Il y a 40 ans, lors du Synode de 1971, Mgr Flahiff proposait la formation d’une commission mixte sur la question des ministères féminins dans l’Église. Femmes et Ministères a toujours la question accrochée au cœur.
Le samedi 29 octobre 2011, à la maison des Sœurs de la charité de Québec, invitées par Femmes et Ministères[1], cent cinquante femmes et quelques hommes venus de treize régions du Québec se rassemblent pour célébrer le 40e anniversaire de l’intervention du cardinal George B. Flahiff lors du Synode de 1971 demandant la création d’une commission sur les ministères féminins dans l’Église; pour célébrer aussi quarante années de marche dans le désert d’une place non faite aux femmes. Anniversaire soulignant « leur audace et leurs convictions qui ont marqué l’histoire de notre Église ici au pays et ailleurs dans le monde[2] ».
Un moment fort de l’après-midi fut la présentation de croix portant des citations d’évêques. Rappel de paroles prononcées depuis 1964 afin d’ouvrir les chemins d’une place égale et véritable pour les femmes dans l’Église et la société. En quelques phrases, nous étions replongées dans le Souffle de Vatican II qu’on tend à étouffer de plus en plus.
• 1964 – Mgr Gérard-Marie Coderre, lors de la 3e session du concile Vatican II : « Sans la participation véritable de la femme, la société humaine et même le Royaume de Dieu n’attein draient ni leur perfection ni leur plénitude. »
• 1971 – Au synode « sur le sacerdoce ministériel et la justice dans le monde », Mgr Georges B. Flahiff propose « que les représentants de la Conférence catholique canadienne prient leurs délégués de recommander au Saint-Père la formation immédiate d’une commission mixte (c’est-à-dire formée d’évêques, de prêtres, de laïcs des deux sexes, de religieuses et de religieux) afin d’étudier en profondeur la question des ministères féminins dans l’Église ».
• 1976 – Mgr Emmet Carter, au nom du Conseil d’administration de la CECC: « Nous demandons qu’une étude théologique approfondie soit faite sur la question de l’ordination des femmes. »
• 1981 – Lettre pastorale de Mgr Bernard Hubert, évêque de Saint-Jean-Longueuil: « L’égalité entre femmes et hommes est perçue comme une exigence fondamentale de la vie en société. Pour les chrétiens, il va de soi que le Royaume de Dieu abolit toute domination d’un groupe sur un autre. »
Ces citations mettaient en évidence l’ouverture d’avant 1994, date de l’aberrante déclaration de JeanPaul II : « L’ordination sacerdotale est exclusivement réservée aux hommes et cette position doit être définitivement tenue par tous les fidèles. » Ce pape jetait un froid entre les militants et militantes et l’Église catholique romaine. Ce qui n’empêchera pas Yvonne Bergeron, conférencière à ce colloque, d’affirmer que « c’est dans des lieux renouvelés, inspirés par la liberté du Vivant, que nous pourrons, croyants et croyantes, maintenir le processus et reconstruire aujourd’hui une espérance au souffle long… Une espérance parfois « tremblante », mais toujours têtue ». Il faudra en effet un souffle très long, et un entêtement tenace, car comme le dit Élisabeth Garant dans une entrevue donnée à Parole et vie au lendemain de ce colloque : « Notre Église a avancé un peu, mais recule beaucoup. »
Un exemple de ce recul se trouve à l’article 66 de la Présentation générale du Missel romain publiée récemment et qui sera bientôt en vigueur : « L’homélie doit être faite habituellement par le prêtre célébrant lui-même ou par un prêtre concélébrant à qui il l’aura demandé, ou parfois aussi,si cela est opportun, par un diacre, mais jamais par un laïc. » Nos évêques auront-ils le courage de passer outre cette affirmation, puisque dans plusieurs endroits du Québec, il est coutumier que des laïcs, hommes et femmes, souvent plus formés que certains prêtres ou diacres, fassent régulièrement l’homélie?
Lors de la table ronde, mesdames Hélène Pelletier Baillargeon, Lise Baroni Dansereau et Yvonne Bergeron, pionnières dans le réseau Femmes et Ministères, ont présenté un tableau fouillé des étapes franchies au cours de ces quarante années. Retraçant les étapes depuis le « Non, ça suffit! C’est assez! » des années 1970 et 1980, elles font valoir ce qui est encore à construire. Il y seraffirmé que « toutes les pratiques renouvelées, audacieuses, étonnantes, voire transgressives et prophétiques des croyantes engagées mettent en place de nouveaux types de fonctionnement[3] ». Elles invitent l’institution « à conjurer la peur rarement avouée, souvent latente et tellement paralysante[4] ».
Hélène Pelletier Baillargeon aborde « l’exaltation de la dévotion mariale qui sous-tend le discours […] mystifiant sur le rôle complémentaire et indispensable de la femme dans l’Église, sur sa spiritualité du don de soi, de la place éminente qu’elle tient dans l’économie du salut. Comme dans le livre de Betty Freidan, La femme mystifiée, on la hisse sur un piédestal pour mieux l’empêcher d’agir sur le terrain. » Elle parle « de l’Église catholique romaine qui fonctionne, dans les faits, comme une monarchie masculine absolue ».
Mais comment expliquer la ténacité des femmes en dépit de tous ces piétinements? « C’est que ces femmes passionnées par le Dieu de Jésus ont l’Évangile tatoué sur le cœur. Ancrées dans une liberté intérieure énergisante et déstabilisante, elles restent centrées sur la responsabilité d’actualiser la mission reçue dont elles cherchent à renouveler le sens pour notre temps[5]. » De ce lieu, à la base, pourront venir des transformations sur les différents plans de l’organisation, par des pas « de travers et de côté », selon l’expression de Joseph Moingt, en faisant « de petits écarts aux règles habituelles, pas graves mais renouvelés, en laissant mourir quelques traditions vieillottes, en faisant des innovations audacieuses, sans provocation mais soutenues, en prenant des initiatives, en osant, encore et encore ».
Le rêve des femmes porte une Église qui ne soit plus pensée et organisée en fonction du « temple » et des « prêtres », mais en fonction de la mission. « Convaincues que l’Évangile invite toujours à innover sans se renier, les femmes portent une espérance qui se fait têtue. Luttant contre un désespoir toujours possible, cette espérance repousse la tentation des réponses hâtives et superficielles[6]. »
Malgré les têtes grises et blanches de l’assemblée, celles dont Lise Baroni disait : « Nous avons été sujets de nos interventions… Rien ne nous a été donné facilement… Nous avons tout bâti nous-mêmes… », cette rencontre réaffirme que « nous voulons dire haut et fort que ce n’est pas fini, que nous sommes là pour durer. C’est donc avec fierté que nous fêterons 40 ans de travail constant et ferons savoir que nous continuerons notre « lutte » jusqu’à ce que les femmes soient effectivement reconnues pleinement dans l’Église[7] ».
Texte publié dans Sentiersdefoi.info Vol. 7 no 5 / 23 novembre 2011 et reproduit avec les permissions requises.
NOTES
[1] En octobre 1982, une vingtaine de femmes, engagées en Église ou théologiennes, jetaient les bases d’un regroupement qui allait devenir le réseau Femmes et Ministères.
[2] Pauline Jacob, allocution d’ouverture.
[3] Yvonne Bergeron.
[4] Idem.
[5] Idem.
[6] Idem.
[7] Pauline Jacob.
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