Au Québec, une femme vient d’être élue première ministre. Comme le rappelait Nathalie Pétrowsky (2012) six jours avant les élections de Pauline Marois : « Il reste qu’être cette femme qui, pour la première fois, va en quelque sorte marcher sur notre lune locale, ce n’est pas rien. C’est un petit pas pour l’humanité, mais un grand pas pour l’égalité des femmes et des hommes au Québec. » Et je me réjouis de ce pas qui a été franchi dans mon pays en ce 4 septembre 2012. Je me réjouis également qu’une autre femme, Françoise David, coresponsable d’un parti politique, ait été élue député de son comté tout en osant s’afficher comme féministe. Ailleurs sur la planète, de tels moments historiques ont déjà été vécus. Et c’est heureux.
J’aimerais avoir les mêmes sentiments pour ce qui se passe dans mon Église. Malheureusement, l’occasion m’en est rarement donnée. Car l’institution ecclésiale catholique tient un double discours concernant les femmes. Elle parle d’amour, valorise dans un certain nombre de documents l’égale dignité des hommes et des femmes, dénonce toute forme de discrimination, mais elle ne cesse de brandir des interdits concernant les femmes. Et un de ses sujets de prédilection demeure l’impossibilité de leur accès aux ministères ordonnés; ce qui a des conséquences concrètes tant sur leur pratique pastorale que sur leur possibilité d’accéder aux décisions institutionnelles. J’aimerais voir cette Église, mon Église, à travers ses différentes prises de position, dépasser certaines idées périmées pour accéder à la modernité. J’aimerais qu’elle cesse d’avoir peur.
Dépasser certaines idées périmées pour accéder à la modernité
« Et pourtant elle tourne », rappelait Olivette Genest dans sa récente recension du petit livre L’ordination des femmes (Jacob & Ngyen, 2011). Elle se référait à la célèbre phrase de Galilée pour montrer que des erreurs peuvent se produire quand on refuse de regarder toutes les facettes de la réalité.
On n’oserait plus aujourd’hui condamner Galilée… Mais on ose toujours interdire le sacrement de l’ordre aux femmes parce que femmes (Jean-Paul II, 1994). Pourtant, l’ardent opposant à l’ordination des femmes que fut Jean-Paul II a aidé au déploiement du dossier Galilée par l’ouverture qu’il lui avait faite. Qu’on se rappelle son discours prononcé devant l’Académie pontificale des sciences (1979) en commémoration de la naissance d’Albert Einstein :
[…] je souhaite que des théologiens, des savants et des historiens, animés par un esprit de sincère collaboration, approfondissent l’examen du cas Galilée et, dans une reconnaissance loyale des torts de quelque côté qu’ils viennent, fassent disparaître les défiances que cette affaire oppose encore, dans beaucoup d’esprits, à une concorde fructueuse entre science et foi, entre Eglise et monde.
L’attitude d’ouverture prônée par Jean-Paul II pour le cas Galilée pourrait servir de phare pour éclairer la façon de traiter la question de l’accessibilité des femmes aux ministères ordonnés. Il serait souhaitable que le magistère applique la même rigueur intellectuelle à la poursuite d’une analyse honnête de la question et favorise l’échange sur le sujet entre théologiennes, théologiens et exégètes de différentes tendances. Un tel recours à l’exégèse et à la théologie, sans oublier les sciences humaines à travers lesquelles Dieu/e[1] s’exprime également, serait le signe d’une ouverture réelle de l’institution ecclésiale catholique à l’humanité constituée de femmes et d’hommes qui ont appris à lire et à réfléchir. Ne serait-ce pas faire preuve d’un réel esprit chrétien que d’ouvrir un tel débat concernant une question qui est loin d’être morte? Il y va de la crédibilité de notre Église.
Le sujet de l’ordination des femmes est toujours présent dans la société civile comme dans la société ecclésiale. Il l’était comme préoccupation lors de la fondation de L’Alliance Jeanne d’Arc en 1911 (Pelzer, 1977/1992); il l’était dans les coulisses de Vatican II (Parent, 2009) et il continue de l’être depuis le début du siècle dans la société civile et ecclésiale (Jacob, 2011). Comme il a été possible de l’observer dans les différents médias durant la dernière année, la plupart des évêques nouvellement nommés au Québec se sont fait poser des questions sur le sujet. Certains ont tenté de les éviter; d’autres y ont répondu en suivant la « ligne du parti ». Car ils ne peuvent en débattre publiquement…
Mais les réponses données par Rome ne suffisent plus aujourd’hui. Elles me rappellent celle donnée par un curé à un enfant qui demandait : « Pourquoi les femmes ne peuvent être prêtres? ». « Parce que le pape ne veut pas », avait-il répondu spontanément. Si la réponse ne m’avait pas enchantée, elle avait tout de même satisfait momentanément ce petit garçon. J’ai parfois l’impression que les réponses fournies par le magistère romain ne dépassent pas le niveau du « Parce que le pape ne veut pas ». Car on élève des barrières qu’on dit théologiques pour refuser d’analyser la question. Jean-Paul II (1994) a plutôt tenté d’en interdire le débat sans consultation des évêques et sans analyse en profondeur de la question. « Le débat ne saurait être clos à peine amorcé », comme l’évoquait Olivette Genest (2006) lors de la conférence d’ouverture du colloque L’accès des femmes aux ministères ordonnés : une question réglée?L’Église répète à sa façon l’événement Galilée. Elle interdit l’ordination des femmes comme elle a un jour interdit la divulgation des recherches de Galilée et autorisé l’esclavage. Tout ceci au nom de la foi.
Cesser d’avoir peur
Jean-Paul II (1978) s’est rendu célèbre par son « N’ayez pas peur » adressé à la foule lors de la messe inaugurale de son pontificat :
N’ayez pas peur! Ouvrez, ouvrez toutes grandes les portes au Christ ! À sa puissance salvatrice ouvrez les frontières des États, les systèmes économiques et politiques, les immenses domaines de la culture, de la civilisation, du développement. N’ayez pas peur ! Le Christ sait « ce qu’il y a dans l’homme »! Et lui seul le sait!
Tout en martelant ce « N’ayez pas peur! » et en tentant de faciliter les échanges entre les nations, il a géré l’institution qui lui était confiée en utilisant la crainte et la punition pour celles et ceux qui osaient ou oseraient soutenir l’ordination des femmes…
Mais peut-être pourrions-nous aujourd’hui élargir le sens de ce « N’ayez pas peur » à l’Église-peuple de Dieu/e comme à l’Église-institution : « N’ayez pas peur! Ouvrez, ouvrez toutes grandes les portes au Christ! ». Et j’ajouterais : « Laissez passer le souffle de l’Esprit. »
Le cardinal Martini, a lui-même repris ce « N’ayez pas peur » dans le message livré peu de temps avant son décès. « L’Église a 200 ans de retard. Mais pourquoi ne se secoue-t-elle pas? Avons-nous peur? Peur au lieu de courage? La foi, la confiance, le courage sont les fondements de l’Église. » (cité par Sporschill, 2012). Laissons-nous inspirer par le message de ce cardinal progressiste qui ne craignait pas de dire : « Je conseille au pape et aux évêques de chercher, pour les postes de direction, douze personnes hors du commun, proches des plus pauvres, entourées de jeunes et qui expérimentent des choses nouvelles. » Comme lui, faisons nôtre cette prière de saint Ambroise : « Seigneur, donne toujours à ton peuple des pasteurs qui troublent la fausse paix des consciences » (cité par Mounier, 2012). Qu’elle inspire notre dynamisme et notre imagination pour rappeler à nos évêques que des femmes portent un appel au ministère presbytéral (Jacob, 2007, 2011), que leur communauté les reconnaît et qu’ils doivent en tenir compte, s’ils veulent être fidèles à l’engagement de prendre soin de la portion du peuple de Dieu/e qui leur a été confiée, engagement pris le jour de leur ordination épiscopale. Un jour, l’un d’eux aura l’audace de suivre la trace des évêques anglicans qui ont dit oui à l’ordination des femmes à la prêtrise et d’affirmer comme l’un deux: « Je ne vois pas comment on peut annoncer l’Évangile du Christ à un monde incroyant par l’assertion que seuls des hommes peuvent être prêtres. (Santer, 1992 : cité par Mercier, 1994, p. 111). Quand de semblables paroles seront dites par nos évêques, notre Église fera un pas de plus dans la modernité et des personnes jusqu’alors fermées au message qu’elle souhaite véhiculer commenceront peut-être à l’accueillir. Alors je me réjouirai… Alors plusieurs femmes et hommes se réjouiront. Un nouveau jour se lèvera… un printemps de l’Église peuple de Dieu/e, tel que l’exprimait Élisabeth J. Lacelle (2011).
Asbestos, le 10 septembre 2012.
Références
Genest, Olivette (2006, octobre). « Une relecture sous l’angle de l’exégèse biblique des arguments scripturaires utilisés par Rome dans la controverse autour de l’ordination des femmes ». Dans Centre justice et foi, en partenariat avec le Centre St-Pierre, le réseau femmes et Ministères et la collective L’autre Parole, Colloque « L’accès des femmes aux ministères ordonnés : une question réglée? », [en ligne]. [http://femmes-ministeres.lautreparole.org/documents/colloque_ordi/Genest_Olivette_oct2006.html] (8 septembre 2012).
Genest, Olivette (2012, 7 juin). Recension du livre de Pauline Jacob & Thuy Linh Nguyen, L’ordination des femmes, Montréal/Paris, Éditions Médiaspaul, (en ligne). [http://femmes-ministeres.lautreparole.org/documents/recensions/Genest_Olivette_2012.html] (8 septembre 2012)
Jacob, Pauline (2007). Appelées aux ministères ordonnés. Ottawa : Éditions Novalis.
Jacob, Pauline (2011). Des femmes prêtres. Dans Pauline Jacob & Thuy Linh Nguyen, L’ordination des femmes (p, 7‑70). Montréal/Paris : Éditions Médiaspaul.
Jacob, Pauline (2011). L’ordination des chrétiennes dans l’Église catholique, une question en mouvement au XXIe siècle, [en ligne]. [http://femmes-ministeres.lautreparole.org/documents/ordination/Jacob_Pauline_2011.html] (8 septembre 2012)
Jean-Paul II (1978, 22 octobre). Messe solennelle d’intronisation, [en ligne]. |http://www.vatican.va/holy_father/john_paul_ii/homilies/1978/
documents/hf_jp-ii_hom_19781022_inizio-pontificato_fr.html] (8 septembre 2012)
Jean-Paul II (1979, 10 novembre). Discours de Jean-Paul II à l’Académie pontificale des sciences en commémoration de la naissance d’Albert Einstein, [en ligne]. [http://www.vatican.va/holy_father/john_paul_ii/speeches/1979/november/
documents/hf_jp-ii_spe_19791110_einstein_fr.html] (8 septembre 2012)
Jean-Paul II (1994, 22 mai). Lettre apostolique « Ordinatio sacerdotalis » sur l’ordination sacerdotale exclusivement réservée aux hommes. La documentation catholique, 2096, 551‑552.
Dans Site Vatican, (en ligne). [http://www.vatican.va/holy_father/john_paul_ii/apost_letters/
documents/hf_jp-ii_apl_22051994_ordinatio-sacerdotalis_fr.html] (19 juin 2012)
Lacelle, Élisabeth J. (2011, 14 avril). À quand le printemps du peuple de Dieu qu’est l’Église?, [en ligne]. [http://femmes-ministeres.lautreparole.org/documents/les_propos_de/Lacelle_Elisabeth_2011.html] (8 septembre 2012)
Mercier, Jean (1994). Des femmes pour le Royaume de Dieu. Paris : Éditions Albin Michel.
Mounier, Frédéric (2012, 3 septembre). La voix du cardinal Martini s’est éteinte. la-Croix.com [en ligne]. [http://www.la-croix.com/Religion/S-informer/Actualite/
La-voix-du-cardinal-Martini-s-est-eteinte-_EG_-2012-08-31-848350] (8 septembre 2012)
Parent, Annine (2009, 16 mars). Le mouvement des femmes et Vatican II, [en ligne]. [http://femmes‑ministeres.org/documents/femmes_en_eglise/Parent_Annine_2009.html] (8 septembre 2012)
Pelzer, Anne-Marie (1992). Courte histoire d’un mouvement catholique féministe, L’Alliance Internationale Jeanne d’Arc, 3‑17. Liège. Bruxelles. (L’ouvrage original a été publié à Bruxelles en 1977).
Petrowski, Nathalie (2012). Comme une seule femme. Lapresse.ca, [en ligne]. [http://www.lapresse.ca/debats/chroniques/nathalie-petrowski/
201208/29/01-4569110-comme-une-seule-femme.php] ((8 septembre 2012))
Sporschill, Georg (2012, 8 août). L’interview posthume du cardinal Martini : « L’Église a 200 ans de retard » (Trad. de l’italien : Samuel Bleynie). La Vie, [en ligne]. [http://www.lavie.fr/religion/catholicisme/
l-interview-posthume-du-cardinal-martini-l-eglise-a-200-ans-de-retard-03-09-2012-30404_16.php] (8 septembre 2012)
NOTES
[1] Cette façon particulière d’écrire Dieu/e est un choix de l’auteure ; elle permet d’évoquer la représentation à la fois féminine et masculine du/de la Dieu/e de la Bible.
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