie de Magdala en convertie repentante du « péché de la chair » à cause de l’image de tentatrice, de séductrice attribuée à la femme; ce qui n’est pas dans le texte. On a confondu trois femmes : une femme de mauvaise vie non identifiée qui répandait du parfum sur les pieds de Jésus en Lc 7,37, Marie de Magdala libérée de son mal au chapitre suivant en Lc 8,2 et Marie de Béthanie, la sœur de Marthe et de Lazare, qui répandait elle aussi du parfum sur les pieds de Jésus en Jn 12,3. On en a fait un seul personnage. Augustin, dans les années 400 (354-430), serait à l’origine d’une telle confusion et le pape Grégoire le Grand, dans les années 600 (595 apr. J.-C.), aurait contribué à fixer cette image dans ses homélies (Künstle, 1962, cité par Moltmann-Wendell, 1983/1984, p. 27).
Pourtant, l’Écriture présente Marie de Magdala comme la principale témoin de la Résurrection, événement au cœur de la foi chrétienne. Elle est nommée comme telle dans chacun des quatre évangiles rédigés par des auteurs différents s’adressant à des communautés différentes. Ce qui laisse sous-entendre qu’il était impossible de l’exclure des récits de résurrection. C’est pour ça qu’en dépit du fait qu’elle ait été une femme, on ne l’a pas oubliée.
Preuve de son importance, elle est toujours nommée en premier quand on l’évoque, sauf une fois en Jean alors qu’elle est avec Marie, mère de Jésus (Jn 19, 25). Et dans la façon d’écrire les textes bibliques, l’ordre de personnages est une façon d’indiquer l’importance qu’on accorde à quelqu’un au sein du groupe, comme on l’a vu précédemment. Ce peut être ici une façon de manifester le leadership reconnu de Marie la Magdaléenne.
Marie de Magdala avait répondu à l’appel du Maître à le suivre avec Jeanne, Suzanne et beaucoup d’autres. Et elle sera fidèle à cet appel, faisant route avec lui jusqu’à la fin, comme Luc le rapporte (Lc 8, 4). Elle cherchera alors à connaître l’endroit où on mettra le corps et préparera avec d’autres femmes les aromates et ce qu’il faut pour envelopper le corps. Et lorsque Jésus se manifestera à elle, elle répondra à l’invitation d’aller annoncer aux disciples qu’il était vivant : « Va dire à mes frères que je monte vers mon Père, votre Père, et mon Dieu, votre Dieu » (Jn 20,17). Exceptionnel pour une femme de cette époque! L’appel reçu dépassait ce qu’on anticipait comme possible pour une femme et sa réponse a été bien différente des rôles traditionnels assumés par les femmes. Il n’y avait pas de mission plus grande. Jésus a confirmé sa mission d’« apôtre des apôtres », comme on la nommera au début de la chrétienté. Marie de Magdala a joué un rôle majeur dans la transmission du message du Christ. Elle est une « cheffe » de file que nous connaissons peu en tant que telle.
[…]
Extrait d’une conférence donnée lors d’un déjeuner-causerie organisé par Les Amis de Saint-Benoît-du-Lac, région Asbestos, le 12 mai 2011.
Référence
MOLTMAN-WENDEL, Elisabeth (1984). Deux femmes et leur expérience de Dieu. Dans Elisabeth & Jürgen Moltman, Dieu homme et femme (Trad. : Marcelline Brun-Reyners) (p. 17-69). Montréal/Paris : Éditions Fides/Éditions du Cerf. (L’ouvrage original a été publié en 1983)
Références bibliques
Mt 27, 56.61; 28, 1; Mc 15, 40.47; 16, 1.9; Lc 8, 2; 24, 10; Jn 20, 1-2; 11-18
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Merci, Pauline, de mettre dans la lumière de la Vérité cette femme que je nommerais « première évangélisatrice »,« première porte-parole de Jésus »… Au premier rang, bien avant Pierre qui a renié connaître Jésus solennellement par trois fois… À la suite de Magdeleine, bien avant Pierre et autres disciples, la Samaritaine! Que de silences mâles qui se définissent comme seuls garants du sens évangélique!
Et bien des siècles plus tard, au temps de le Réforme, ainsi a-t-on mis au silence de l’histoire le rôle de Katarina von Bora, la nonne en fugue devenue l’épouse de Luther. De lui, on a beaucoup parlé, d’elle si peu et pourtant…
Faut pas baisser les bras et sortir à la lumière du grand jour toutes ces femmes, leaders dans l’ombre.