Le Réseau des répondantes à la condition des femmes a pris naissance en 1981 à la suite d’une réflexion de près de trois ans de la part des évêques du Québec.
Élément déclencheur
En 1978, au Québec, le Conseil du statut des femmes [CSF] publie un livre vert « Pour les femmes : égalité et indépendance ». Le rapport comprend 306 recommandations concernant la vie des femmes. On y affirme que « la source des inégalités et de l’exploitation entre les sexes est le fruit d’un conditionnement profondément ancré dans les mentalités et véhiculé par la famille, l’école, la religion, les médias. »
Le Comité des affaires sociales de l’Assemblée des évêques du Québec [CAS] en fait l’étude et se questionne :
-Quel sera l’impact de cette étude sur le mouvement social ?
-Quelles conséquences la transformation des relations hommes-femmes aura-t-elle dans la vie des croyants et dans la vie et le gouvernement de l’Église?
Pour avoir une réponse à ses question, le CAS va vérifier auprès de femmes qui exercent un leadership en milieu social ou ecclésial en convoquant, en janvier 1979, deux tables rondes, une à Montréal présidée par Mgr Bernard Hubert alors président du CAS et une autre à Québec, présidée par Mgr Louis-Albert Vachon, archevêque de Québec.
Les participantes sont invitées à répondre à deux questions :
1. Dans quelle mesure partagez-vous l’analyse de la condition féminine exposée dans le Livre vert du CSF?
2. Considérant que l’Église est un agent de socialisation qui joue un rôle important dans la formation des mentalités, quelles pistes d’action suggérez-vous?
Il se dégage de ces entretiens avec les femmes un large consensus sur l’analyse de la condition des femmes livrée par le Livre vert du CSF. Les commentaires des participantes évoquent la discrimination dont les femmes sont souvent l’objet dans la société. Les femmes présentes appuient fortement et globalement le rapport du Conseil du Statut de la femme. Elles interpellent fortement l’Église à remettre en question sa morale sexuelle, sa théologie, son modèle ecclésiastique, la symbolique et le langage de la liturgie, etc. à partir de la réalité des femmes. Pour elles, tout statu quo est impossible autant dans l’Église que dans la société.
Consultations
Le résultat de la consultation sera étudié par les différentes instances de l’AEQ; les comités épiscopaux, le comité exécutif. Tous sont invités à prendre connaissance du rapport, à commenter et à réagir.
En 1980, un rapport d’étape est présenté et des pistes d’action discutées en réunion plénière.
C’est au printemps 1981, trois ans après la tenue des tables rondes, que Mgr Hubert invitera chaque évêque à nommer une répondantes à la condition féminine qui sera chargée de suivre concrètement dans son diocèse, « L’évolution des questions sur la situation des femmes dans la société ».
Le réseau va prendre naissance officiellement le 24 septembre 1981. Seize diocèses répondront à l’appel de Mgr Bernard Hubert.
Éléments vont conditionner la vie du Réseau
1) Contrairement à d’autres mouvements issus de la volonté des femmes, le Réseau des répondantes à la condition des femmes est né d’une décision des évêques du Québec. Les femmes ont contribué à sa mise en place, mais elles n’en sont pas les initiatrices.
2) Les répondantes devront recevoir un mandat de leur évêque. Elles seront nommées par lui et devront travailler en concertation avec lui.
3) Les répondantes relèveront du service de pastorale sociale là où il existe. La question du rôle des femmes en Église se trouve par le fait même située dans le champ social et les répondantes répondront du dossier auprès du CAS.
Les trois premières années, seront un temps de défrichage, un temps de main tendue. Il faut clarifier et définir les mandats.
Le départ
C’est avec bien des questions en tête que les premières répondantes vont chercher à comprendre en quoi consiste leur mandat : « Suivre l’évolution des questions sur la situation des femmes, identifier les lieux et les enjeux de la promotion de la femme ».
– Qu’est-ce que ça signifie exactement?
– Par où commencer?
– Avec qui travailler?
– Quel modèle d’intervention privilégié?
– Comment aider les femmes à sortir de l’oppression?
À Québec
À la suite de cette première rencontre des répondantes avec le CAS, je reviens au diocèse de Québec et je discute de la rencontre avec mes deux collègues de l’Office de pastorale sociale. Le dossier des femmes sera partie prenante de notre plan d’action. Il faut d’abord étudier plus à fond le fameux rapport afin de trouver quelques pistes d’actions. C’est un temps de prise de conscience et d’exploration.
Un plan d’action est établi dès la première année
C’est l’étape du voir et de la conscientisation. Nous voulons :
– Faire connaître le rapport du Conseil du statut de la femme aux groupes et aux régions pastorales.
– Établir des liens avec les mouvements sociaux existants qui s’occupent de la situation des femmes et qui s’intéressent au rapport du livre vert.
– Organiser une journée de réflexion sur la condition des femmes telle que la décrit le livre vert.
– Dans le cadre des Sessions populaires pour l’engagement social au Québec [SPES-Q], organiser une journée d’animation sur la condition de vie des femmes (pauvreté – isolement – exclusion).
1982, 2e rencontre des répondantes avec le CAS.
Douze femmes répondent à l’invitation.
Il s’agissait de faire le point sur l’expérience et approfondir les relations avec le CAS. Les répondantes font part de leur travail et échangent entre elles sur les difficultés rencontrées. Il leur sera demandé de réagir au document « Un appel en faveur de la vie ».
À Québec, le travail se poursuit.
– En juin, parution d’un dossier dans Pastorale-Québec sur la condition des femmes dans l’Église.
– Les femmes participent activement à la Commission Justice et Foi. Divers groupes sont sollicités, autant sociaux qu’ecclésiaux. La réponse est inattendue, si bien que dans son rapport publié en 1984, la Commission nommera les femmes parmi les quatre groupes prioritaires dont on doit s’occuper parce qu’en souffrance dans la société et dans l’Église.
3e rencontre, en 1983, des répondantes avec le CAS
À la 3e rencontre, en 1983, quelques femmes se disaient en difficulté dans leur diocèse. Certains évêques avaient nommé des femmes pas trop convaincues elles-mêmes de l’importance du dossier. D’autres évêques avait répondu à la demande mais sans trop de conviction et de soutien. Certaines femmes n’étaient pas assez stratégiques dans leur approche et se fermaient des portes alors que d’autres, craintives, n’osaient pas discuter avec leur évêque. Nous étions dans une période de rodage et comme pour tous les commencements, il fallait s’ajuster.
Lors de cette 3e rencontre avec le CAS, deux questions s’avèrent essentielles pour les répondantes :
– Il faut trouver des moyens de soutenir les répondantes diocésaines dans leur travail. Les femmes décident de se donner à chaque année une journée bien à elles, pour échanger librement, chercher les moyens pour travailler efficacement, se donner de la formation.
– De nouveau, les femmes questionneront le CAS en disant qu’il leur est impossible de travailler à l’amélioration de la condition des femmes au nom même de l’Évangile sans regarder ce qui se passe dans sa propre cour. La question des femmes en Église fera désormais partie de leur mandat.
À Québec en 1983, création d’un réseau diocésain
Septembre 1983. À la suite de ces deux années de travail, de tournées et d’interpellations pour en arriver à un travail efficace et suivi, l’équipe de Québec prend la décision de former des comités de la condition des femmes dans les 13 régions pastorales de l’époque.
Le diocèse est grand, il est difficile de rejoindre les femmes éloignées de la ville de Québec et ses environs. Un travail d’approche avait été réalisé avec les équipes régionales, certaines étaient ouvertes, d’autres moins. Il faut dire que le degré de conviction du bien fondé de cet engagement avec et pour les femmes n’était pas le même d’une région à l’autre. Et soyons francs, il n’y avait pas que des hommes qui n’en étaient pas convaincues, plusieurs femmes résistaient tout autant. Il fallait respecter les lenteurs. Il fallait laisser du temps mais ne pas lâcher.
Le travail en pastorale sociale, et les nombreux contacts établis lors de la Commission Justice et foi, avaient permis de connaître des femmes sensibles aux questions portant sur la condition des femmes. Il fallait des pieds et des mains, il fallait créer des liens, rejoindre les femmes sur le terrain. Il fallait bâtir au diocèse de Québec un réseau de femmes ayant à cœur l’amélioration de leur situation dans la société et dans l’Église.
Un comité diocésain et des comités régionaux à la condition des femmes voient donc le jour. Ces comités travaillent en lien avec les équipes régionales et les groupes de femmes du milieu. Tranquillement, on s’éveille à la condition des femmes. Les alliés hommes et femmes deviennent plus nombreux.
Cette façon de travailler avec des comités régionaux à la condition des femmes s’est avérée intéressante, dynamique, enthousiasmante et productive. Il fallait quelquefois calmer les ardeurs de quelques-unes, il n’était pas question de monter aux barricades et en même temps il fallait stimuler et je dirais enhardir les plus craintives.
Les treize comités, sans être détachés complètement du comité régional de la pastorale, avaient une certaine autonomie d’action. Quelques fois par année, des rencontres diocésaines permettaient un temps d’échange et d’encouragement. Il était devenu possible de bâtir un plan d’action commun tout en laissant à chaque région de la place pour ses initiatives propres. Cette opération a permis d’élargir le territoire, de se donner des antennes, de connaître ce qui se faisait sur tout le territoire, de travailler à plusieurs.
Création du Collectifs des femmes engagées en Église
Parallèlement, à partir de 1983 avec Marthe Boudreau Thérèse Bergeron et Marie-Josée Poiré, nous avons créé le Collectif des femmes engagées en Église [CFEE]. Nous avons recruté des femmes prêtes à se former une équipe composée de femmes partageant les mêmes préoccupations, le même travail, les mêmes intérêts. Chaque équipe était autonome et voyait à son contenu et à sa propre organisation. Les responsables d’équipes se rencontraient au quatre mois et un grand rassemblement annuel nous gardait au parfum du travail réalisé par les différentes équipes.
Nous voulions créer un lieu de solidarité pour les femmes ayant des intérêts communs et vivant des problématiques à tout fin assez semblable toujours en lien avec la condition féminine. Durant l’année, 5 équipes ont vu le jour.
On ne peut passer sous silence le fait qu’à Québec, dès les premières années, l’appui de Mgr Vachon, alors archevêque de Québec, ne s’est jamais démentie. Il questionnait, veillait au grain, s’inquiétait parfois, mais finissait toujours à nous inviter à continuer. D’ailleurs son intervention à Rome au synode sur la réconciliation démontre bien son grand souci de la reconnaissance des femmes dans l’Église.
De retour à l’AEQ pour la suite des choses
Dès 1982, devant le constat de certaines difficultés dans certains diocèses, le comité des affaires sociales avait convoqué 4 femmes à un groupe de travail en vue de préparer une prise de parole publique sur la condition des femmes. (Solange Gervais, Louise Melançon, Rolande Parrot, Annine Parent)
Après discussion, il fut confirmé qu’une prise de parole ne serait pas opportune si les évêques eux-mêmes n’étaient pas convaincus de l’importance de ce travail dans le milieu. C’était une condition essentielle pour que les répondantes puissent continuer leur travail et être entendues.
Le CAS fut surpris par cette réaction des femmes, mais il en a tenu compte et dans le rapport de la rencontre on pouvait lire « qu’une intervention publique sur la condition des femmes était souhaitable, mais qu’en pratique, elle était prématurée et devait être précédée d’une conscientisation des évêques comme l’a suggéré le comité convoqué en février ».
Une recommandation envoyée au comité exécutif pour qu’une prochaine session d’étude (mars 83) porte sur le sujet fut acceptée. Le CAS donne à 5 femmes le mandat de préparer une session d’étude. (Lise Baroni, Lise Drouin-Paquette, Gisèle Turcot et Annine Parent. Lucienne Boisvert sera la secrétaire du groupe.)
C’est ainsi que la session aura lieu en mars 1986 sous le thème L’Église et le mouvement des femmes.
Il s’agissait pour l’Église de Québec d’identifier et d’analyser les transformations que le mouvement des femmes opère et d’en tirer les conséquences non seulement dans la vie de croyants-es mais aussi dans la pensée, le langage, les célébrations et le gouvernement de l’Église locale.
Cette session a été un véritable débat, un face à face, un bon dialogue, un échange sérieux des femmes avec les évêques. Elle a vraiment marqué le temps.
La session regroupera 30 évêques, 85 femmes et 13 hommes invités.
Le leadership de la rencontre, l’animation, les exposés, la liturgie, tout sera confiée à des femmes. Pour cette fois les évêques seront participants. Une expérience difficile pour certains.
Six thèmes seront étudiés : langage, violence, pouvoir, travail, sexualité et famille. Il en ressortira 28 recommandations qui seront votées par l’assemblée et confirmées par l’assemblée plénière des évêques en septembre 1886. Ces recommandations sur les 6 thèmes serviront à établir un plan d’action pour les répondantes.
Et c’est de cette session, de ces recommandations, que découlera le plan d’action des répondantes pour les années qui viendront.
Exposé d’Annine Parent lors d’une rencontre du Réseau des répondantes à la condition des femmes du diocèse de Québec chez les sœurs de la Charité de Québec à Beauport le 29 septembre 2012.
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