Pourquoi présenter les actes des Colloques Virage I et Virage II, à la recherche d’alternatives libératrices, ainsi que le dossier d’animation La 25e heure pour l’Église, dix ans après la tenue du premier événement en l’an 2000 ? La réponse est fort simple. Nous constatons qu’il existe toujours des barrières à franchir avant que les femmes ne soient reconnues à part entière dans tous les domaines de la vie de l’Église et force est de constater que les réflexions suscitées par les deux colloques sont toujours pertinentes pour la suite des choses. La pauvreté, la violence, le respect des droits des femmes, la présence dans les lieux de décision, la spiritualité, la prise de parole, les alliances, autant d’enjeux majeurs lourds de conséquences qui demandent aujourd’hui encore, vigilance et créativité.
En 2000, l’arrivée du troisième millénaire ne laissait personne indifférent. La Marche mondiale des femmes trimait dur pour sortir les femmes du cercle infernal de la violence et de la pauvreté. De son côté l’Église annonçait le Jubilé de l’an 2000. Elle invitait tous les hommes et toutes les femmes de bonne volonté à la réconciliation et à la libération des opprimés. La solidarité avec les femmes du monde entier devenait importante pour combattre les situations d’inégalités et de souffrances dont elles étaient victimes. La mobilisation des femmes en Église était tout aussi importante pour contrer les pratiques discriminatoires, favoriser la sensibilisation, la conscientisation et la concertation pour l’action. Il importait de réaliser du neuf afin de donner un nouveau souffle à notre Église.
En 2010, les femmes ont jugé important d’organiser une troisième action internationale rappelant qu’il ne faut pas lâcher et qu’elles vont revendiquer tant que des femmes seront aux prises avec des problèmes de justice, de liberté, d’accès à des ressources, de reconnaissance de droits…. Elles ont choisi comme slogan « Tant que toutes les femmes ne seront pas libres, nous serons en marche! » Sur tous les continents elles ont marché fièrement et avec détermination réclamant égalité et équité, dénonçant les abus que les femmes doivent subir encore aujourd’hui dans nos sociétés modernes.
Ce désir de vaincre les difficultés, d’aller au bout de leurs rêves, existe aussi chez les femmes en Église. Malgré des progrès concernant certains aspects de la vie des femmes, elles continuent de souhaiter une reconnaissance effective lorsque, par exemple, il est question des ministères. On n’a qu’à relire les nombreuses revendications adressées à l’Église depuis les années 1971 jusqu’à nos jours, pour constater l’ampleur et la régularité des demandes de groupes de femmes, ou de groupes affiliés à l’Église concernant la situation des femmes. C’est au nom même de leur baptême que les femmes réclament une reconnaissance pleine et entière et sollicitent entre autres choses l’accès à tous les ministères institués et/ou ordonnés. Nous vous recommandons de prendre connaissance de ces propositions, vous jugerez par vous-mêmes du travail accompli et de l’ampleur du travail qu’il reste à faire.
Il est tout aussi important de se rappeler que, principalement entre 1971 et 1994, les évêques du Québec et du Canada ont manifesté un intérêt certain pour la question des femmes. À maintes reprises, ils ont convoqué des femmes pour les entendre, mis sur pied des comités ou des commissions d’étude, reçu des revendications, organisé des sessions, commandé des recherches et des études, écrit des messages sur la pauvreté, la violence faite aux femmes, les relations de travail, mais aussi sur des préoccupations intra ecclésiales comme les ministères, le diaconat, la place et le rôle des femmes en Église.
Ils ont régulièrement porté à Rome, soit à l’occasion de synodes, de commissions spéciales ou de visites ad limina, des revendicationsconcernant la place des femmes en Église. (lien à faire) C’est le cardinal Georges B. Flahiff qui, le premier, a déclaré au synode sur la justice en 1971 « qu’il n’y avait aucun obstacle dogmatique à ce que la question des ministères féminins soient ré-ouverte parce que la position historique de l’Église n’était plus considérée valable ». Par la suite, les évêques ont souvent, par différents moyens, manifesté leur souci d’une juste reconnaissance des femmes en Église. Le savoir et le redire peut aider à continuer la route avec confiance et détermination. Nous supposons que leurs convictions d’hier demeurent toujours leurs convictions d’aujourd’hui pour une bonne majorité d’entre eux. Cet état de fait peut nous aider à surmonter nos peurs, nos résistances et à nous sentir autorisées d’y travailler encore aujourd’hui.
Cependant, ces aspirations, ces demandes tant de fois exprimées, ont été annihilées par Ordinatio sacerdotalis, lettre apostolique de Jean Paul II datée du 22 mai 1994. Ce document affirme que l’ordination sacerdotale est exclusivement réservée aux hommes, que l’Église ne se sent pas autorisée à ordonner des femmes et qu’il faut désormais considérer cette position comme définitive. Les évêques deviendront alors passifs et silencieux au sujet des ministères pour les femmes. Ils se sont à tout le moins mis à « pause ».
Nous ne sommes pas sans ignorer que, localement, des initiatives sont prises, que des postes d’une certaine responsabilité sont accordés à des femmes. On accepte privément qu’elles suppléent au manque de prêtres, prêchant, baptisant, assistant les malades, regroupant les communautés chrétiennes et présidant la prière. Mais nous savons aussi que des gains ou des acquis individuels, régionaux, voire même nationaux, fussent-ils nombreux, ne parviennent pas à opérer des changements valables et durables s’ils ne sont pas officiellement inscrits dans les documents officiels de l’institution ou dans le droit canon.
Tout comme le mouvement mondial des femmes, qui malgré les revers réclame sans relâche liberté et justice pour les femmes, il faut nous aussi, femmes en Église, continuer le travail avec audace, conviction et espérance. Le projet Virage a été l’occasion d’une prise de conscience pour les unes, d’une prise de parole pour les autres. En 2011, ne faudrait-il pas mettre en place des mécanismes qui permettraient de travailler ensemble hommes et femmes portant les mêmes aspirations. Nous avons à continuer les recherches, à conscientiser, à développer des alternatives, à briser le silence et surtout… à poser des gestes collectivement.
Aujourd’hui encore, les actes des colloques Virage permettent de nourrir et de guider notre réflexion. De même en est-il du guide d’animation La 25e heure pour l’Église qui propose des textes et des démarches pour la mise en œuvre de stratégies et d’actions libératrices. Il nous faut trouver des chemins de liberté, d’égalité et de justice.
Nous rappelons que les convictions exprimées par Mgr Gilles Ouellet, président de l’Assemblée des Évêques du Québec, lors de la célébration marquant le 50e anniversaire du droit de vote des femmes, font écho à nos convictions comme femmes en Église : « Dans l’Église, comme dans la société, l’action militante des femmes et des peuples colonisés est donc progressivement apparue, selon l’expression de Jean XXIII, comme un signe des temps ». Comme une invitation à aller planter au plus loin la flamme libératrice de l’Évangile. Les femmes d’aujourd’hui ont, comme leurs devancières, le droit de défendre leur charisme propre, porteur d’innovation sociale et pastorale. Ce devoir de discernement historique à la lumière de l’Évangile, nous ne le répéterons jamais assez, ne constitue pas l’apanage exclusif de nos hiérarchies masculines. Il concerne indistinctement tous les baptisés, femmes et hommes. Il est porteur d’espérance et d’avenir pour la foi chrétienne.
« Obéir, c’est aussi résister » : résister à la désespérance de ne jamais voir un jour toutes les inégalités abolies, toutes les compétences reconnues, la justice enfin réalisée entre hommes et femmes, dans l’Église comme dans la société tout entière.
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